L’heure de Rachida Dati

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 17 janvier 2024

« François Baroin est un héritier qui n’a rien fait d’autre dans sa vie que de profiter des protections qu’il a reçues. Et qui aux moments décisifs s’est défilé, tant pour notre famille politique que pour le pays. Ses propos sont indignes. Je n’ai pas de leçons à recevoir. » (Rachida Dati le 15 janvier 2024 sur Twitter).

Ambiance. La nouvelle ministre, qui n'a pas sa langue dans sa poche, répondait sur le même ton à son ancien collègue François Baroin qui avait lâché, lors de ses vœux municipaux à Troyes, le 11 janvier 2024 : « C'est toujours surprenant de voir des gens qui montent à bord du Titanic avec le sourire. On se dit que Rachida Dati manque de lucidité. La Macronie va exploser. ». On se demande d'ailleurs si le Titanic, ce n'est pas plutôt LR.

La nomination de Rachida Dati au Ministère de la Culture le 11 janvier 2024 a été la grande surprise du changement de gouvernement. Mais les surprises se succèdent : quelques heures après la conférence de presse d'Emmanuel Macron (sur laquelle je reviendrai), Rachida Dati a annoncé, ce mercredi 17 janvier 2024 dans la matinée, ou plutôt, a confirmé sa candidature à la mairie de Paris pour les élections de mars 2026.

Il est impossible d'imaginer que Rachida Dati ait pu faire une telle annonce sans en avoir averti préalablement le Président de la République et recevoir son accord voire son soutien. Son objectif est très logique et transparent : clarifier sa situation et son ambition, en toute franchise. En déclarant sa candidature aussi tôt, elle permet de couper toutes les ambitions autres, celles de l'ancien député (battu par Aymeric Caron en 2022) Pierre-Yves Bournazel (ex-LR et Horizons depuis 2021), celles de Gabriel Attal dont la nomination à Matignon occupera suffisamment ses journées (!), celles aussi de Clément Beaune dont on ne sait pas encore s'il fera partie ou pas du nouveau gouvernement et qui avait aussi des vues sur la mairie de Paris.

Cela clarifie en tout cas l'objectif de la majorité présidentielle : en juin 2017, un raz-de-marée macroniste avait envahi les circonscriptions, mais les conditions de la campagne municipale de 2020 avaient été déplorables pour la majorité (désignation de Benjamin Griveaux puis scandale, dissidence de Cédric Villani, manque de motivation de l'ancienne ministre Agnès Buzyn, etc.), ce qui a conduit à la réélection de la maire socialiste sortante, Anne Hidalgo (malgré son impopularité, avant son échec monumental de l'élection présidentielle de 2022), et à la consécration de chef de l'opposition de Rachida Dati, alors candidate LR. De plus, les élections législatives de juin 2022 ont profondément transformé les données électorales avec l'élection de députés FI au détriment de la majorité présidentielle.

Ainsi, Rachida Dati deviendrait la candidate de la majorité macroniste à la mairie de Paris, à charge pour les autres élus parisiens LR de se positionner également en faveur de Rachida Dati, leur ancienne chef de file, afin qu'une alliance LR-Renaissance puisse détrôner une maire démonétisée (mais encore forte dans les arrondissements de l'Est parisien). L'intérêt d'une telle stratégie est que LR n'a pas de candidat de remplacement pour affronter sérieusement Rachida Dati, seulement deux ans avant l'échéance.



Mais revenons d'abord à sa nomination Place de Valois, siège du Ministère de la Culture. Ces derniers jours, Rachida Dati a été victime, à l'instar de nombreuses femmes politiques, en particulier Amélie Oudéa-Castéra, d'un procès en incompétence. Depuis quand faut-il être spécialiste du domaine dont on serait le ministre ? C'est ne rien comprendre à la vie politique et généralement, les mêmes critiqueront aussi un gouvernement de technocrates ou de bureaucrates. Il faut savoir ce qu'on veut : ou un conseil d'administration, une sorte de gouvernement d'experts sans prise directe sur la réalité populaire, ou un gouvernement politique avec des poids lourds politiques, qui ont déjà été élus, des ministres qui ont justement suffisamment de poids personnel pour imposer leurs décisions à leur administration, au lieu d'être leur simple porte-parole.

Le gouvernement de Gabriel Attal est un gouvernement composé uniquement de ministres politiques et je m'en réjouis. La nécessité de faire ce retour politique était importante, ne serait-ce que pour affronter les oppositions de plus en plus extrémistes, et aussi pour le faire-savoir ignoré de beaucoup de ministres dits "société civile". À l'école de Nicolas Sarkozy, on n'imagine pas que Rachida Dati ne communique pas sur ses réalisations comme nouvelle ministre !

