Notre monde change, mais pas nous.

par Thierry Meyer
lundi 3 octobre 2005

Même avec des évènements aussi médiatisés que Katrina ou Rita, peu nombreuses sont les personnes qui se rendent compte que notre monde change.

Pourtant, l’information n’est pas nouvelle, puisque des scientifiques du monde entier se penchent sur le climat depuis de nombreuses années. En effet, c’est en 1966 qu’a eu lieu le premier forage en Antarctique, et c’est dans les années 70 que les premières modélisations informatiques ont commencé. Dans les années 80, de nombreux programmes internationaux sont lancés (WCRP - programme de recherche mondial sur le climat, CLIMAP - étude de climats du passé, PCMDI - comparaison des modèles climatiques...)

Pour y voir plus clair, c’est en 1987 que le GIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, IPCC en anglais) voit le jour, dans le but de fournir des synthèses régulières de l’impact de l’homme sur le climat. En France, c’est en 92 que le gouvernement français crée la mission interministérielle de l’effet de serre (MIES), alors qu’au niveau international, cela fait maintenant plus de 10 ans (Rio - 92, Kyoto - 97, Johannesburg - 2002) que les gouvernements de tous les États essayent de prendre des mesures à leurs niveaux.

Pourtant, nous ne semblons pas vouloir intégrer ces faits dans nos raisonnements quotidiens. Nous sommes surpris par la violence de Katrina, et nous réagissons à l’incurie des moyens préventifs, mais nous ne remettons pas en cause (ou si peu !) nos rejets. Rita arrive, avec la bonne fortune que l’on sait, et l’on se met à penser que l’on maîtrise le sujet...

Cependant, il est indéniable que le réchauffement est enclenché, ce qui va de pair avec l’augmentation de la température des océans. Or, la puissance des ouragans est directement proportionnelle à celle-ci, ce qui ne laisse pas de doute quant à l’évolution possible de la situation.

Évidemment, on peut ignorer ces vérités, et continuer à classer ces évènements comme exceptionnels. De toutes façons, ne sont-ils pas pourvoyeur d’emplois, puisqu’il faut reconstruire, ce qui convient tout à fait au PIB, et donc à la croissance ? Le plus impressionnant dans tout ça, c’est qu’ils seront des milliers à relever le défi et à se lancer dans un combat perdu d’avance : on ne gagne pas contre un adversaire dont la force est alimentée directement par vos propres ressources.

Pourtant, les signes d’emballement et d’irréversibilité du phénomène se font jour. Que cela soit la fonte entamée du pergélisol de Sibérie occidentale[1] - grande comme la France et l’Allemagne réunies, elle contient 70 milliards de tonnes de méthane - qui va donc apporter son tribut aux gaz à effet de serre (le méthane a un pouvoir réchauffant 20 fois supérieur à celui du CO2), ou la tendance de nos puits à CO2, que représentent nos végétaux, de se transformer en source[2], il y a de quoi s’inquiéter.

En tout cas, continuer à utiliser, même de manière non-exponentielle, toutes ces énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), semble être un véritable suicide. Surtout que nous ne devons pas oublier l’inertie du phénomène : le réchauffement se poursuivrait, même si nous pouvions renoncer immédiatement à toutes ces énergies, ce qui est malheureusement impossible.

Nous voilà donc devant le plus grand défi de notre espèce : faire évoluer immédiatement notre société pour arrêter d’utiliser des énergies fossiles, tout en nous adaptant aux dérèglements climatiques. Autant dire que la gageure est à la hauteur de l’indifférence que nous montrons !

Pourtant, cette révolution ne se fera pas sans la participation massive des citoyens. En effet, malgré toute leur bonne volonté, les gouvernements ne peuvent pas aller beaucoup plus vite que leurs électeurs, et ceux-ci sont, pour l’heure, massivement indifférents, habitués qu’ils sont à ne plus craindre les caprices de leur environnement.

Malheureusement, cette fois, les solutions technologiques sont loin d’être disponibles, que l’on parle d’énergies renouvelables, d’hydrogène, de stockage de CO2, voire d’énergie nucléaire. Et quand on sait, par exemple, qu’il faut, au bas mot, une quinzaine d’années pour remplacer un parc automobile, on commence à prendre la mesure de nos délais de réaction. Si on y ajoute une dizaine d’années d’études intensives (c’est le temps mis par les USA pour développer le programme Apollo, alors qu’ils étaient en pleine course avec l’URSS), plus une autre dizaine d’années pour industrialiser et répandre tout ça, nous voilà déjà en 2040.

À cette époque, la France se battra pour sauver ses récoltes, tout en essayant de nourrir les habitants de la péninsule ibérique, la déflation du pétrole aura réduit au silence bien des économies, les ouragans force 5 seront devenus la norme, et la calotte glaciaire arctique n’empêchera plus personne de naviguer.

Autant dire que, si nous avons encore les moyens de contrôler notre avenir, nous aurons de la chance.

[1] le pergélisol dégèle : voir LaLibre.

[2]

- le réchauffement amène les sols à dégager plus de CO2 : voir 20minutes.

- La dégradation de la couverture végétale lors de l’été 2003 serait la cause de l’émission de quelque 500 millions de tonnes de CO2 supplémentaires. Voir CORDIS ou futura-sciences

- les premières études sur la capacité des arbres à absorber les surplus de CO2 sont décevantes. Voir Université Laval.


Publié sur VieRurale.com


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