Asinus asinum fricat*…

par Jean Levain
mercredi 18 août 2010

Les Romains le disaient déjà : qui se ressemble, s’assemble ! A preuve le feuilleton de l’été, digne de « Dallas », qui montre le gratin de l’UMP fréquentant assidûment ce qu’avant-guerre on appela le Mur d’argent. Nés ou mariés avec la petite cuiller en or dans la bouche, les habitués des champs de courses et des bijoutiers de la place Vendôme, les énarques infidèles à leur vocation qui construisent leur carrière entre la haute administration et les conseils d’administration du CAC 40, les capitalistes familiaux ou non, les politicards libéraux ou ralliés mais tous cyniques, les vedettes des media, on est entre soi, loin des bas « intérêts catégoriels » du peuple mais près des lobbies organisés. Un jet set à la française, en somme, qui se retrouve dans les grands hôtels du Maroc, au Fouquet’s ou sous les lambris dorés des ministères.
Ce n’est pas nouveau non plus. Les Romains, eux, avaient leurs « patriciens ».

Le brave député et plus encore le brave militant de l’UMP, se retrouvent marrons. On leur fait vendre à coups de clairon et à l’enseigne de la croix de Lorraine le travail, l’effort, la libre entreprise ou l’indépendance de la France. En fait, il s’agit d’un pâle succédané du libéralisme américain des années Nixon et de la destruction organisée de ce qui permet à la France d’être autre chose qu’un simple marché de consommateurs.
Pourtant, comprendre que rien ne va plus quand un ministre-trésorier de parti envoie, avec la bénédiction présidentielle, sa propre épouse faire passer le tronc de la paroisse chez les titulaires de gros chéquiers, ce n’est pas si compliqué. Pas davantage, de sentir qu’ils sont devenus les jouets dociles d’un politicien qui, devenu président de la République, n’a aucun scrupule à vendre au nom du gaullisme un ersatz profondément matérialiste, sans base intellectuelle sérieuse et socialement réactionnaire.


Lui et son état-major tirent sans cesse de nouvelles traites politiques sur l’avenir, qu’il leur faut rembourser de plus en plus vite. Alors, pour garder un peu de crédit auprès des électeurs-créanciers, on finit nécessairement par faire appel à leurs peurs, voire à leurs bas instincts. Si les choses ne vont pas, s’il y a de plus en plus de chômeurs et de misère ouverte ou cachée dans le pays, ce sera donc la faute de l’étranger maléfique qui vient manger le pain des Français. Alors, il faut le désigner à la vindicte publique, le chasser, l’expulser, en attendant peut-être autre chose. Car dans l’Histoire, ce genre de cinéma a toujours précédé des agressions plus directes. Aujourd’hui, ce sont les étrangers (musulmans bien sûr, ou Noirs) et les gens du voyage. Qui, demain ? Dans certains pays d’Europe orientale, comme la Hongrie, l’antisémitisme a déjà fait sa réapparition.

Or le problème de la Droite, c’est précisément d’avoir une tradition politique si imprégnée de « réalisme » que souvent, au moment critique, elle ne sait pas dire « non » comme surent le faire un Churchill ou un de Gaulle, pourtant éduqués à l’école conservatrice.
Elle est alors incapable de s’arrêter sur la pente savonneuse qui mène au pire. Prisonnière du concept d’« efficacité », elle recherchera donc, faute d’efficacité politique républicaine, l’« efficacité » politicienne et populiste.
En dévoilant une vision des gens du voyage et des « étrangers » qui sent fort l’Europe Centrale, la haineuse avant-guerre mais aussi le club d’anciens de l’extrême-droite récupérés par Pasqua, son mentor neuilléen, le président Sarkozy affiche maintenant le seul côté à peu près stable de sa pensée politique, en admettant qu’il en ait une.
Rien n’oblige pourtant à le suivre sur ce terrain. Car même s’il l’a oublié, la vocation du pays d’accueil de sa famille, la France, a toujours été dans l’autre sens.
A part le lamentable épisode vichyste, elle a en effet recherché son identité nationale, non dans le repli sur soi et l’égoïsme féroce mais dans le refus d’une centralité négative de l’Europe. La République, mais aussi avant elle les Rois ou les Empires qui s’y sont succédé et qui ont créé puis dépassé un hexagone devenu trop exigu, ont toujours voulu être universels.

Mais comment être universel, si l’on commence par refuser l’Autre, alors qu’on ambitionne de partager avec lui des idées, une foi dans la République et les valeurs d’une culture vivante qui se développe et se renouvelle, des projets de développement dans la paix et le respect de la Nature, bref le désir d’exister pacifiquement mais fortement dans le monde ? Comment répondre aux défis de la fameuse mondialisation sans affirmer, non une vague « tradition chrétienne » ou un communautarisme blanc, mais une puissante originalité au travers d’une
langue universelle et d’une force d’assimilation et de transformation de nouveaux citoyens ?

Une nation qui veut compter doit nécessairement convaincre, même si c’est dans la paix. Alors, pour notre gouvernance, ce ne sont pas des ânes bien gras qui se frottent entre eux et exploitent les peurs comme un fonds de commerce politique ou économique qu’il nous faut, ce sont des femmes et des hommes qui aient envie d’inventer ensemble et d’avancer ! Respect, solidarité, créativité et citoyenneté universelle !
 
*L’âne frotte l’âne, autrement dit : dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu es ou : qui se ressemble, s’assemble ! Mais l’expression latine, plus raccourcie, est aussi plus..rustique !

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