Perspectives européennes et vieilles dentelles

par Breton8329
samedi 26 novembre 2022

La direction que prend l’Europe ne donne pas une image très rassurante du futur, d’ailleurs les européens ne s’y trompent pas car ils font de moins en moins d’enfants ; le sentiment que ni leurs voix, ni leurs intérêts ne sont pris en comptes dans la construction d’un projet européen censé remplacer le projet national génère une classe de citoyens stupéfaits, incapables de se projeter donc de se bouger, qui attendent passivement, vivent de peu, ne se marient pas, ne se reproduisent pas, n’ont pas d’ambition et s’informent peu. Les idéaux de paix, de liberté et surtout de prospérité qui ont servi d’arguments pour vendre le projet européen à des peuples qui avaient déjà tout cela, n’ont pas survécu au XXIème siècle et il ne reste désormais que l’exigence d’une discipline imposée verticalement et en dehors de tout processus électoral pour promouvoir l’avènement d’une société possiblement inspirée de la dictature chinoise, qui attend des européens qu’ils sacrifient leur confort et sans doute aussi leur liberté sans qu’elle les préserve de la guerre.

Pas suicidaire, le Royaume-Uni quitta le navire Europe avant son naufrage. A l’instar d’un James Dean sautant de son véhicule juste avant le ravin, l’Allemagne pensait sans doute profiter à fond de l’Europe pour se refaire une santé économique, ruiner ses adversaires historiques et sauter avant le crash mais, « Katastrophe », les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Malgré un bilan historique peu flatteur, le peuple allemand continue de se croire intelligent. Pendant que Français et Italiens, jouisseurs impénitents, « profitaient », les Allemands sciaient consciencieusement et méthodiquement la branche qui les soutenait, principalement mais pas seulement en laissant s’accroitre le déséquilibre des échanges avec ces deux pays, déséquilibre qui ne peut se solder que de deux façons, soit l’explosion de l’Euro et le retour du mark, soit la dévaluation de l’Euro et la ruine des épargnants allemands. Il va sans dire que l’option 1 semble davantage en adéquation avec le tempérament allemand que la 2. Si cette situation ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà sur nous-même et nos voisins, elle confirme toutefois que la volonté opiniâtre des Allemands de prendre l’ascendant pour imposer leur vision en toutes circonstances ruine par avance toute ambition qui ignorerait cette constante historique.

Mais revenons au scénario d’une auto-éjection de l’Allemagne juste avant que l’UE ne s’élance dans le précipice. L’explosion de la zone euro sera la conséquence quasi inévitable d’une hausse des taux d’intérêts destinés à éviter une trop grande dépréciation de la monnaie unique et donc la ruine des épargnants ; elle entrainera une augmentation intenable du service de la dette pour les pays surendettés dont l’Italie, la France, l’Espagne et la Grèce, qui ne laissera que deux options possibles aux pays impactés, soit une compression des dépenses sociales et des services de l’Etat et in fine un retour à des monnaies nationales dépréciées, soit une paupérisation brutale de l’ensemble de la classe moyenne de ces pays accompagnés d’inévitables troubles sociaux violemment réprimé, les récentes commandes de matériel des forces de l’ordre semblent indiquer que la France se prépare à cette option. Quant à l’Allemagne, elle aura tout loisir de revenir à un Mark plus fort que jamais, doté du potentiel de s’imposer comme monnaie de référence dans les échanges internationaux, comme monnaie refuge pour les épargnants européens. Ce retour pourrait être assorti de la création d’une nouvelle zone économique plus homogène tant culturellement qu’économiquement autour de la mer Baltique, avec sans doute aussi la Pologne et, cerise sur le gâteau, la Russie comme source d’énergie. Les allemands ont appris dans la douleur des conflits passés que les racines de la puissance doivent être ancrées dans les sources de matières premières et l’énergie, ce qui explique leur volonté d’établir un partenariat « discret » et pragmatique avec la Russie. Ce plan magnifique, aboutissement d’années durant lesquels les Allemands ont travaillé avec une ténacité et une efficacité admirable pour ruiner leurs adversaires potentiels et historiques, miner les racines de l’UE en accroissant les déséquilibres monétaires et développer une zone d’influence qui lui aurait servi d’écrin dans le futur contexte, aurait pu se dérouler sans accroc si les choix énergétiques associé à ce projet n’avaient pas placé la Russie sur une route de collision avec les intérêts d’entités largement plus puissantes que les Allemands, y compris avec les Etats-Unis d’Amérique.