C'était l'erreur (à mon sens) d'Emmanuel Macron lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2017, celle de nommer beaucoup de ministres experts dans leur domaine ministériel mais nains politiques, souvent totalement novice tant de l'expression au grand public que des choses électorales. Il ne faut pas le blâmer, De Gaulle a fait souvent cela quand il était Président de la République, nommant des polytechniciens et des énarques pour changer profondément la classe politique et oublier les ambitieux et les manœuvriers de la défunte Quatrième République. Mais lorsque le politique est si défié par le peuple, lorsque le fossé est si large et si profond entre les élites politiques et le peuple, la nomination d'experts renforce ce fossé au lieu de le réduire. Car il faut mettre des politiques, des ministres qui aillent devant le peuple, qui rencontrent le peuple, quitte à se faire huer, c'est toujours mieux que de ne pas vouloir l'écouter, ou ne pas oser l'écouter. Bref, des ministres qui rendent des comptes à la nation elle-même.



Rachida Dati est ainsi, sans doute, la caricature d'une femme politique. Elle n'hésite pas exprimer ses ambitions, quitte à passer pour une arriviste, elle n'hésite pas à communiquer, peut-être à tort et à travers, quitte à se créer de nombreuses inimitiés, mais au moins, elle existe, et dans ce que reste cet ancien grand parti qu'est LR, quelle personnalité était encore connue à part elle ? Pas grand monde, puisque tout le monde est parti ou se tait.

C'est pour cela que la nomination de Rachida Dati est un coup dur pour LR, pas parce qu'Emmanuel Macron a semblé faire une OPA sur ce parti, mais parce que cela réaffirme que LR n'a pas d'autre voie qu'une alliance, exigeante certes, avec la majorité présidentielle (ce que prône Nicolas Sarkozy depuis 2022). L'isolement de LR conduirait à sa mort certaine, du moins comme grand parti national, car ce parti est encore très puissant localement, mais il ne serait plus qu'une sorte de syndic des élus locaux, sans envergure nationale.

Les déclarations municipales de Rachida Dati sont très suivies sur Internet, ses vidéos font souvent un million de vues, ce qui est beaucoup. Elle compte à Paris mais aussi en France. Maire du septième arrondissement depuis 2008, donc des beaux quartiers, Rachida Dati, paradoxalement, peut représenter un courant populaire, et c'est son premier souci : permettre à tout le monde, même les moins aisés, de participer à la culture, rendre accessible la culture à tous les Français, même les moins aisés, même ceux qui se pensent les moins "cultivés", qui pensent que la musique classique, l'opéra, le théâtre ne sont pas faits pour eux.

Il y a déjà de nombreuses initiatives pour donner des accès parfois ludiques à la culture, la plupart des musées ont des parcours pour les enfants pour leur faire découvrir et apprécier la culture, mais sans doute que la mission de Rachida Dati sera encore plus dense dans ce domaine, de manière plus générale.

Qu'on ne s'étonne donc pas de voir un politique à la Culture : ce n'est pas nouveau ! Avant Rachida Dati, Alain Peyrefitte, Michel d'Ornano, François Léotard, Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy, Catherine Trautmann, Aurélie Filippetti, Franck Riester et Roselyne Bachelot, entre autres, étaient des politiques avant d'être des cultureux. Une mention spéciale pour Fleur Pellerin, technocrate socialiste qui avouait ne lire aucun livre lorsqu'elle était à la Culture, incapable de saluer dignement un nouveau Prix Nobel français de Littérature !

Toute la Cinquième République a vu cette hésitation à nommer à la Culture soit un politique soit un cultureux, comme je les appelle, c'est-à-dire un écrivain (comme l'était Maurice Druon), un technocrate du domaine culturel (comme l'étaient Rima Abdul-Malak, ou encore Françoise Nyssen, Audrey Azoulay, Jean-Jacques Aillagon, etc.), d'autres acteurs culturels (comme Frédéric Mitterrand), etc. Bien sûr, quand on parle de Ministre de la Culture, on pense avant tout à André Malraux et un peu à Jack Lang, qui, lui, était aussi un animal politique (qui, parce qu'il était doyen d'une faculté de droite, souhaitait surtout devenir Ministre de la Justice, voire candidat à l'élection présidentielle en 1995).

L'ancienne Ministre de la Justice est donc dans son rôle et ses compétences à occuper le Ministère de la Culture. Son rôle ne sera pas de faire des grands travaux mégalomaniaques comme à l'époque ultradépensière de François Mitterrand, mais plus humblement, de faire accéder tout le monde à la culture. C'est une ambition beaucoup plus raisonnable mais beaucoup plus exigeante, et Rachida Dati, qui ne se laissera pas impressionner par divers groupes de pression, aura à cœur de défendre un budget souvent sacrifié lorsqu'il s'agit de resserrer les finances publiques. Même si son arrivée inquiète aujourd'hui les différents acteurs culturels, Rachida Dati pourra être, paradoxalement, leur meilleure ambassadrice. Pas étonnant donc qu'elle leur dise : n'ayez pas peur !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Laissez tranquille la vie privée de la ministre !
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Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (vidéo).
Gabriel Macron.
Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.
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