Deux âmes dans une même poitrine, c’est nous !

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 26 janvier 2023

« Mann a écrit des pages sublimes pour qualifier l'amitié entre Curtius et Gide. Il a écrit qu'ils étaient "deux âmes dans une même poitrine". Voilà une haute image de la complicité morale, de la fraternité de destin, de ce que nous sommes. Deux âmes dans une même poitrine. Elles ne se ressemblent pas et elles n'ont pas la même histoire, mais elles sont dans cette même poitrine et elles battent à l'unisson. Deux âmes dans une même poitrine, c'est nous. » (Emmanuel Macron, le 22 janvier 2023).

Ce dimanche 22 janvier 2023 dans la matinée, dans le prestigieux amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, devant de nombreux responsables français et allemands, dont le Chancelier allemand Olaf Scholz, la Présidente du Bundestag Bärbel Bas et la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, le Président de la République française Emmanuel Macron a conclu la cérémonie du soixantième anniversaire du Traité de l'Élysée par un appel à la poursuite de l'amitié franco-allemande.

Son laïus sur les deux âmes dans une même poitrine visait à raffermir les liens franco-allemands : « Sachez toutes et tous ici aujourd'hui, pouvoir compter sur notre détermination ensemble à continuer à faire de l'amitié entre l'Allemagne et la France l'un des arbres de vie de la souveraineté européenne. Sachez que l’un l’autre, nous continuerons de faire avancer ce couple jadis impossible qui est le fruit simplement de la volonté, du courage et de la force et nous le ferons ensemble pour qu’à votre tour, vous, vous puissiez célébrer cette part d’histoire, mais surtout continuer de bâtir la vôtre en ayant tous les choix et la liberté en particulier de choisir votre avenir. C’est notre responsabilité pour vous. Vive l’amitié entre l’Allemagne et la France et vive notre Europe ! ».

Effectivement, le 22 janvier 1963 à Paris, au Palais de l'Élysée, la France et l'Allemagne ont conclu un traité d'amitié entre les deux pays, se proposant des coopérations dans de nombreux domaines, en particulier l'éducation, la jeunesse, la diplomatie, la défense, la recherche, etc. L'idée de l'Allemagne était de se tourner résolument vers la paix et de tourner définitivement la page du nazisme. L'idée de la France était de consolider la Communauté Économique Européenne naissante autour d'un axe franco-allemand fort qui la rendrait indépendante des deux puissances de la guerre froid, l'URSS mais aussi les États-Unis.



Parmi les signataires, il y avait du côté français : le Président de la République De Gaulle, le Premier Ministre Georges Pompidou et le Ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville ; du côté allemand, le Chancelier Konrad Adenauer ...et un certain Gerhard Schröder (1910-1989), pas celui qui fut le Chancelier social-démocrate entre 1998 et 2005, mais (c'était un homonyme) le Ministre des Affaires étrangères démocrate-chrétien de 1961 à 1966 (puis ensuite, Ministre de la Défense de 1966 à 1969 et avant, Ministre de l'Intérieur de 1953 à 1961).

Cette signature a eu d'autant plus de force que De Gaulle avait combattu pendant la guerre et que les deux pays étaient des ennemis héréditaires depuis Bismarck, la guerre de 1870 et l'unification allemande. Les Français ressassaient sur deux générations une forte rancœur à cause de l'annexion de l'Alsace-Moselle. Ce qu'on a appelé donc le Traité de l'Élysée était le signe d'une grande réconciliation franco-allemande et un modèle pour les conflits internationaux ultérieurs. De Gaulle proclama ainsi : « Il n’est pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte (…) parce qu’il ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier. ».

Sur le plan pratique, le Traité de l'Élysée prévoit des sommets franco-allemands réguliers : au moins deux fois par an pour les chefs d'État et de gouvernement, au moins trois fois par an pour les ministres des affaires étrangères. À l'échelle des citoyens, plus de 2 300 jumelages ont été conclus entre des communes françaises et des communes allemandes afin de vivre le rapprochement franco-allemand dans la proximité de la population. Depuis soixante ans, près de 400 000 programmes d'échanges ont été menés pour les jeunes afin d'apprendre la langue du voisin et 10 millions de mobilités entre les deux pays.

Le Traité de l'Élysée a été renforcé par un autre traité de coopération franco-allemand, le Traité d'Aix-la-Chapelle signé le 23 janvier 2019 par Angela Merkel et Emmanuel Macron.



Cette journée du 22 janvier 2023 a été très dense pour les deux délégations : après la cérémonie à la Sorbonne (qui rappelle le discours de la Sorbonne), se sont tenus au Palais de l'Élysée un Conseil des ministres, suivi d'une conférence de presse commune du Président français et du Chancelier allemand, puis un Conseil franco-allemand de la défense et de la sécurité.



