Silvio Berlusconi et la vie politique italienne

par Sylvain Rakotoarison
lundi 12 juin 2023

« Inévitablement, il donne l'impression de choisir le plaisir privé plutôt que les affaires d'État. » (David H. Thorne, en 2010).

Sans doute David H. Thorne, l'ambassadeur des États-Unis à Rome, avait raison lorsqu'il évoquait le chef du gouvernement italien en 2010. Il n'avait pourtant pas dû connaître le contenu des écoutes téléphoniques qui a été révélé seulement le 20 septembre 2011 par Éric Jozsef dans "Le Temps", des propos concernant des prostituées : « Ne les choisit pas trop grandes parce qu'on est petit (…). Deux filles par personne (…) puis on se les prête... la chatte doit tourner ! » ; ou encore : « Hier soir, elles faisaient la queue devant ma chambre. Il y en avait onze. Je ne m'en suis fait que huit parce que je n'en pouvais plus. ». Quelle santé !

L'ancien Président du Conseil italien Silvio Berlusconi est mort ce lundi 12 juin 2023 à l'âge de 86 ans (il est né le 29 septembre 1936) des suites d'une leucémie à l'hôpital de Milan, sa vie natale. Il était en soins intensifs du 5 avril 2023 au 19 mai 2023 pour des raisons cardiaques, puis hospitalisé de nouveau à partir du 9 juin 2023. La Première Ministre italienne Giorgia Meloni a salué en lui « l'un des hommes les plus influents de l'histoire » de l'Italie et elle a probablement raison. Quelle vie de roman !

Bien sûr, il y a deux manières d'aborder le personne de Silvio Berlusconi, qui aurait été "un sacré numéro" d'après ma regrettée grand-mère qui ajouterait même : "un as de pique" ! Pendant plus de neuf ans, il a dirigé l'Italie en en faisant, pas une "start-up nation", comme Emmanuel Macron, mais carrément une "big compagny nation", avec des techniques marketing pour faire campagne, avec des ministres qui étaient ses fondés de pouvoir dans son groupe, avec ses pages de publicité dans ses médias.

Il y avait l'homme d'affaires et des médias, grand patron qui ne s'embarrassait pas des conventions ni de scrupules, allant jusqu'à pactiser avec son ami François Mitterrand pour s'emparer de la cinquième chaîne de télévision française (La Cinq, vous vous souvenez ? Rien à voir avec France 5 !), additionnant les médias à sa dévotion jusqu'à avoir en Italie un certain monopole (disons, une hégémonie) de télévision lorsqu'il était au pouvoir (chaînes privées et chaînes publiques), emportant avec lui de nombreuses casseroles judiciaires, fraudes fiscales, scandales financiers, voire sexuels. Cet homme-là, peu l'appréciaient sinon son clan, ses proches.

Mais il y avait aussi l'autre côté de la médaille, la face brillante (très brillante, très bling-bling), le génie voire le miracle de la vie politique italienne. Au début des années 1990, l'opération judiciaire Mains Propres (qui a coûté la vie à au moins deux juges) a mis en évidence la corruption généralisée en Italie, au sein du pouvoir politique, en particulier au sein des deux grands partis de gouvernements depuis la guerre, la démocratie chrétienne et les socialistes (PSI).

Silvio Berlusconi, alors patron d'un grand groupe de médias, et bientôt l'homme le plus riche d'Italie, selon certaines sources, a tenté alors un coup de poker : créer un parti politique ex nihilo, et conquérir le pouvoir. Il y est parvenu en quelques mois seulement, emportant l'adhésion du peuple italien en pleine perte de sens.



Avec Forza Italia, non seulement il a réussi à gagner le pouvoir (plus rapidement qu'Emmanuel Macron avec En Marche, il faut insister), mais il a réussi à s'imposer et à imposer son parti politique pendant près d'une trentaine d'années dans la vie politique, jusqu'aux dernières élections où il a fait partie de la coalition victorieuse derrière Giorgia Meloni et Matteo Salvini.

Un peu comme Emmanuel Macron en 2017, le nouveau monde de Silvio Berlusconi en 1994 ne vient pas de lui mais des circonstances politiques favorables, l'incurie de tous les anciens partis qui ont été incapables de s'adapter aux évolutions de la société.

