Explication d’un texte d’Adam Smith extrait de la Théorie des sentiments moraux

par Robin Guilloux
mardi 20 juin 2023

 

Pour lire le texte et les questions, cliquer sur le lien :Texte d'Adam Smith extrait de la Théorie des sentiments moraux - Le blog de Robin Guilloux (over-blog.fr)

Adam Smith aborde dans ce texte la question de ce que nous appellerions aujourd'hui "l'homicide par imprudence". Nous réfléchirons sur les enjeux de ce texte et sur son actualité.

La thèse de l'auteur est que l'on doit distinguer en ce domaine entre les intentions du coupable, les conséquences de l'acte et le degré de gravité des faits.

L'auteur (Adam Smith) donne l'exemple d'un homme qui jetterait une grosse pierre du haut d'un mur sans en avertir les passants, et sans regarder où elle pourrait tomber.

Ses arguments sont les suivants :

a) Un acte de négligence grave mérite une punition, quelles qu'en soient les conséquences et quelles que soient les intentions de celui qui le commet. 

b) Une négligence grossière est, selon la loi, presque l'équivalent d'un dessein malveillant.

c) Quand des conséquences malheureuses découlent d'une négligence grossière le ou la coupable est souvent châtiée comme si ces conséquences étaient dans son intention.

d) Un homicide par imprudence est considéré par les anciennes lois comme passible de la peine de mort.

e) Ce châtiment "excessivement sévère" n'est cependant pas contraire à nos sentiments naturels en raison de notre sympathie pour la victime.

f) Cependant, il ne faut pas seulement tenir compte de l'intention du coupable et des conséquences des faits, mais aussi de leur degré de gravité.

Adam Smith estime qu'une négligence sans conséquences dommageables doit mériter une punition parce que la personne qui s'en rend coupable commet une injustice.

Une négligence grossière est, selon Adam Smith "presque" l'équivalent d'un dessein malveillant.

Prenons des exemples tiré d'un fait divers malheureusement récurrent : des mineurs jettent un parpaing du haut d'un pont sur une voie d'autoroute. S'ils sont pris en flagrant délit, ils doivent être appréhendés, mis en garde à vue et jugés, même s'ils n'ont occasionné aucun dégât matériel ou physique.

Si leur acte a eu des conséquences (blessure plus ou moins grave, invalidité, décès, etc.), la sanction doit être proportionnée aux conséquences de leur acte.

Le magistrat doit cependant tenir compte du degré de responsabilité des prévenus (âge, "excuse de minorité", circonstances atténuantes éventuelles, etc.)

Au XVIIIème siècle, selon la vieille loi d'Ecosse et selon les lois de nombreux pays, le ou les prévenus encourent la peine de mort qu'Adam Smith estime excessivement sévère, mais "conforme à nos sentiments naturels" en raison de la sympathie que nous éprouvons pour la victime.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le magistrat et les jurés ne peuvent prononcer qu'une peine inférieure à la peine de mort, le "plafond" étant la perpétuité.

Prenons un deuxième exemple : un automobiliste, sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue percute un autre véhicule et occasionne des dommages aux conducteurs et/ou aux passagers de ce véhicule, il doit être jugé en fonction des conséquences de son comportement et non en raison de ses intentions.

Certes, il n'a pas eu l'intention d'occasionner des blessures ou de provoquer la mort. Il n'avait aucun rapport avec le ou les victimes, il ne les connaissait pas, il s'agit donc d'un "homicide involontaire", mais tout se passe comme si les conséquences de son comportement avaient été réellement dans son intention.

Adam Smith estime qu'un "homicide involontaire" doit être sanctionné et puni au même titre qu'un homicide volontaire. Nous estimons aujourd'hui qu'un homicide involontaire est "moins grave" qu'un homicide volontaire.

Adam Smith estime donc que l'on ne doit pas seulement juger les intentions et les conséquences réelles ou possibles d'un acte, mais le degré de conscience ou d'inconscience de celui qui le commet et que "l'inconscience" n'est pas forcément une "circonstance atténuante".

Prenons un troisième exemple : le phénomène du harcèlement dans les Etablissement scolaires. Le harcèlement peut avoir de graves conséquences sur la santé physique et mentale. Il n'entraîne pas forcément la mort par suicide, mais peut laisser de graves séquelles, telles que des dépressions.

En cas de harcèlement ayant entraîné le suicide d'un élève, peut-on et doit-on tenir les harceleurs, voire l'administration de l'Etablissement, pour activement et/ou passivement responsables de la mort de l'élève et les sanctionner en conséquence ? Adam Smith répondrait par l'affirmative car non seulement le harcèlement est un acte volontaire, mais il entraîne des conséquences graves et peu importe que les auteurs n'en soient pas ou peu conscients.