Les Etats-Unis d’Amérique ont repris avec le prosélytisme et la fougue de leur jeunesse, la rhétorique de Halford John Mackinder du vieux monde sur la nécessité de se méfier de la Russie. Plus récemment, Zbigniew Brzezinski se chargea de recycler la pensée de Mackinder pour la rendre à la fois plus digestible et plus facilement utilisable par l’élite politique américaine à laquelle il appartient. Son livre de référence, le « grand échiquier », décrit les conditions géopolitiques du maintien de l’hégémonie des USA ; il prend tout son sens dans un contexte où des puissances sont désormais en mesure de contester, voire de revendiquer l’hégémon. Ce nouveau contexte entraine une mutation globale de la stratégie américaine autrefois exclusivement orientée sur l’attaque et la conquête, vers une position de plus en plus défensive. La perte d’influence des Etats-Unis semble s’inscrire dans une dynamique durable à mesure que les BRICS, l’OCS et d’autres organisations ou phénomènes tels que la dédollarisation du monde apportent des solutions d’émancipation crédibles ; il semble que les Américains soient en train de perdre l’initiative. Dans le domaine de la défense, il ne suffit plus seulement pour eux d’investir 800 milliards de dollar par an mais il faut en plus les investir en prenant en compte les évolutions capacitaires de leurs adversaires, ce qui constitue une nouveauté pour un pays habitué à donner le ton, et ce qui n’est pas évident pour un système qui avait pour habitude de dépenser sans toujours réfléchir suffisamment (voir le projet de Littoral Combat Ship entre autre), parfois sans compter (voir projet de cuirassé Zumwalt, le coût du F35…) et surtout, sans prendre trop au sérieux ses éventuels ennemis.

Les Anglo Saxons n’ont jamais fait mystère de leur volonté d’interdire une fusion entre les technologies européennes et les ressources russes (écouter Georges Friedman, StratFor, Chicago Council on Global Affairs 2008), fusion susceptible de générer un ensemble géopolitique capable de contester leur suprématie. Cette perspective a certainement guidé leur façon d’ « influencer », via l’utilisation de tous leurs moyens de « soft power », une construction Européenne privée d’autonomie sur la scène internationale et réduite à l’alignement sur des intérêts qui ne sont que rarement les siens. Se heurtant sans cesses aux contours de la boite qui lui a été assignée et qui continue de s’adapter aux intérêts des autres puissances, l’Europe n’ose pas affirmer ses propres intérêts, effrayée sans doute par la perte de crédibilité qu’entrainerait leur négation par ses compétiteurs. Le symbole le plus marquant de sa soumission est certainement l’OTAN, structure maintenue dans le but évident d’aligner les développements de la sécurité européenne et au-delà, la diplomatie conduite en Europe, sur les intérêts américains. Seule la dissuasion française semble pour encore échapper à cette volonté d’alignement mais il est probable que sa singularité qui n’a pas échappé aux anglo-saxons sera aussi menacée au sein de l’OTAN que la virginité d’une jeune personne à un bal de fin d’étude.

