A qui profite l’inflation des produits alimentaires en France ?

par Eliane Jacquot
jeudi 20 avril 2023

On ne constate pas de répit sur la hausse des prix de l'industrie agroalimentaire. La valse des étiquettes profite essentiellement aux entreprises au détriment du coût du panier de la ménagère.

De plus la spéculation d'acteurs privés sur les marchés mondiaux s'est amplifiée depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie au moment où le monde doit faire face à une grave crise, comme le souligne David Beasley, directeur du Programme alimentaire mondial.

 

La hausse discontinue des prix alimentaires

Les prix des produits alimentaires ont progressé de 15% sur un an, d'après les dernières données de l'Insee publiée en mars 2023. Ce rythme devrait se poursuivre jusqu'à la fin de cette année sous réserve d'aléas et d'incertitudes géopolitiques très élevés. Cela conduit à des répercussions sur le pouvoir d'achat des français avec environ 13 millions de foyers fragilisés financièrement, la plupart d'entre eux vivant dans des communes rurales ou de petite taille. « Pour les 10% les plus pauvres, le prix du panier a augmenté d'un peu moins de 14%, mais cette hausse représente 13% de leurs ressources... En moyenne, le coût du panier a progressé de 16% avec de fortes disparités d'un produit à l'autre » relate une étude récente publiée par France Stratégie ( 1 ). Parmi les produits ayant subi une forte hausse sur un an, on peut citer le sucre ( +81%), l'huile de tournesol ( +79% ), et les produits laitiers. Face à cette spirale infernale, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a proposé un « trimestre anti inflation » et appelé en vain la grande distribution à réduire ses marges.

Taux de marge des entreprises de l'industrie Agroalimentaire et pricing power 

Le taux de marge se définit par le rapport de l'excédent brut d'exploitation ( EBE) à la valeur ajoutée ( VA) qui rend compte de ce qui reste à l'entreprise après rémunérations salariales pour investir et rémunérer le capital. L'Institut de la Boétie ( 2) observe dans un point de conjoncture au travers d'un graphique Insee une pente ascendante du taux de marge des entreprises. Le constat est le suivant « entre les quatrièmes trimestres 2021 et 2022, les profits du secteur ont doublé ( passant de 3 à 6 milliards ) tandis que la rémunération des salariés n'a augmenté que de 3% ( passant de 6,7 à 6,9 milliards ). Parmi les multinationales concernées on peut citer Casino, Carrefour, Danone, Pernod Ricard.

Ces entreprises largement internationalisées sont en position de force de par leur fort pouvoir de négociation sur le marché des biens ( pricing power ) sans que la demande soit affectée tout en parvenant à préserver la modération de leurs couts salariaux. Réticentes à établir plus d'égalité entre les parties prenantes de l'entreprise, on y observe la déformation du partage des revenus au détriment des salariés, pesant sur leur pouvoir d'achat. Des études récentes dont celles conduites par la sociologue belge Isabelle Ferreras montrent que la participation des salariés au capital, à la gouvernance et aux décisions a un effet positif sur les performances des entreprises. Les salariés, en pesant sur le projet de leur entreprise permettent de palier aux dérives du capitalisme financiarisé. Ces derniers ne détiennent que 3, 5% du capital des grandes entreprises. On a vu ici à quel point la valse des étiquettes brouille les cartes sur la chaine de valeur de l'industrie agroalimentaire.

Les multinationales du négoce, maitres du jeu

Inconnus du grand public, les acteurs de la tendance haussière se trouvent en amont de la filière. Au cours de la décennie 2020 on assiste à un retour en force des spéculateurs sur les marchés alimentaires mondiaux. Sur les marchés à terme des matières premières agricoles ( dont le blé, le sucre ) les producteurs vendent aux industriels leurs futures récoltes. Les autres intervenants sont les banques d'investissement et les fonds de placement qui représentent sur le marché parisien près de huit acheteurs sur 10 pendant le mois de juin 2022 ! A l'origine, les marchés à terme permettaient aux exploitants agricoles d'avoir une garantie sur le prix de revente de leurs récoltes ; mais de nos jours les acteurs financiers contrôlent ce marché et alimentent la spéculation à la hausse et à la baisse des prix des matières premières. Il conviendrait de proposer des mesures concrètes pour encadrer ces pratiques au niveau d'une politique mondiale de régulation, en excluant les spéculateurs des marchés sur les denrées alimentaires et en exigeant plus de transparence sur ces marchés.

 

Au vu de ces observations, la grave crise alimentaire à laquelle nous assistons risque de s'installer durablement et avec elle l'inflation, au risque de provoquer une boucle prix-salaires. Dans un contexte de marchés dérégulés, l'industrie financière fait toujours preuve d'une grande imagination à travers l'apparition de marchés dérivés opaques et cette flambée spéculative a des conséquences très négatives sur la hausse des prix alimentaires. Pour sortir du paradigme du capitalisme néolibéral, les Etats devraient reprendre le gouvernail.

 

( 1) Note d'analyse n°119 France Stratégie

( 2) Institut La Boétie point de conjoncture n° 1

 


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