Aimez-vous les uns les autres - Une sociologie de comptoir virtuel

par Sir Sami Rliton
samedi 17 décembre 2022

Déclinée en quelques dix chapitres, cette petite sociologie du « like » nous invite à joyeusement reconnaître les manifestations de nos failles narcissiques en ligne.

Cet ouvrage satirique dédié au « monstre » Facebook, s’adresse directement au lecteur avec l’ambition de piquer les modes d’utilisation d’un maximum de profils connectés. Dans une atmosphère souhaitée au vitriol, il est essentiellement axé sur les motivations sociales qui nous conduisent plus ou moins consciemment à cliquer sur « J’aime ».

Avant-propos

 

Vous êtes sur votre réseau social favori, sur la nébuleuse préférée de tout un chacun, celle où le monde entier évolue dans la joie. Sur ce réseau en ligne, sur la toile, vous êtes un être social. Vous êtes connecté à tous vos contacts ou autres amis, une notion de rapprochement toute relative, vous le savez.

Vous avez peut-être opté pour l'utilisation de votre propre nom, vous avez travaillé sur vous, en thérapie brève probablement, vous êtes entier et n'avez rien à cacher, vous êtes quelqu'un de bien. Vous avez tout de même paramétré votre compte pour que tout le monde n'accède pas à vos données, vous êtes intelligent. Ou peut-être avez-vous préféré prendre un pseudonyme, vous êtes un peu rebelle, vous n'êtes pas physiquement identifiable, vous êtes certainement moche ou beau et faussement modeste. Vous ne prenez pas cette poubelle émotionnelle au sérieux, vous n'êtes pas sérieux, vous êtes de toute façon identifiable.

Sur ce réseau social, vous pouvez poster des publications, toutes sortes de publications illustrées ou non. Ces fonctionnalités vous permettent de communiquer, une notion toute relative elle aussi. Ces émanations bien souvent personnelles, peuvent être commentées par vos contacts, vous pouvez bien sûr commenter les leurs, vous le faites de temps en temps, ou peut-être jamais, ou peut-être encore êtes-vous ce genre de désespéré qui la ramène sur tout en permanence. En tout cas vous avez le choix, vous exprimer ou pas, vous confronter ou non à l'appréciation virtuelle de vos congénères, embrasser la vie à plein réseau ou rester simple spectateur de fils d'actualités divers et bien souvent avariés.

Quoiqu'il en soit, pour le meilleur et pour le pire, vous pouvez toujours cliquer sur « J'aime », ça n'engage à rien, ou presque. « Aimez-vous les uns les autres », a dit Mark Zuckerberg.

 

 

                                     Le « J'aime » ta femme

 

Ce titre genré n'a pour seule origine que la condition sexuée de l'auteur. Votre serviteur étant de sexe masculin, ne se risquerait sûrement pas à extrapoler derrière le prisme inaccessible et opaque de la gente féminine, avec tous les mythes et autres mystères qui lui sont associés. Mais soit dit en passant, ce clic ô combien redouté des amoureux jaloux, s'appliquent sans aucun doute possible aux deux sexes. Profitons d'ailleurs de cette parenthèse pour signifier à l'assemblée, vous espérant nombreuses et nombreux, que la plupart des « J'aime » déclinés au sein de ce petit ouvrage satirique, sont quasiment tous applicables aux différents genres humains ; certains probablement moins que d'autres, à vous de sentir lesquels.

Un jour votre femme, concubine, épouse ou autre relation sexuelle ayant mal tourné, y va d'une photo anodine dans laquelle son joli minois fait fureur sur notre réseau social préféré. C'est alors qu'au beau milieu de votre ramassis d'amis communs ou non, des vrais à ceux qui vous sont imposés par la vie, en passant par son collègue bien gaulé qui vous a ajouté par pure provocation, arrive le clic sorti de nulle part. Ce « J’aime » qui vous irrite au point d'avoir des comptes à régler. Le mec ne fait pas partie de vos contacts, d'ailleurs vous n'en avez jamais entendu parler, un illustre inconnu dont vous vous seriez bien passé. Mais le bougre « like » encore et encore, régulièrement voire fréquemment, les propos ou apparitions visuelles de votre chère et tendre. Il est lourd, très lourd. Parfois en adversaire quasi-déclaré, il va même jusqu'à commenter avec cette affection débordante et suspecte, en rajoutant généralement un smiley débile : « Toujours rayonnante ma belle ! ». L'utilisation de l'adjectif possessif vous fait fulminer. Évidemment vous commencez à vous sentir obligé d'enquêter, de préférence sur l'oreiller après un coït avantageux, l'air de rien en revenant des toilettes. Bien sûr votre amoureuse évoque « un vieux pote de lycée avec qui il ne s'est jamais rien passé ». Toutefois ça ne prend pas. L'odeur du jeu de séduction évident qui comble votre bien aimée de réassurance, devient par trop envahissante. Vous vous demandez même par quel phénomène troublant, de meilleures sensations de glisse ont réapparu depuis quelques temps (cf. « coït avantageux »). Mais vous n'avez que faire d'une triangulation intrusive pour fluidifier votre relation sentimentale. Il vous faut coûte que coûte marquer votre territoire et retrouver la sérénité du quotidien à deux que vous connaissiez, sans intrigue ou tensions énergivores. Lorsque vous scrutez discrètement la page d'accueil du gars, il apparaît clairement « en couple » avec mioches et la totale socialement convenue. Une couverture que l'homme et la femme aux vies sentimentales plurielles, ont appris à entretenir délicatement, en privilégiant le lavage à la main. Vous êtes anxieux.

