Apocalypse estivale

par Xavier Lainé
lundi 8 août 2005

Quand le sud-est s’embrase...

Vue de loin la ville a disparu sous un nuage sombre. A son approche les véhicules ralentissent, comme saisis d’un inquiétude soudaine. Le brouillard épais a envahi les rues, une pluie de cendres tombe silencieusement. Les pas des passants se font furtifs, un regard inquiet tourné vers l’ouest, d’où provient la dense et âcre nuée. Dans le silence de ce dimanche après-midi, le vent se fait plus violent encore. Sa puissance redoublée secoue avec ardeur les marronniers de l’avenue. Le jour baisse plus rapidement qu’à l’accoutumée. Serait-on témoins d’une éclipse inattendue ? Un soleil rouge gagne l’horizon, un soleil titanesque, sans puissance derrière le rideau de cendres et de fumée. Des sirènes invisibles parcourent la ville en tous sens, semant un peu plus de confusion et de malaise. Une dernière agitation, puis le calme total s’empare des demeures, barricadées pour ne pas laisser pénétrer l’odeur tenace. La ville serait-elle gagnée par quelque conflit d’apocalypse ? Dans la nuit qui avance, les émanations se font omniprésentes, tandis que les renforts arrivent, toutes sirènes hurlantes. Dans le noir une lueur orangée poursuit sa route vers le sud, poussée par les bourrasques violentes du mistral.

Car bien entendu, il faisait vent ce dimanche sur le sud. Bien sûr combien étiez-vous à promener vos regards touristiques au bord des gorges du Verdon, le long des crêtes du Lubéron ? Sans doute très nombreux, pour certains incapables de vous passer du mégot salutaires à vos tensions citadines. Sans doute très nombreux dans un nature asséchée par des mois sans eau, prête à s’embraser comme de l’étoupe à la moindre étincelle. Et bien sûr, tandis que la journée se terminait, une lourde fumée est d’abord apparue vers l’est, quelque part au bord des gorges du Verdon. Peu de temps plus tard ce fut au tour de l’ouest de Manosque, autour de Montfuron.

Les autorités, comme d’habitude, chercheront un responsable, un assassin de la nature. Ils le feront monter au pilori des médias, ils le montreront sur la place publique, histoire de déculpabiliser la majorité et de ne rien changer aux comportements abusifs.

Manosque encore hier matin se levait dans son écrin de verdure. Manosque ce lundi matin se réveille avec la gueule de bois qui succède aux apocalypses, une odeur tenace de feu de bois hante ses rues pour une semaine qui commence mal.

Combien de mégots jetés par la fenêtre d’une voiture lancée à grande allure ? Combien de canettes, laissées à l’ombre fugace des chênes verts, après un pique-nique bienfaiteur ? On peut trouver un incendiaire, il y en a, on peut trouver l’un de ces humains dont le dérèglement du comportement n’est que l’expression exacerbée de tous nos comportements réunis. Trouverons nous un jour le chemin d’un examen de chacune de nos consciences ?

Il a fallu des dizaines et des dizaines d’année pour créer l’écrin de verdure vanté dans tous les magazines et sur tous les prospectus touristiques ; il a fallu quelques minutes d’inconscience et d’ignorance pour le faire disparaître à jamais. Car rien n’est plus jamais comme avant : allez donc voir, et promenez vous, un peu plus loin dans le Haut-Var, entre Aups et Tourtour, et vous verrez encore, en 2005, la trace palpable de l’incendie qui emporta les forêts centenaires, en 1982. Rien n’est plus comme avant, dans la nature et dans les têtes. Pourquoi faudrait-il que, toujours, les hommes meurtrissent leur espace de vie ? Gageons qu’il n’y a aucune fatalité à la destruction massive et systématique, et qu’un sursaut de conscience soit enfin possible.

Manosque le 8 août 2005


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