Sur la défense, les deux pays « continueront de réévaluer l’étendue de leur soutien en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain » (finalement, Olaf Scholz a pris la décision de livrer des chars Léopard à l'Ukraine) et « intensifieront leur partenariat d’armement stratégique, qui joue un rôle moteur pour le développement de l’industrie européenne de la défense ». La France et l'Allemagne veulent également « mener, dans le cadre de notre présence militaire dans la région indopacifique, un exercice franco-allemand conjoint et envisageons des exercices trilatéraux en mer impliquant les forces armées de nos partenaires de la région, afin d’illustrer tant notre volonté que notre capacité de soutenir l’ordre international fondé sur des règles de droit dans cette région d’importance ».



Pour ce qui est du conseil des ministres franco-allemand, le vingt-troisième de ce type et premier pour chacun des deux gouvernements (nommés récemment, en décembre 2021 pour celui du Chancelier Olaf Scholz et en juin 2022 pour celui de la Première Ministre Élisabeth Borne), ces deux gouvernements souhaitent « renforcer nos liens dans tous les domaines qui sous-tendent une véritable souveraineté européenne, en commençant par une politique étrangère et de sécurité européenne forte, le renforcement de la défense européenne, une politique industrielle, technologique et numérique solide, une économie forte, la sécurité énergétique, la transition vers une économie verte et la consolidation du modèle démocratique européen ».

Lors de la conférence de presse commune, Emmanuel Macron a insisté sur le but de cette coopération franco-allemande : « Notre objectif est le même, c'est bien celui d'une Europe plus souveraine, plus unie, plus solidaire, maîtrisant pleinement son destin et c'est d'ailleurs cet objectif qui a présidé à nos décisions franco-allemandes puis européennes pendant la pandémie afin de bâtir une réponse commune, sanitaire mais également financière et dès le début de cette guerre, avec l’aide apportée à l’Ukraine, les sanctions à la Russie et notre coordination constante. ».



Sur l'Ukraine : « Nous avons à cet égard confirmé (…) notre détermination sans faille à soutenir l'Ukraine dans tous les domaines et aussi longtemps que nécessaire et à continuer d'agir de façon étroitement coordonnée entre nous et avec nos principaux alliés. Notre détermination restera totale à aider les Ukrainiennes et les Ukrainiens dans leur combat. Et quand il faudra reconstruire l'Ukraine, nous serons là en Européens. Le retour de la guerre sur notre continent a également beaucoup rapproché nos convictions communes sur ce que nous devons être capables de faire pour nous-mêmes, là aussi en Européens. ».

Mesure symbolique parmi d'autres, l'attribution de 60 000 billets de train franco-allemands gratuits réservés aux jeunes Allemands et aux jeunes Français pour leur permettre d'étudier l'autre langue : « Chaque génération est en effet tenue de conquérir pour la suivante une part supplémentaire de paix, de prospérité, de fraternité. Et nous prenons ainsi les dispositions pour avancer encore davantage sur ce chemin de l'amitié commune et concrète. ».



L'horizon, Emmanuel Macron l'avait tracé dans la matinée à la Sorbonne : « Pionnières, ensemble pour une Union Européenne capable de s'assumer comme puissance géopolitique à part entière en matière de défense, en matière spatiale, en matière diplomatique. Pionnières, enfin, pour une Union plus efficace, plus protectrice et qui défend ses valeurs. Car au fond, notre objectif de souveraineté est de s'assurer de tenir notre destin entre nos mains. Et nous devons le mettre au profit de nos valeurs communes, de notre modèle européen qui repose sur notre humanisme, notre attachement à la liberté et à la solidarité. Alors, achevons ensemble d'en faire en l'espace d'une génération, un espace de solidarité et de liberté, celle de penser, de créer, de voyager, d'entreprendre, d'innover, de rêver. Cette Europe pour laquelle, ensemble, Allemagne et France seront pionnières, est celle des universités, de la musique, de la littérature, de la création, des théâtres, de la culture. Cette Europe, c'est celle qu'ensemble nous voulons refonder. ».

Le plus important, c'est « s'assurer de tenir notre destin entre nos mains » : le maître mot d'Emmanuel Macron depuis le début de son premier quinquennat, c'est en effet la souveraineté européenne. Un concept qui a de plus en plus de concrétisations depuis le début de la pandémie du covid-19.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Conférence de presse commune d'Emmanuel Macron et Olaf Scholz le 22 janvier 2023 à Paris.
Discours du Président Emmanuel Macron le 22 janvier 2023 à la Sorbonne à Paris (vidéo et texte intégral).
Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
Bonne retraite, Frau Merkel !
Le pacte franco-allemand historique du 18 mai 2020.
Konrad Adenauer.
Alfred Grosser.
10 et 11 novembre 2018 : la paix, cent ans plus tard.
Commémoration en 1984.
Les risques de la germanophobie.
L’amitié franco-allemande.


 


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