Le lob lifté de Martina Hingis

par Thucydide
mardi 10 janvier 2006

Le lob est un coup défensif du tennis qui permet de passer par-dessus son adversaire, monté au filet. Sa caractéristique, en particulier lorsqu’il est lifté, ce qui accentue sa trajectoire en forme de cloche, est de plonger très vite vers le sol après être monté très haut. A l’image de la carrière de la Suissesse Martina Hingis, petit prodige adulé du tennis féminin de la deuxième moitié des années 1990, prématurément contrainte à la retraite en raison de problèmes articulaires persistants.

Le sport de haut niveau nécessite un engagement si total et absolu qu’il est bien rare que ceux qui raccrochent longtemps puissent un jour espérer reprendre le train en marche : même quelques millimètres de distance perdue signifient généralement, au niveau mondial, la relégation à des centaines ou des milliers de place en arrière et les abysses de l’anonymat.

Ce constat est d’autant plus impérieux que la discipline concernée réclame un organisme d’une efficience optimale, comme en gymnastique, où les pratiquants sont « cuits » passés la vingtaine, voire avant pour les jeunes filles, dès le développement de la poitrine, parfois (à tel point qu’on peut se demander si, un jour, on ne verra pas certaines d’entre elles se faire retirer les glandes mammaires pour les mettre au congélateur le temps d’effectuer leur carrière sportive !).

A l’inverse, les sports d’endurance comme le vélo sont davantage favorables aux anciens (voir la longévité de Lance Armstrong, mais surtout de Jeannie Longo). Quant au tennis, déjà très stressant pour les articulations, il fait partie des sports les plus usants pour l’organisme. Mais la technique et -surtout, l’expérience sont d’une telle importance que l’âge d’or d’un joueur se situe un peu plus tard que pour les gymnastes, soit grosso modo entre 18 et 30 ans. Au-delà, le joueur est lourdement handicapé par une baisse, même légère, de vivacité, et surtout par l’usure progressive de ses tendons et articulations qui, tout en perdant de leur souplesse, nécessitent toujours plus de temps pour se régénérer, alors que le calendrier des compétitions n’autorise aucune pause. De ce point de vue, André Agassi, mais aussi notre Fabrice Santoro national sont des exceptions, en réussissant à compenser leur âge, le premier par un coup de patte hallucinant (qui aurait dû lui valoir une suprématie plus précoce et plus étendue, si le mental n’avait mis si longtemps à suivre), et le second par une science « comme on n’en fait plus » de la variation de balle, qui contraste avec la précocité vite éclipsée d’un Chang, pourtant de la même génération.

Mais ces cas sont de plus en plus rares dans la discipline. Ne parlons pas du phénomène Connors, digne du cirque Barnum, tant celui-ci semblait prêt à mourir la raquette à la main, n’ayant décroché que la quarantaine passée. Le plus célèbre des come-back tennistiques est sans aucun doute celui de cette autre énigme légendaire que fut Björn Borg. Malheureusement, l’expérience tourna vite à la déroute consternante, tant à cause de l’âge du retour (35 ans) que par la durée de l’absence (9 ans). Pis encore, la technique tout comme les matériaux avaient subi une profonde révolution durant cette même période, et Bolletieri, célèbre pour son école de stakhanovistes tennistiques, eut toutes les peines du monde à faire renoncer Borg à sa bonne vieille raquette en bois, sans succès malgré tout.

En ce qui concerne Martina Hingis, les chances de succès sont moins réduites : non seulement la Suissesse, absente de la compétition pendant trois ans, est encore fraîche, mais surtout, la technique et le niveau mondial (ainsi que l’engouement, d’ailleurs) sont entrés dans une phase de stabilisation, après l’explosion des années 1980 et 1990, ce qui l’autorise à croire qu’elle n’est pas dépassée. A 25 ans, elle n’a sans doute pas tiré toutes ses cartouches, même s’il faut remarquer qu’en raison de leur précocité, les filles avancent légèrement leur fourchette optimale par rapport aux garçons. C’est ainsi que, malgré son élimination lundi matin par Justine Hénin au tournoi de Sydney, son parcours plus qu’honnête de Gold Coast la semaine dernière peut lui permettre de suivre la trajectoire d’autres retours assez réussis chez les filles, à l’image de Monica Seles, longtemps écartée des courts par l’agression d’un détraqué, ou Jennifer Capriati, victime de ses mauvais penchants.

Le lob n’est pas l’arme favorite de Martina, qui est plutôt une joueuse de contre et de vitesse, encore capable d’en remontrer aux nouvelles générations de joueuses plus puissantes. Souhaitons tout de même que le lob formé par sa carrière retombera dans le court et sera gagnant, non seulement pour le piquant qu’un tel retour introduirait dans la compétition féminine, mais aussi et surtout, parce qu’après avoir été adulée en prodige de la discipline, elle a bien trop vite été réduite chez nous à une image d’enfant capricieuse et désagréable. C’est ainsi que, lors de sa finale perdue contre Steffi Graf à Roland-Garros, même s’il était naturel d’avoir un penchant pour l’élégance et le fair-play de cette dernière, on ne pouvait ne pas ressentir un profond et mortifiant malaise de voir une jeune fille à peine sortie de l’adolescence se faire copieusement siffler par un public de milliers de personnes, prétendument adultes, pour des « dérapages » très véniels.

Mais, allez comprendre : ce sont ces mêmes défauts -hargne et manque de fair-play, portés à un niveau autrement plus élevé- qui ont contribué, pour une part considérable, à l’aura d’un autre célèbre enfant terrible, l’inénarrable John McEnroe. Mais, au fait, saviez-vous que lui aussi fait son come-back ? Pas fou, tout de même : à 47 ans, papi McEnroe ne se berce pas d’illusions, mais son coup de patte (et de gueule ?) pourrait encore faire des ravages en double, une catégorie beaucoup moins traumatisante pour les articulations. Pari osé, mais s’il y parvenait, nul doute que l’audience du double, minable en temps normal malgré la grande variété technique qu’offre cette catégorie, atteindrait des sommets.


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