France – Allemagne : poursuivons la tāche

par Emmanuel Morucci
mercredi 25 janvier 2023

Le couple franco-allemand, ainsi dénommé en France, est une union forte de deux nations. C’est l’ensemble majeur de la construction européenne depuis plusieurs décennies. Il concerne aujourd’hui une population de plus de 150 millions d’habitants.

Cette année les deux nations fêtent le 60e anniversaire du Traité de l’Élysée. Ce dernier fixe les objectifs d’une coopération entre l’Allemagne et la France dans les domaines des relations internationales, de la défense, de l’éducation et de la jeunesse. Surtout, ce traité entérine la relation de confiance et d’amitié qui s’est instaurée entre ceux que l’on peut qualifier d’anciens « ennemis héréditaires ». C’est cela qui est remarquable et important car réalisé une petite dizaine d’années seulement après le début de la réconciliation. Ne l’oublions pas car c’est le fondement majeur de notre Union européenne telle que nous la connaissons d’aujourd’hui. Elle trouve son essence dans la Déclaration de Robert Schuman du salon de l’Horloge le 9 mai 1950. « En quinze lignes, il proposait tout simplement de supprimer l’opposition séculaire entre la France et l’Allemagne » se souvient Jean Monnet.1

À l’époque, il s’agissait de faire se rencontrer les jeunesses des deux nations afin de rapprocher deux pays, deux peuples, deux cultures, un passé et un passif historique commun. Comme beaucoup j’en ai bénéficié. Ce fut ma première découverte de l’Allemagne.

Au nom de la paix, de la solidarité et de la prospérité cela a fonctionné au fil des ans. C’était une volonté citoyenne et pas seulement une décision de chefs d’État. Même si, on se doit de le souligner, de bonnes relations entre dirigeants des années d’après-guerre ont grandement facilité les choses. C’était aussi une vision de Schuman : « Au delà des institutions et répondant à une aspiration profonde des des peuples, l’idée européenne, l’esprit de solidarité communautaire, ont pris racine »2. La coopération franco-allemande est de cet esprit.

Elle est la pierre angulaire pour l’avenir de l’Union. Plus que jamais, elle repose sur le succès et de la pérennité de cette coopération exceptionnelle et originale dans le monde. Robert Schuman l’annonce : « Cette idée "Europe" révèlera à tous les bases commune de notre civilisation et créera peu à peu un lien semblable à celui dont naguère se sont forgées les patries. Elle sera la force contre laquelle se briseront tous obstacles ». Il ajoutait que ce ne serait pas toujours simple car disait‑il « rien de durable ne s’accomplit dans la facilité ». Notre époque le confirme à nouveau.

Au cœur du projet européen qui en découle, la citoyenneté européenne est une réalité pour les deux pays.

Souvent occultée, sinon comprise comme un ensemble de droits – dont la libre circulation des personnes, l’élection au suffrage universel des députés au Parlement européen et l’éligibilité lors des élections locales et européennes – cette citoyenneté commune s’affirme être un moteur pour que Allemands et Français avancent de concert.

Le projet européen repose en grande partie sur la compréhension et l’acception de cet élément de la culture commune des membres de l’Union européenne.

Mais cette citoyenneté est-elle véritablement installée dans les consciences, voire même acceptée ? Si elles ne peuvent se confondre avec la nationalité, ni la citoyenneté commune ni la culture de l’UE ne font l’objet, sauf à de rares exceptions, d’un enseignement ou d’une éducation dans l’un et l’autre pays. C’est pourtant une base essentielle pour que le projet européen puisse se poursuivre avec une plus forte intégration, et à terme peut-être une définition nouvelle de ce que sont l’Union et sa gouvernance.

Le CECI, avec le soutien du Fonds citoyen franco-allemand, les patronages de la Commission européenne et du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, a voulu en 2022 ouvrir la réflexion en organisant en décembre dernier un colloque qui faisait suite à un questionnaire en ligne dans le prolongement de ses travaux lors de la Conférence pour l’Avenir de l’Europe.

Cette consultation s’est déroulée à la fois dans un contexte international et européen bouleversé (Covid, Guerre en Ukraine), et dans la perspective du 60e anniversaire du Traité de l’Élysée. L’analyse a permis de se poser les questions de la formation, de l’éducation et de la socialisation à l’Europe des citoyens de l’Union européenne en prenant spécifiquement le prisme franco-allemand et celui de l’intergénérationnel. Il a donné lieu à des échanges approfondis. Les pratiques comparatives et explicatives ont permis de faire faire émerger des réalités, avec similitudes mais aussi différences. Deux visions de la citoyenneté européenne comme constituant majeur ont ainsi été explicitées lors de ce premier colloque rassemblant des acteurs des deux pays.

2023, année du 60e anniversaire du Traité de l’Élysée, doit permettre d’approfondir les deux questions centrales de cette citoyenneté partagée et l’acceptation de la culture commune. Sans laquelle, les décisions prises au niveau de l’UE aussi bonnes soient-elles ne seront intégrées par les peuples européens.

Cela n’enlève en rien les contenus des cultures nationales. Bien au contraire, il faut les faire connaître. C’est tout l’esprit des relations franco-allemandes de notre temps, au même titre que l’union des pays européens. « L’établissement des relations culturelles que nous développons entre la France et l’Allemagne, entre étudiants, professeurs, scientifiques, syndiqués, etc., marque des progrès exceptionnels » écrit en son temps Schuman. Poursuivons la tâche.

1 Jean Monnet Repères pour une méthode, propos sur l’Europe à faire, Fayard.

2 Robert Schuman, Pour l’Europe, Nagel.


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