Considérations narcissiques, ou « animeuses »

par Alain Malcolm
mardi 14 novembre 2023

Comment passe-t-on d'éléments politiques à des éléments psychiques, en passant par la justice, l'immigration, les marchés, les zombis, l'américanisme et les religions monothéistes – surtout elles ? Une lecture vous l'apprendra.

 

1. Tout le monde le dit et le titre dans les médias avec ce philosophe plus ou moins sociologue de fond, j'ai nommé Gilles Lipovetsky : "nous vivons dans un monde hypernarcissique". Faut dire que ç'avait explosé avec l'arrivée du "macro-président" Macron (après l'hyper-président Sarko et l'hypo/micro-président Hollande en banalité et en scooter – et pourtant c'était pas le pire). Et puis sur ce point Eric Zemmour a raison, la relation des Français avec leur président c'est une histoire d'amour simili-royaliste post-gaullienne où l'on tient à s'admirer au miroir du primus inter pares... du premier d'entre les pairs... pairs a priori Français en général quoi que surtout CSP+ et seniors. Il suffit de relire les Considérations gauche-droite et bourgeoises pour détailler mais enfin voilà : le (l'extrême-)centre c'est ça, oui, la centrardise, les centrards : l'auto-admiration de notre petit bonheur la chance.

 

2. Et puis comme tout ce qui déborde sur la gauche ou la droite de ce que Marine Le Pen nommait avant sa dédiabolisation (dédiabolisation suscitant tant d'infamiliarités...) comme tout ce qui déborde l'UMPS, dit aussi front républicain... passe pour fasciste (stalinien ou hitlérien)... à tort ou à raison ça n'a aucune importance... l'auto-admiration des "auto-concentrés" est à son comble, suscitant facilement des postures d'"outsiders" tout aussi narcissiquement satisfaisantes, qu'on soit écrasé par les figures de Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau et Rokhaya Diallo à l'extrême-gauche ou tiraillé entre les figures de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Marion Maréchal à l'extrême-droite. Bref, on s'aime, et tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes selon Pangloss, parce que Jésus avait bien dit "Aime ton prochain comme toi-même" (ce qui justifie désormais le dicton populaire selon lequel "charité bien ordonnée commence par soi-même").

 

3. "Ces valeurs chrétiennes sont-elles devenues folles ?" selon le sempiternel rappel du bon mot de Chesterton... Au contraire il semble bien qu'elles s'épanouissent à merveille depuis leur terreau étasunien certes avant tout protestant. Car les catholiques vont-ils encore à la messe, en dehors des Centre-Européens catholiques de type slave, cousins des Est-Européens orthodoxes de type slave aussi ?... Quoi qu'il en soit, l'hypernarcissisme de ces chrétiens ordinaux de foi "cath·o·rtho" centre-orientaux n'est pas si développé, et raille démoniquement celui des chrétiens libéraux tendanciellement protestants occidentaux... Non, les catholiques occidentaux n'aiment plus la dimension ordinale de l'Eglise, ils n'aiment plus être ordinaux : ils se veulent libéraux, comme si l'ordinalité devait fatalement être synonyme d'autorité abusive voire de fascisme. Pour eux, la vérité c'est la libéralité. Nth, nth, nth...

 

4. L'américanisme bat son plein et les grandes firmes de communication "polit·économiques" continuent de nous prendre allègrement pour des Enfants Créatifs et Soumis en se positionnant comme des Parents Bienveillants et Normatifs selon l'analyse transactionnelle élaborée par Eric Berne, sur une base d'ego-psychology initiée par Heinz Hartmann à la Société psychanalytique de Veinne en 1937, le tout servant le psycho-marketing élaboré par Edward Bernays neveu de Freud. Les USA ont adoré, et continuent d'utiliser le même concept de Self pour désigner le Moi et le Soi dans un confusionnisme atroce. C'est que le chrétien libéralement débridé prend le Moi pour un christ en Soi, véritablement persona identificatoire (masque social sans humanité)... où certes le chrétien ordinalement bridé s'auto-prive du Soi au nom d'un Moi plus souvent humilié. Je ne sais pas vous mais pour ma part la Vérité n'est pas monothéiste : les juifs étant dans l'humiliation jubilatoire et les musulmans étant dans l'identification personale non moins jubilatoire de leur Moi à un Soi-Oum·Mahomet.