Pour Hegel dans la Philosophie du Droit, la punition n'est pas seulement destinée à sanctionner un acte, mais à reconnaître la dignité du coupable et éveiller la conscience de sa responsabilité.

Juger un être humain "irresponsable", y compris un enfant ou un adolescent, au même titre qu'un animal (bien que l'on ait parfois jugé des animaux coupable d'"homicide" au Moyen-Âge), n'est pas lui faire l'honneur de le considérer vraiment comme un être humain capable de distinguer le bien du mal, de prendre conscience de la conséquence de ses actes et d'agir raisonnablement.

La Constitution des Etats-Unis mentionne, parmi les droit fondamentaux, le "droit au bonheur". Selon Adam Smith, la personne qui commet une grave négligence fait également preuve d'un mépris insolent envers le bonheur et la sécurité d'autrui.

Celui qui commet une grave négligence, que ce soit par imprudence ou intentionnellement commet une violation réelle ou virtuelle du droit au bonheur de son prochain.

La loi définit des droits et des devoirs vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis d'autrui. L'ivresse sur la voie publique, la détention et l'usage de stupéfiants ne sont pas du domaine purement privé, mais sont légalement répréhensibles parce qu'ils peuvent avoir des conséquences sur autrui. Les deux genres de devoirs sont d'ailleurs souvent liés, par exemple dans le cas d'un automobiliste ayant occasionné un accident sous l'emprise de l'alcool et/ou de la drogue. 

Les lois ne sont pas destinées à abolir la liberté, mais à limiter la liberté absolue de "faire ce que l'on veut" qui conduit à l'injustice, en assurant la véritable liberté qui, selon Jean-Jacques Rousseau dans Le Contrat social, est celle d'obéir aux lois qui garantissent la sécurité et le bonheur de tous.

Il est nécessaire de qualifier certaines conduites de "folles" et "d'inhumaines", même si leurs auteurs ne les considèrent pas comme telles.

Les Lois sont destinées à réguler le droit subjectif des individus isolés de faire tout ce qui leur plaît, au profit du devoir objectif des citoyens organisés dans la Cité, y compris des citoyens en devenir que sont les enfants et les adolescents en âge de comprendre, de respecter l'existence et l'intégrité physique et morale d'autrui et de respecter son droit au bonheur.

Selon Adam Smith, la peine de mort est une sanction à la fois "excessivement sévère" et conforme à nos sentiments". Elle est conforme à nos sentiments, en raison de la sympathie que nous éprouvons pour la victime. Cette sympathie "exaspère" notre indignation contre la folie et l'inhumanité de certaines conduites.

Elle nous paraît excessivement sévère en raison de l'évolution de la sensibilité moderne, notamment à partir de la pensée des Lumières et donc de l'époque d'Adam Smith, à l'égard de la peine de mort, aujourd'hui abolie dans un pays comme la France. Adam Smith distingue entre les sentiments et les émotions qui incitent à une sanction immédiate et la raison qui conseille de prendre son temps.

La peine de mort est parfois conforme à nos sentiments, à notre indignation, à nos émotions, à la sympathie que nous éprouvons pour la victime, mais la loi doit être conforme à la raison universelle et ne doit pas ériger un cas particulier en règle générale.

Les règles de l'Etat de Droit stipule que tout homme, quelle que soient le degré de "folie et d'inhumanité" de sa conduite, a droit à un procès équitable.

Le juge doit se prononcer de façon équitable et juger en fonction de ce que dit la loi et non en fonction de ses passions et de ses émotions en tenant compte des intérêts et des arguments de toutes les parties en présence. C'est le rôle de l'avocat de la défense qui représente et défend le prévenu et de l'avocat des parties civiles qui représente et défend les victimes.

La dernière phrase conteste la légitimité absolue de la peine de mort. Il convient d'examiner les faits au cas par cas et pas seulement une règle générale et tenir compte du degré de gravité de l'acte et de ses conséquences.

La dernière phrase du texte d'Adam Smith semble aller, au moins dans certains cas, dans le sens d'une distinction entre l'acte volontaire et l'acte involontaire, dans la mesure ou l'acte n'a pas eu de conséquences et avait un faible degré de gravité :

"Rien, pourtant, ne choquerait plus notre sens naturel de l'équité (c'est-à-dire de la justice) que de mener un homme à l'échafaud simplement pour avoir jeté avec insouciance une pierre dans la rue, sans faire de mal à personne."

 


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