Vous ne pouvez fâcheusement pas en découdre directement avec votre supposé rival, ni même avec votre compagne aussi équivoque soit-elle. On vous taxerait de paranoïaque excessivement jaloux. Il faut lisser votre comportement et vous adapter au consensus culturel actuel, procédant de la pathologisation du clash. Surtout aucun esclandre, aucun débordement, aucune attitude déplacée ne serait-ce que verbale et encore moins physique, ce même si votre femme aimante joue de la situation pour tester vos limites. Vous seriez socialement grillé et risqueriez l'anathème des bien-pensants, vous affublant au rang des faibles ou autres cas sociaux querelleurs. On touche ici à certains paradoxes de la femme actuelle, à une sensible ambivalence contre laquelle l'homme hébété ne pourrait pas grand-chose. Nombre de femmes aimeraient à priori sentir que vous êtes capable de passer à l'acte, capable d'être offensif s'il le faut, capable de faire des folies pour elles ou votre couple, de suivre votre instinct animal dans la seconde si nécessaire. En revanche, il n’est pas sûr qu’elles puissent supporter que vous le fassiez vraiment. Là réside toute la difficulté pour l'homme qui ne sachant plus très bien sur quel pied danser, se pâme parfois d'illusions virilement grotesques, en bombant le torse avec l'aplomb d'un chihuahua. Parfois vous aimeriez prendre exemple sur les quelques catégories sociales dites « populaires », restées plus ou moins sauvages (cf. : sous-titre du présent ouvrage). Vous fantasmez sur ces séquences où l'on ne se toisent que quelques micro-secondes avant d'envoyer le premier bourre-pif sans sommation. Vous vous faites des films dans lesquels on ne tergiverse pas avec des semblants d'agressivité de dancefloor, où l'on ne mise pas sur l'intervention des gars de la sécu, attirés par nos propres gesticulations désespérées. Mais vous avez conscience que ce genre de gaillard assumerait sans chouiner une garde à vue ou autres suites judiciaires, alors que vous n'en mèneriez pas large. Vous seriez d'ailleurs certainement la victime éborgnée. Bien que la lutte physique soit donc beaucoup moins admise socialement, il convient cependant de sauver l'honneur à minima, du moins en apparence. C’est compliqué d'authentiquement faire croire qu'on pourrait envoyer 2 ou 3 enchaînements offensifs stylés, d'autant plus quand le mec en face propose un buste sculpté, une gueule de truand et une inscription à la salle de MMA du coin. Jouez plutôt la carte de celui qui n'a rien vu et gardez la tête haute, sans points de suture.

Détendez-vous et voyez le verre à moitié plein, vous n'avez d'ailleurs aucun problème d'érection. Vous consommez régulièrement, même si la forme est un peu routinière, privilégiant toutes commodités et lingettes à portée de main. Certes il n'est pas très confortable de se demander si elle pense à un éventuel Mr. Muscles, au moment ultime de vos brefs ébats ritualisés. Mais vous, vile dissimulateur et interrogateur suspicieux, n'auriez-vous pas vous-même des vues sur la collègue croisée encore hier autour du photocopieur ? Alors pour finir avec l'hypothétique adversaire, contentez-vous de rester sur ce simple conflit imaginé en ligne. Gardez confiance et pensez à toutes vos futures photocopies. Néanmoins, si vraiment vous voulez poser un acte défensif et vous positionner malgré tout, préférez donc une suggestion éthérée sans risque, un marquage de territoire virtuel subtil en bonne et due forme. Et au moindre prochain commentaire de sa part, célébrant les attributs de votre future ex-épouse, cliquez sur « J'aime ».

 


Lire l'article complet, et les commentaires