 

5. Alors nous autres Occidentaux, entre-infantilisés à libéralement nous prendre pour le nombril du Christ à la One Again A Bis To Fly, on a un lézard puisque nous fîmes en des séductions infantiles tout un monde d'érotisme public pas forcément porn mais certainement emo jusqu'aux geignardises vexatoires de narcissiques auto-victimisés en circuits fermés, des wokes aux groupuscules fafs comme antifas (ces derniers vivants dans leurs niches conflictuelles pour leurs plaisirs rebelles) : il suffit de lire De la Séduction de Jean Baudrillard pour s'en convaincre. Libéralement nous détestons toute autorité même non-abusive et ainsi nous déstructurons-nous tous gaiement au nom d'une liberté réduite à la velléité, aux velléités. Mais Eros n'est pas que né d'Aphrodite la séduisante puisqu'il est né d'Arès le combattant, relisez mes Considérations sexuelles pour ça, et du coup nous voici avec des pulsions mort-vivantes avec les films de zombi séries Z ou mainstream, répandus sur les Terres occidentales...

 

6. Sans foi ni loi c'est notre far west bien aimé et surjoué ès Read Dead Redemptions, "rédemptions rouge sang" : les immigrés non-assimilés l'ont si bien compris qu'ils en ont perdu leurs bonnes manières originaires au point que leurs aïeux originaires ne voudraient plus d'eux aujourd'hui, et surtout au point qu'ils se réinventèrent dans un "originarisme" fantasmatique comme s'ils en étaient "l'aboutissement logique", ces monstres !... et certains extrêmes-gauchistes de monstruoser avec eux compassionnellement : sans foi ni loi par une sorte d'étrange purisme post-chrétien adorateur de l'abbé Pierre et des punks à chiens : Jésus lui-même n'était-il pas un juif sauvage, un vagabond galiléen, sans feu ni lieu, ni foi ni loi d'ailleurs ? N'était-il pas qu'un Amour de sale bâtard ? C'est pour cela que les USA aiment leurs gangs et que nous aimons nos séparatismes, mais gangsters ou séparatistes signifient une seule et même chose. Et on s'y aime soi-même dans nos bravades en quête du même prestige que les ultrariches qui applaudissent à tout rompre dans leurs niches.

 

7. Sans religion, voici que nous ne sommes plus que des jeunes & vieilles carnes maraudant sur Terre. Des animaux humains : c'est l'antispécisme qui le dit. Des animaux humains pour lesquels l'animalisme devrait militer : où sont nos bons traitements ? Au lieu de cela l'animalisme se concentre sur les ratons-laveurs à l'exception des sauterelles, mais selon l'antispécisme nous avons bien les mêmes droits, non ? Y compris celui de mordre et de griffer, je suppose ?... La chair à pâté suréquipée de la Terre, une définition pour l'humanité, c'est manifestement le cas en forme de chair à canons à travers les âges et les régions du monde. Des morts-vivants, des morts-vivants, des morts-vivants.

 

8. L'animal est beau parce que l'animal s'identifie à sa velléité. Quoi que dressable l'animal est littéralement sa velléité. Ce qu'il vellit il le recherche, mais s'il est dressé il s'en prive par velléité d'obéir car il est complaisance sociale : voilà pourquoi Adolf Hitler était animaliste et végétariste, et sans concession pourquoi le nazisme exerce un tel pouvoir de fascination : le style Hugo Boss y est peut-être pour quelque chose dans la SS, que l'animalité de la démarche nazie n'en est pas moins sa forme de beauté, infamilière. Les nazis sont leurs velléités conjointes dans la Volonté Générale du Fürher : sans rire il y a là un rousseauisme inattendu. Le romantisme est à son comble et pourtant ce fut l'horreur. Alors comment mieux vous dire que l'Occident post-nazi dont certains seniors toujours au pouvoir vécurent et admirèrent le nazisme, est lui-même animaloïde ?

 

9. Cette animaloïdie est-elle narcissique ? Elle l'est dans la mesure où le narcissisme renvoie à soi et que nous vivons entre personnalisme chrétien et plus largement monothéiste, égoïsme consommatoire, soiïsme pratique, et même solipsisme plus ou moins philosophique. Mais comme nous ne parvenons pas à admettre la violence dont nous faisons pourtant allègrement preuve à tire-larigot et que nous restons dans le compassionnalisme post-chrétien (cette charité dont on parle depuis le début) disons que nous sommes dans un vitalisme vulgaire. Le vitalisme à la base, c'est la philosophie bergsonienne selon laquelle l'expérience oscille entre instinct et science, que l'intelligence est processuelle, pragmatique, dynamique, adaptative, qu'en fin de compte la Vie aurait quelque chose d'onto-éthiquement libéral malgré elle, que donc le pragmatisme dont les USA s'inspirent tant est nécessairement pratiqué au quotidien par tous et tout dans des formes de praticisme. Comme les animaux, quoi.

