La gauche américaine responsable du 11 septembre ?

par Busherie
jeudi 18 janvier 2007

Pour qui cherche à comprendre les évolutions de l’Amérique, la sortie du nouveau livre de l’auteur néoconservateur américain d’origine indienne Dinesh D’Souza, « The Enemy At Home : The Cultural Left and Its Responsibilty for 9/11 » (ed. Doubleday Publishing), met en lumière le profond bouleversement d’une partie de l’Amérique.

«  The Enemy At Home : The Cultural Left and Its Responsibilty for 9/11 » (L’ennemi chez nous : la gauche and sa responsabilité dans les attentats du 9/11) vient de paraître outre-Atlantique et y fait actuellement l’objet d’une couverture médiatique importante, aussi bien dans les médias conservateurs que dans les médias plus traditionnels.

Quelle thèse ce livre défend-il ? « Je dis que la culture de gauche (« cultural left ») et ses alliés au Congrès, les médias, Hollywood, le secteur non marchand, et les universités sont la cause première du volcan de haine envers l’Amérique qui se déverse depuis le monde islamique », nous dit D’Souza.

Pour provocante qu’elle soit, cette idée reprend en l’amplifiant la pensée fondamentale du néoconservatisme américain, apparue dès les années 1950 sous la plume du philosophe Léo Strauss et dont les tenants actuels ont trouvé dans l’administration Bush un moyen de mettre en oeuvre leur programme. A l’origine du livre, la croyance en la décadence d’un Occident empêtré dans une permissivité extrême, conséquence ultime de la pensée des Lumières. Les sociétés occidentales seraient ainsi la cause de la réaction fondamentaliste observée dans le monde musulman, qui ne supporterait pas l’avortement, les familles recomposées, la laïcité, etc.

La différence entre la pensée néoconservatrice et le livre de Dinesh D’Souza repose sur l’attribution de la responsabilité des attentats du 11 septembre, que l’auteur fait reposer non plus sur un groupe isolé d’extrémistes, comme cela est communément admis, mais sur une la décadence morale d’un Occident en déclin : « Ainsi sans cette culture de gauche, le 11 septembre n’aurait pas eu lieu. »

Ce qui étonne dans cette thèse est moins son contenu que l’écho qu’elle trouve auprès d’une partie de la droite américaine actuellement au pouvoir. Plusieurs éditoriaux (par exemple celui de www.newsmax.com) se contentent de souligner son caractère pour le moins iconoclaste, tout en la défendant sur le fond. A l’inverse, de nombreux journaux et médias s’en prennent violemment à l’ouvrage, ce qui donne à penser que l’opinion de D’Souza est loin de faire l’unanimité.

Malgré tout, la thèse de l’ennemi intérieur ( the ennemy at home ) reflète les profonds reculs des libertés individuelles que connaissent les Etats-Unis d’Amérique : Guantanamo, Abou Grhaib, la military commissions acts 2006. Autant de phénomènes qui pourraient laisser présager une extension de la répression au champ politique et associatif.

Alors même que la politique étrangère américaine a achevé de dilapider le capital de sympathie engendré par les attentats meurtriers de l’automne 2001, il serait facile de comprendre l’émergence de ce genre de thèse comme une une réaction de « mauvais perdant » face à l’ampleur des catastrophes engendrées par la réaction de l’administration Bush.

La vérité pourrait être plus sombre : le mouvement néoconservateur puise ses sources dans un rejet profond du libéralisme politique. L’embrasement du Moyen-Orient et la victoire démocrate aux récentes élections semblent annoncer un retournement politique. Cependant, l’enracinement des thèses néoconservatrices dans la société américaine et leur expansion dans d’autres pays (au Royaume-Uni, en France dans une moindre mesure) confirment que l’Occident traverse une crise de confiance.

Quant à la question du 11 septembre à proprement parler, il n’est pas besoin de gloser pour montrer la faiblesse de la théorie de D’Souza. Il paraît pour le moins facétieux d’accuser la gauche d’en être responsable alors même que l’administration Bush, pourtant en possession de renseignements multiples sur l’imminence d’une attaque (le PDB d’août sur la menace Ben Laden, les avertissements répétés des services secrets de dix pays), n’a pas été en mesure (ne l’a pas voulu ?) d’arrêter ou de limiter l’ampleur des attentats.

Avec le recul, les seuls bénéficiaires des attentats semblent précisément avoir été la mouvance Al-Qaida et les néo-conservateurs, aux dépens de l’immense majorité de la planète. Cette analyse a posteriori a poussé un nombre grandissant de personnes aux Etats-Unis à analyser plus précisément le rôle d’une partie de l’administration dans les attentats. Donald Rumsfeld, récemment démissionné de son poste de secrétaire à la Défense, vient tout juste de les qualifier de bénédiction.(1)

En définitive, la thèse de Dinesh D’Souza met en lumière les profonds bouleversements de la société américaine. Au-delà des alternances politiques, l’illibéralisme y a fait son chemin. Faire porter la responsabilité d’attentats qui ont fait plus de trois mille morts à la gauche, et plus largement au libéralisme politique et aux libertés individuelles, s’apparente à un rideau de fumée destiné à masquer la dangerosité et l’impuissance du néoconservatisme.

(1) http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/bush/dossier.asp?ida=454730&p=2


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