Très rapidement, l'opposition à Silvio Berlusconi s'est coalisée, avec une alliance des anciens partis gouvernementaux, à savoir démocratie chrétienne, socialistes et même communistes repentis, pour donner un vaste parti démocrate à prendre au sens américain du terme.

Parallèlement, les droites se sont mieux structurées jusqu'à créer deux pôles populistes sinon extrémistes, l'Alliance nationale, héritier du parti de Mussolini et dont Giorgia Meloni est l'actuelle héritière, et la Ligue du Nord (ou Ligue), fondée et dirigée par Umberto Bossi et dont Matteo Salvini est l'héritier. Ces deux partis sont devenus les alliés naturels de Forza Italia et ces deux coalitions, de centre droit et de centre gauche, ont alterné en Italie de 1994 à 2018 (entrecoupés de gouvernements dits techniques), avec toujours Silvio Berlusconi à la tête de la coalition de droite (au pouvoir ou dans l'opposition).


Ainsi, le chef d'entreprise a été quatre fois Président du Conseil, du 11 mai 1994 au 17 janvier 1995, du 11 juin 2001 au 17 mai 2006 (deux gouvernements) et du 8 mai 2008 au 8 novembre 2011. Sa longévité politique a été exceptionnelle, tant au pouvoir que comme leader de l'opposition (il a présidé son parti depuis le 18 janvier 1994 jusqu'à sa mort !). Il pourrait être comparé à Benyamin Netanyahou sur le plan politique, même s'il lui a demandé d'en finir avec la colonisation des territoires occupés.

Silvio Berlusconi avait des velléités de transformer le régime parlementaire impossible en Italie (créant de l'instabilité gouvernementale et de l'immobilisme politique) en régime présidentiel, un système équivalent à la Cinquième République française. Il voulait alors se présenter à l'élection présidentielle et faire cette révision constitutionnelle (comme l'a faite le Président turc Recep Tayyip Erdogan).

Bien plus tard, il était question de sa candidature à l'élection présidentielle des 24 au 29 janvier 2022 (à 85 ans !), mais qui aurait provoqué trop de polémiques, le Président du Conseil de l'époque Mario Draghi en était le favori et finalement, c'est le Président de la République sortant, Sergio Mattarella qui a rempilé pour sept années supplémentaires, faute de convergence sur une autre personnalité.

À partir de mars 2018, la mécanique berlusconienne fonctionne encore mais pas à son avantage : Forza Italia a été devancé par la Ligue, et les deux ont été supplantés par le Mouvement 5 étoiles, nouvelle formation politique. Ce dernier est finalement arrivé au pouvoir avec Giuseppe conte, mais a montré ses limites. Les dernières élections, en septembre 2022, ont apporté la victoire clairement à la coalition de droite, mais à l'avantage, au sein de cette coalition, au parti de Giorgia Meloni.



Ami de Vladimir Poutine, Silvio Berlusconi avait dit dans ses dernières déclarations, après avoir dit avoir été déçu par le Président russe, que l'Ukraine était responsable de l'invasion de son territoire par les troupes russes (!), mettant en difficulté Giorgia Meloni à l'époque chargée de former le nouveau gouvernement italien sur une base très classique de soutien à l'Ukraine.

Silvio Berlusconi est mort parlementaire, sénateur (réélu en septembre 2022, il a même voulu être Président du Sénat) ; depuis 1994, il a été régulièrement élu député puis député européen et enfin sénateur, sauf pendant des périodes d'inéligibilité consécutives à des condamnations judiciaires. On aurait pu aussi comparer le personnage à une sorte de Bernard Tapie en France ou Donald Trump aux États-Unis (ces deux derniers brassant de l'argent, patrons, animateurs d'émissions de télévision, grandes gueules, politiquement incorrects et engagés politiquement dans leur pays, comme Berlusconi).

Mais sans doute dira-t-on que Berlusconi était incomparable, et qu'il ne sera pas remplacé. Agaçant, choquant, mais finalement, tant d'audace déplace quelques montagnes... même si l'Italie de 2023 a peu changé par rapport à l'Italie de 1994. Il aura vécu.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 juin 2023)
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Pour aller plus loin :
Le pré-Trump italien.
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Il y a un siècle, l'arrivée au pouvoir de Mussolini.
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Majorité absolue confortable pour Giorgia Meloni en Italie.
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