Avancées sociales et remise en cause du partage de la valeur

par Eliane Jacquot
vendredi 10 février 2023

Le débat sur le partage de la valeur prend un relief particulier sur fond de résultats records et de dividendes versés par les firmes européennes et celles composant l'indice CAC 40 en 2022.

Dans ce contexte, l'entreprise pourrait-elle jouer un rôle sociétal en modernisant ses dispositifs de participation et d’intéressement au moment où sur fonds de conflits sociaux et de flambée des prix des matières premières les revendications salariales sont fortes

En inventant de nouveaux outils tels le « dividende salarié » proposé par l'Elysée et Bercy malgré le scepticisme de l'Association française des entreprises privées ( Afep), le président du Medef et les représentants de la Confédération des PME ( CPME). De nombreuses études récentes montrent que la participation des salariés à la gouvernance de l'entreprise a un impact positif sur sa performance économique. D'où la nécessité d'aller vers un modèle démocratique qui fonde une organisation équilibrée et respectueuse des parties prenantes, timides objectifs décrits par la loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises adoptée en 2019.

Les superprofits des firmes internationales et leurs limites

Les entreprises composant l'indice MSCI Europe ont distribué 382 Mds d'euros à leurs actionnaires en 2022, en progression de 23% d'après une étude récente publiée par la société de gestion Allianz Global Investors.

En France le bal des résultats annuels vient de commencer sur fond de performances exceptionnelles réalisées par les géants du luxe et des sociétés financières, BNP Paribas annonce des résultats provocants , sans oublier Total Energies dont les flux de trésorerie d'exploitation ont progressé de 56%. D'après la Lettre Vernimmen. Net publié en janvier 2023 les Groupes du CAC 40 ont versé 80,I Mds d'Euros à leurs actionnaires sous forme de rachats d'actions, niveau jamais enregistré et 56,5 Mds d'Euros de dividendes. Sept groupes de l'indice, entreprises matures, ont redistribué plus de 50 % des capitaux propres à leurs actionnaires, en lieu et place d'investissements dont, LVMH, Sanofi, suivis par des financières, BNP Paribas, AXA, Crédit Agricole, contraintes de renforcer leur solvabilité. La pression environnementale monte sur les grands groupes appelés à davantage partager et financer la transition écologique. Qu'en est-il de leurs capacités d'innovation, issues de leur situation de trésorerie pléthorique et de leur politique de distribution des liquidités générées ?

Dans ce scénario de hausse continue des profits, les 114 entreprises qui composent l'Afep ( Carrefour, Danone, Seb, Vinci …) semblent réticentes à établir plus d'égalité entre les salariés et leurs employeurs qui selon elles sont les premiers bénéficiaires de la valeur ajoutée crée. C'est aussi 68 % des dirigeants de la CPME qui sont défavorables à l'instauration d'un dividende salarié selon une récente enquête réalisée à leur demande.

Mais le gouvernement est décidé à mener à bien son projet et Bruno Le Maire a déclaré le 20 Janvier de cette année sur BFM Business « on ne peut pas demander aux français de travailler plus longtemps et ne pas garantir en même temps une plus juste rémunération de leur travail. » Ces mesures de politique publique représentent un chantier essentiel qui s'il est mené à terme serait garant d'un retour à une paix sociale indispensable.

Modalités pratiques de la participation des salariés à la gouvernance d'entreprise

Les mécanismes de participation et d’intéressement y existent depuis 1959 et la France est le pays européen qui compte le plus de salariés devenus actionnaires en souscrivant des Plans d’épargne entreprise ( PEE) ou des fonds communs de placements collectifs ( FCPE). C'est au sein des entreprises du CAC 40 que la part du capital détenue par les salariés est la plus importante, 3, 5% mais loin de l'objectif des 10% de la loi Pacte qui permettraient aux salariés de bénéficier de la hausse de la valeur entrepreneuriale. Il existe aussi un mécanisme de Stocks Options au sein des entreprises cotées essentiellement attribués à leurs cadres dirigeants, permettant à un nombre très restreint de personnes d'en détenir le capital. La codétermination, issue de la loi Pacte se caractérise par la participation dans les Conseils d'Administration( CA) ou de Surveillance de représentants de salariés leur permettant de peser dans les choix stratégiques de l'entreprise. L'objectif étant de dépasser les relations conflictuelles syndicats/ patronat en fondant une organisation équilibrée et respectueuse des parties prenantes internes. Mais la France n'en est qu'à ses balbutiements avec la présence de seulement deux représentants des travailleurs au CA alors que ceux des des grandes entreprises allemandes sont pour moitié composés de salariés depuis très longtemps . L'extension de la loi Pacte devrait rapidement concerner le tissu des PME et ETI souvent industrielles qui créent des emplois au cœur des territoires et des villes moyennes et délocalisent peu.

Visant à aboutir à une démocratisation de l'entreprise Timothée Duverger, Directeur à la Fondation Jean Jaurès souhaite exporter le principe d'une responsabilité entrepreneuriale caractéristique des entreprises de l'économie sociale et solidaire ( ESS) au niveau des PME de l'économie de marché en s'inspirant d'un régime mis en place aux Etats Unis l'Esop ( Employee Stock Ownership Plan ), conduisant les travailleurs d'accéder à la propriété.

Plus audacieux, Pascal Demurger DG de la MAIF, filiale du Credit Mutuel réinvente le partage de la valeur au bénéfice de la planète en lançant un « dividende écologique » permettant d'engager 10% des bénéfices annuels dans des projets de solidarité climatique et de régénération de la biodiversité. La MAIF a aussi adopté une stratégie climat en excluant les énergies fossiles de ses placements.

 

Souhaitons que toutes ces initiatives au cœur des mutations contemporaines conduisent à un nouveau texte succédant à la loi Pacte. Cela permettrait d'inscrire la France dans une perspective où les salariés et leurs représentants syndicaux seraient en mesure d'équilibrer les dérives d'un capitalisme trop financiarisé.

 


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