 

10. Carl G. Jung parle d'anima pour l'homme, d'animus pour la femme. La racine vous l'avez compris est la même que pour âme et animal, et c'est ce qui nous anime incontestablement rapport à l'état cadavérique, quelle que soit la façon dont on l'envisage. Enfin chez Jung ç'avait un rapport avec le sexe opposé pour des raisons probablement freudiennes, lui qui disait qu'"une psychanalyse est d'abord freudienne", puisque d'une manière ou d'une autre le sexe c'est la vie : je ne vous fais pas un dessin et vous renvoie encore aux Considérations sexuelles. Mais de fil en aiguille la génération fait écho aux générations successives donc aux ancêtres et ainsi de suite, évidemment notre état de corps et donc notre animalité par la chair de nos chairs et le fruit de nos entrailles. Ça prend aux tripes, au bas-ventre, à l'entre-jambe, dans ses genres... où il faut lire aussi Animals de James Hillman, un continuateur freudo-jungien critique, et infamilièrement jusqu'à la morbidité. Car la chair est mort-vivante oui, pré-cadavérique, les médecins le savent bien, et ça nous irrite jusqu'à l'animosité.

 

11. Nous dirons qu'est animeux·se quelqu'un dans l'état d'animosité, or c'est de cette condition humaine dont nous cherchons à parler depuis nos débuts narcissiques qui nous renvoyaient à nous-mêmes... qui renvoyaient chacun à soi-même. Mais "l'animal que donc je suis" selon le mot de Jacques Derrida, cet animal humain se laisse-t-il réduire à la chair sans réflexion ? Et pourtant la réflexion était comme au miroir, une forme de retour sur soi confinant au narcissisme de la pensée, au point qu'on stigmatisait aisément autrui de branlette intellectuelle, dans les années encore récentes où la pensée n'hésitait pas à s'exprimer comme de nos jours, remplacée qu'elle est par l'animosité morale de la tyrannie de la majorité tocquevillienne (oui parce que la pseudo-"tyrannie des minorités" n'est tyrannique que d'occuper groupusculairement les espaces majoritaires, au nom des valeurs majoritaires de l'égalitarisme, forcené à l'invertir). Mieux ou pire encore : l'animosité morale de l'égalitarisme forcené à l'invertir, se retrouve même dans les relations traditionnelles...

 

12. Pendant ce temps-là, le pouvoir se dissout coresponsablement (dont irresponsablement) par les marchés eux-mêmes toujours-déjà animeux. En effet qu'est-ce que le boulot d'un juriste de grande firme sinon faire passer sa firme si libérale pour une victime en sa chair, d'ordres injustes ? C'est le métier des avocats avec tout le sérieux possible, que d'atteindre ce résultat de faire sentir des injustices même où il n'y en a pas au point d'inoculer le ressentiment et faire mourir de culpabilité absconse, leurs adversaires. La Justice au sens institutionnel du terme est le haut-lieu de la Cruauté occidentale par excellence, rien d'anormal à ce que les magistrats soient si narcissiquement gauchistes ni que les plus grands dénonciateurs du règne des juges soient si narcissiquement droitistes. L'animosité est à son comble, à nous délaisser dans nos cruautés : mort-vivotants, ressentimentaux, fielleux, offensants, vexés.

 

13. Le narcissisme, hyper- ou non, explose schizothyme et paranoïde là-dedans. Grâce à "Dieu", le plus grand de tous les Soi : vindicatif et jaloux comme chez les juifs, et quand bien même aimant et juste comme chez les chrétiens, et surtout insidieux et prétentieux comme chez les djihadistes – serait-ce au nom d'une communauté plus ou moins séparatiste. Quant aux musulmans assimilés, eh bien... ils seront heureux d'apprendre qu'ils font une harmonieuse synthèse judéo-chrétienne ?... à ce niveau-là, je veux dire : "qui fait l'ange fait la bête", mort-vivant comme dans un Georges Romero. Animeux.

 

Lire aussi :
- Considérations gauche-droite ;
- Considérations françaises - pour l’étranger européen, oxydantal* et autre ;
- Considérations émeutières ;
- Considérations sexuelles ;
Condisérations entrepreneuriales et administratives ;
- Considérations territoriales ;
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