C’est dans ce contexte que la tentative allemande de s’affranchir de toute contrainte géopolitique pour s’alimenter directement en gaz russe via les pipelines North Stream sous la baltique prend tout son sens. L’Allemagne a sans doute voulu exploiter la fenêtre d’opportunité d’une relative instabilité politique américaine, dont le paroxysme fut l’ère Trump, pour desserrer la tutelle anglo-saxonne qui lui est imposée via l’UE, l’OTAN et les bases américaines qui occupent son territoire. Devenue la puissance économique du continent européen, sa sous-estimation de l’importance de la puissance militaire par rapport à la puissance économique fut fatale à son projet d’émancipation. A ce titre, la volonté du chancelier Scholz de transformer son pays pour qu’il devienne la première puissance militaire du continent européen marque un tournant qui témoigne d’une prise de conscience tardive et sans doute un peu naïve car à moins de posséder l’arme atomique, son absence de vitalité démographique lui barre définitivement tout accès à une forme conventionnelle de puissance militaire, en tout cas, en l’état actuel des technologies. De retour à la case départ, l’Allemagne n’a désormais d’autre choix que de ronger son frein et de se pencher de nouveau sur la construction européenne, mais cette fois ci en position moins favorable dès lors que ses faiblesses révélées ne manqueront pas d’être exploitées par la France et l’Italie. Comme le faisait remarquer Warren Buffett, « C'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignent nus ». L’arrogance affichée jusqu'alors par l’Allemagne devrait diminuer après le retrait du gaz russe.

Pour la France, la destruction des pipelines North Stream fut certainement une bénédiction car outre le renforcement d’un adversaire historique, la perspective du divorce avec une Allemagne convolant avec la Russie signifiait à la fois une hausse de taux d’intérêts et une dévaluation de monnaie alors que les capacités industrielles du pays ont migré vers l’Est et que les perspectives internationales, en particulier en Afrique, s’amincissent à mesure que les autres puissances y progressent. L’accès aux ressources énergétiques et aux matières premières s’inscrit dans une dynamique négative. En un mot, le déclassement. La France se dirige à grande vitesse vers le niveau de développement de l’Argentine. Le prétexte écologique largement instrumentalisé pour justifier la chute du niveau de confort des populations n’est que le cache sexe d’une relégation économique et sociale que les politiques préfèrent accompagner plutôt que de l’assumer. La puissance militaire suivra inévitablement, ne devrait survivre que les forces de sécurité intérieures nécessaires pour que cette dégringolade puisse se dérouler sans que les politiques soient inquiétés ou troublés dans leur jouissance d’un confort de moins en moins accessible pour les classes moyennes, il ne faudrait surtout pas que les cris des affamés frigorifiés gâchent leur banquet. Et l’Allemagne, qui avait tenté d’échapper à ce sinistre destin, devra finalement l’affronter puisque telle est la volonté anglosaxonne. L’ultime consolation de la France, in fine, pourrait bien être l’unicité de destin de tous les pays européens et surtout l’homogénéité économique, réalisée par le bas mais y avait-il un autre choix, qui ouvre la porte à la construction d’une union qui peut désormais devenir politique, et cerise sur le gâteau, avec l’Allemagne qui se voyait sans doute un autre destin.

C’est dans cette perspective que le « Great Reset » prêché par Klaus Shwab à ses zélés disciples lors des grandes messes du Forum Economique Mondial de Davos prend tout son sens. L’unification des classes moyennes européennes, l’égalité nécessaire à l’unification sous l’égide d’un gouvernement unique, n’est sans doute que le prélude à une unification ultérieure encore plus vaste à l’échelle mondiale. Il faudra se souvenir que l’unification européenne sous l’égide d’un seul gouvernement n’a été possible qu’en ramenant le niveau des vie des pays les plus riches au niveau de celui des plus pauvres, ce qui laisse entrevoir les perspectives peu réjouissantes pour la phase de réunification mondiale. Lorsqu’elle sera réalisée, l’ordre westphalien basé sur les Etats Nations aura vécu, il n’y aura plus de classes moyennes donc plus d’Etat Nation, seulement une majorité de gens pauvres et une minorité dirigeante extrêmement riche. Le great reset aura été effectué. Finalement, le monde devrait se retrouver dans les conditions qui avaient menées aux guerres de 30 ans, puis aux traités signés en 1648. La seule chose que le great reset n’arrivera pas à changer finalement, c’est la nature humaine et ses conséquences. L’histore ne serait elle qu’un éternel recommencement ? Klaus Schwab et ses disciples en tout cas veillent à ce que l’humanité aie l’opportunité de refaire les mêmes erreurs.


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