Toussaint vs Halloween ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 31 octobre 2023

« La Toussaint est le jour où les morts de demain visitent ceux d'hier. » (Henri Duvernois, écrivain mort en 1937).

Et voici qu'arrive Halloween avec son cortège d'enfants déguisés en quête de friandises. Disons-le clairement, je suis né trop tôt et si j'avais eu quelques années (enfin, quelques décennies !) de moins, j'aurais adoré me déguiser en vieux sorcier et aller sonner à la porte de mes voisins pour y faire l'aumône de quelques sucreries (même si mon cerveau a du mal à trouver un intérêt intellectuel à Harry Potter, toujours ce problème de génération, sans doute). Dans les magasins, on passe au noir et à l'orange et j'ai même vu un magasin très connu d'électroménager qui a imposé à ses vendeurs de se déguiser eux-mêmes en vampires (les pauvres ! Je comprends pour les magasins de jouets, mais les autres ?). Avant de passer au rouge et vert, les couleurs de Noël.

Bref, je trouve cette fête d'Halloween plutôt bon enfant et sympathique. À cause du niveau de vigilance accrue pour risque terroriste, les rassemblements doivent être très sécurisés (par les forces de l'ordre), mais je considère comme un devoir de continuer ce petit rite social sans conséquences : continuer absolument à vivre normalement, à s'amuser, à rester insouciants. Les terroristes n'attendent qu'une chose, qu'on se terre et qu'on ait peur. Dans ma commune, les enfants se rassemblent à 18 heures puis se dispersent pour aller visiter seulement les maisons qui ont indiqué qu'elles avaient des bonbons pour eux (ainsi, ils ne gênent personne).

Halloween n'est-il pas une invasion de la culture américaine ? Bien sûr, oui, c'est sûr, même si, en y regardant de plus près, cette fête était à l'origine européenne, celte, irlandaise, gauloise. C'est la grande émigration irlandaise à la suite de la famine de 1845 qui a apporté cette coutume aux États-Unis. Qu'elle nous revienne en France à partir des années 1990 après avoir retraversé l'Atlantique n'est donc ni très exceptionnel ni très scandaleux, surtout si l'on comprend qu'elle est avant tout un événement commercial (il faut bien s'équiper pour la fête). Même en Russie, elle fait une percée malgré les réticences de l'Église orthodoxe (la fête est désormais interdite dans les écoles à Moscou).

La diffusion massive de téléfilms américains nunuches sur la période de Noël à la télévision française me paraît beaucoup plus grave pour notre santé mentale qu'une petite fête censée s'amuser à se faire peur. Halloween concurrence-t-elle la Toussaint ? Là encore, pourquoi opposer des torchons et des serviettes ? La Toussaint est l'un des jours fériés (et fêtes religieuses) les plus meurtriers sur les routes de France avec la Pentecôte. Malgré la déchristianisation de la société, ces fêtes se sont laïcisées et sont devenues des références majeures dans le calendrier civil.

À l'origine, la Toussaint était fêtée le 13 mai à partir de 610, entre Pâques et la Pentecôte ; le pape Boniface IV voulait célébrer tous les martyrs de l'Église catholique. Par la suite, la date a changé en 1er novembre et le pape Grégoire IV l'a généralisée. Attention à ne pas faire de contresens : la Toussaint n'est pas la fête des morts, mais la fête des saints, pas seulement les personnes canonisées, nombreuses mais d'une proportion très faible, aussi tous les anonymes, tous les inconnus qui ont vécu comme des saints, dans la charité, la piété et la bonté (selon l'ancien archevêque de Toulouse, Mgr Robert Le Gall, ceux qui sont « dans la béatitude divine »).

Dans la liturgie, au cours de la messe, tous les saints sont célébrés, dans une longue litanie. Quand j'étais enfant, j'attendais mon prénom et je ne l'attendais jamais en vain. Je doute maintenant que tous les enfants y trouvent le leur aujourd'hui, car le nombre de prénoms, outre le fait que beaucoup ne sont plus chrétiens, voire sont musulmans (ce qui ne me gêne pas du tout, c'est le choix intime des familles), est devenu beaucoup plus important, les prénoms sont beaucoup trop diversifiés pour pouvoir citer tout le monde (il y a cinquante ans, le prénom le plus répandu dans une génération correspondait à 30% des naissances, maintenant, à peine à 5%).



La fête des défunts a lieu le lendemain, le 2 novembre, célébrée à l'origine par les moines de Cluny et leur abbé, saint Odilon de Cluny, en 998 comme fête des trépassés. Le pape Léon IX approuva cette initiative et l'encouragea. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, même cette fête des défunts n'est pas une fête de la mort mais une fête de la vie, parce que pour les chrétiens, les défunts ont franchi une étape mais sont toujours en vie : « Ceux qui sont passés sur l'autre sont aussi, et davantage, vivants que nous. » explique le Missel de la vie chrétienne.

Personnellement, j'ai toujours été un peu étonné de la forte fréquentation des cimetières pendant la Toussaint. Je pense à "mes" morts tous les jours. Et en tout lieu, certainement pas dans les cimetières dont j'adore la fréquentation mais pour d'autres raisons, pour les tombes, les inscriptions historiques. Les êtres, les âmes, selon ce qu'on croit, s'ils sont toujours là, ou simplement leurs souvenirs pour être plus factuel, sont assurément hors de ce qui reste de leur corps qui n'est plus qu'une simple écorce sans vie (il suffit de voir un corps sans vie pour s'en convaincre ; la flamme, si flamme il y a encore, est ailleurs).

Le poète Tristan Maya (mort en 2000) avait cette formule : « Un cimetière un jour de Toussaint ressemble à une exposition un jour de vernissage. ». Tandis que Jean Cocteau, plus cynique : « Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. ». La liturgie, elle, propose à la Toussaint le très beau texte des Béatitudes : « (…) Heureux les affligés, car ils seront consolés (…) ; heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (…). ». Texte que beaucoup interprètent mal, plus ou moins volontairement (« heureux les pauvres en esprit »).

En effet, la Toussaint, c'est la fête de tous les saints ; il faut comprendre que tout le monde peut être saint, que tous les humains peuvent l'être s'ils ont, pour règles de vie, amour, bonté, justice, pardon et paix : « Cette fête est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté, par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus, mais tous accessibles. La sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. » explique le site catholique.fr.

Justice, pardon et paix : pas de paix sans justice et pardon. C'est sans doute ce qui manque le plus de nos jours, dans nos petits conflits ou dans les conflits actuels les plus meurtriers, que l'on pense à l'Ukraine ou à Israël et à la Palestine, entre autres...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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