Plus vite, plus haut, plus fort (Citius, altius, fortius)**

par Jean Levain
jeudi 19 août 2010

En contrepoint à la triste fin du feuilleton des Bleus qui s’analyse comme la défaite d’un ménage mal assorti entre l’argent et le monde associatif, les athlètes français viennent, à Barcelone, d’infliger au travers de leurs résultats mais surtout par leur esprit et leur manière, un cinglant démenti aux lamentables déclarations du président de la République. Selon lui, la politique d’intégration poursuivie en France depuis cinquante ans aurait été un échec. Et de nous proposer dans la foulée un nouveau fatras juridico politique dont la clef de voûte serait une espèce permis à points permanent pour rester Français. Points négatifs bien sûr car les points positifs ne s’accumulent pas et, contre toute logique, les Français « de souche » (?) ne seront pas déchus de leur nationalité même s’ils sont condamnés !

A Barcelone, nos athlètes ont foulé aux pieds ce genre d’élucubrations : ils incarnent la France de l’avenir, ils nous ont fait redécouvrir le panache, la générosité, l’intelligence. Ils sont dans le positif, l’action, l’exemple, la cohérence mais, pour être collectifs, ils n’abandonnent pas pour autant leurs projets personnels.
C’est un peu le fil rouge de toutes leurs déclarations : « L’équipe d’abord, parce que c’est bon d’être ensemble et que c’est efficace. Mais moi aussi, je compte et je me réalise au travers le la performance ». En termes plus construits, il leur paraît absurde d’opposer l’individualisme et le collectif. De même, pensons-nous, toute entreprise politique visant, au travers de la communication permanente, à faire du citoyen un simple consommateur de produits et d’idéologie est promise à l’échec ultime, ce qui ne l’empêchera pas de faire beaucoup de dégâts en attendant.

Mais c’est la manière, surtout, qui frappe. Quel plaisir de voit des athlètes venus d’ailleurs mais souvent de la sphère culturelle française (et qu’importe, d’ailleurs !) ou déjà implantés depuis une ou plusieurs générations dans notre pays, s’identifier à leur région sportive d’adoption et porter fort les espoirs sportifs de leurs camarades qui les aident à leur tour dans ce combat permanent contre soi-même qu’est le sport de haut niveau. Ils chantent leur Marseillaise chacun à leur façon mais avec foi et plaisir, pas sur le ton constipé du « Maréchal, nous voilà ! ».
Le sport ne représente certes pas tout le corps social et il peut être détourné à des fins de propagande par certains régimes. L’UMP ne s’est d’ailleurs pas privée d’y faire appel en y puisant une partie de des ministres bons ou mauvais, pour redorer son image politique.

Mais quand il se libère de la politique et du fric, le sport est l’image même d’une nation. Il mobilise et fédère sa jeunesse, valorise ses qualités naturelles, symbolise l’alliance du corps et de l’intelligence du corps social. Il est un pilier de l’éducation et, tout au long de la vie, contribue au maintien de l’équilibre personnel du citoyen, donc d’un meilleure exercice de sa citoyenneté. Aussi reflète-t-il, s’il est authentique, la capacité d’action d’un pays.
La France black-blanc-beur (mais n’oublions pas tout de même notre composante asiatique !), la vraie, c’est celle de Barcelone, ville qui fut aussi -est-ce un hasard- le refuge du gouvernement démocratique de la République espagnole. Et il nous faut non seulement l’accepter mais la revendiquer haut et fort.

La vérité, c’est que la France, comme tous les autres pays d‘Europe grands ou petits, est devenue non pas multiculturelle mais uniculturelle. Elle a d’ores et déjà intégré, et Barcelone le prouve, des millions de gens qui ont eux-mêmes créé par alliance ou descendance des familles bien françaises. Elles le sont, dans l’esprit, parfois bien davantage que des Français « de souche » qui firent, voici cinquante ans et même après, de très grosses bêtises. Le nier, prétendre revenir en arrière ou instaurer une nationalité sur la base d’un abracadabrantesque permis à points, n’est pas seulement ridicule et absurde, c’est très dangereux.
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L’identité française, ce doit être précisément de ne pas céder aux vieux démons qui infectent à nouveau l’Europe, encore moins de les encourager. C’est d’avancer vers une France nouvelle qui, loin du nombrilisme racial et de l’obsession individualiste et consommatrice, recherche la solution de ses difficultés et le progrès social par le haut. C’est ainsi qu’elle se profilera hardiment dans une compétition internationale qui est loin de se limiter à la seule et apatride compétition économique. De cela, même les dirigeants américains ont pris conscience et mènent aujourd’hui une politique équilibrée et courageuse.
La compétition internationale, l’athlétisme économique et politique, c’est bien autre chose que la chasse à l’étranger ou aux voix de droite, le démantèlement du service public ou la communication tenant lieu de politique. C’est toute une ingénierie sous-tendue par une pensée politique forte, pacifique mais sans complexe, enrichie par l’expérience de l’Histoire

A leur manière et avec la manière, les athlètes français ont, à Barcelone, montré l’exemple et ouvert la piste : ni individualisme ni collectivisme, pas de complexe d’être Français, du travail, de la créativité. De même que le sportif n’est rien sans un soutien technique et moral mais qu’un appareil sportif n’est rien sans athlètes, un pays qui s’assume doit croire en lui-même, cesser de botter en touche à toute occasion et de s’inventer des boucs émissaires. La France doit ressembler à aux athlètes de Barcelone, aux footballeuses de l’équipe nationale ou aux Bleuets, non aux Bleus du Mondial, étouffés et gangrenés par l’argent. Mais pour comprendre tout cela il faut l’étoffe d’un homme ou d’une femme d’état et il semble que dans ce pays, on ait depuis des années réussi à faire oublier ce que c’était.


** La devise olympique en latin…quoique ce soient les Grecs qui aient inventé les Jeux et qu’un Français, Pierre de Coubertin, les ait réactualisés.

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