Iran : est-ce déjà trop tard ?

par PAF 2.0 (Politique arabe de la France)
mercredi 7 décembre 2005

L’Iran veut la bombe, et il apparaît plus clairement chaque jour qu’il parviendra à ses fins.

« La vérité sort de la bouche des enfants », dit l’adage populaire. Il n’y a pas d’enfants sur l’arène diplomatique, mais au moins un débutant : Philippe Douste-Blazy. Notre ministre des Affaires étrangères manque cruellement d’expérience, c’est l’avis de la plupart des observateurs. Il a pourtant, lundi, trouvé le mot juste, celui qui décrit le mieux la situation de l’Occident face aux visées nucléaires de l’Iran : humiliation. La vérité est sortie de la bouche du débutant.

« C’est la négociation qui doit prévaloir et pas l’humiliation, mais on s’aperçoit que chaque fois qu’on fait des propositions, la réponse iranienne est toujours négative », a-t-il en effet déclaré.

Dans cette affaire iranienne, chaque jour qui passe montre les choses plus clairement :

  • L’Iran veut la bombe, vraiment.
  • Désireux de l’en empêcher, les pays occidentaux sont pour l’instant impuissants.
Oublions les analyses savantes de tous ces experts qui pontifient à tire-larigot sur les subtilités de la scène politique iranienne, et les luttes d’influence et les intrigues qui y fourmillent. C’est l’ensemble des hommes au pouvoir à Téhéran, aussi bien le guide suprême Khamenei, que le président Ahmadinejad et l’ex-président encore très influent Rafsandjani qui veulent la bombe, aussi bien les mollahs les plus conservateurs que les Gardiens de la révolution (les fameux pasdarans, l’armée idéologique du régime) qui en ont fait l’axe majeur de leur action.

L’Iran veut la bombe pour devenir la grande puissance du Moyen-Orient et, pourquoi pas, "rayer Israël de la carte". Elle en a aujourd’hui les moyens.

Plusieurs éléments expliquent mon pessimisme, dans les conditions actuelles.

1) Les États-Unis ne peuvent se permettre d’affronter l’Iran trop durement sur cette question, car la stabilité très relative de l’Irak aujourd’hui serait définitivement balayée si Téhéran décidait d’activer les forces qui lui sont fidèles dans le pays. Rappelons seulement que plus de 60% de la population irakienne est chiite, que les principaux partis chiites (notamment SCIRI et Dawa, qui dominent la coalition actuellement au pouvoir à Bagdad) sont des mouvements très proches de l’Iran, où ils ont très longtemps été abrités, entraînés et financés pendant les années d’opposition à Saddam Hussein. Avec l’insurrection sunnite, la position des États-Unis est à peine tenable. Si les chiites venaient à se soulever à leur tour contre les forces américaines ou contre les sunnites, l’édifice fragile que Washington essaye de bâtir en Irak s’écroulerait définitivement. Les États-Unis ne peuvent se le permettre.

2) Les États-Unis, paralysés par l’Irak, n’ont pas d’autre choix que de compter sur leurs alliés européens et de fonder leur espoir sur la stratégie de "négociations" de ceux-ci. Or, depuis la prise de fonctions du nouveau président iranien en août, l’Iran est effectivement bien plus dans une logique d’humiliation (comme le dit bien Douste-Blazy) que de négociations. L’Iran a alors décidé de reprendre ses activités de conversion d’uranium dans l’usine d’Ispahan et de rejeter les propositions européennes dans les domaines économiques, énergétiques et diplomatiques. Il y a deux semaines, lors de la réunion du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, les Européens ont choisi (par faiblesse) de ne pas demander l’envoi du dossier iranien au Conseil de sécurité. Il y avait en effet dans l’air une proposition de la Russie, qui consistait à enrichir l’uranium, dont l’Iran prétend avoir besoin à des fins civiles, sur le territoire russe. La manoeuvre russo-iranienne a bien fonctionné : quelques jours plus tard, la Russie annonçait un contrat d’armement avec l’Iran d’un milliard de dollars. Et dans la foulée, l’Iran signifiait son refus de la prétendue "proposition de compromis russe", tandis que la télévision iranienne annonçait le projet de construction d’une nouvelle centrale nucléaire.

3) Les États-Unis et l’Europe impuissants à faire entendre raison aux Iraniens, il reste la solution diplomatique de dernier recours : des sanctions du Conseil de sécurité. Plusieurs obstacles de dressent ici. Tout d’abord, rien ne dit que la Chine et la Russie, qui disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité, ne souhaiteront pas l’exercer pour préserver leurs relations avec l’allié iranien. La Chine compte notamment sur le pétrole et le gaz iraniens pour approvisionner sa machine économique vorace en énergie. Mais la Russie surtout risque d’être intransigeante sur la question, et voudra préserver ses relations commerciales (notamment ses ventes d’équipements nucléaires civils et d’armements sophistiqués) avec le régime des mollahs, et rejettera un régime de sanctions. Qui plus est, l’économie iranienne est de toute façon bien peu intégrée à l’économie mondiale, et elle bénéficie actuellement des immenses recettes de son pétrole, dont le monde ne peut de toute façon pas se passer. En fait, en cessant d’approvisionner le reste du monde en pétrole, c’est l’Iran qui frapperait bien plus fort l’économie mondiale que l’inverse.

4) Reste la solution militaire. Les États-Unis sont fragilisés par la situation en Irak, comme on l’a vu plus haut. Et Israël ne semble pas avoir les capacités d’intervenir, selon un très récent rapport spécial de l’armée américaine sur le projet nucléaire iranien. « Le document, rédigé par le collège militaire américain, estime que l’aviation israélienne n’est pas capable de mener une opération complexe contre un objectif aussi éloigné de ses bases aériennes en Israël. D’autre part, le programme nucléaire iranien ne serait pas affecté si Israël venait à lancer un raid contre le site de Buscher. Selon le rapport, d’autres réacteurs importants se trouvent dans la profondeur du territoire iranien, à quelque 1700 km d’Israël. »

Dans les circonstances actuelles (et Dieu sait qu’elles peuvent vite changer dans cette région du monde), ce sont les Iraniens qui ont l’avantage. Il apparaît clairement, désormais, qu’ils se sentent assez forts pour aller jusqu’au bout. Ce qui est plus difficile à évaluer pour l’instant, c’est la politique à venir des États-Unis, de l’Union européenne et d’Israël. Il n’est, bien sûr, pas absolument impossible d’arrêter l’Iran avant qu’il ne soit trop tard, mais le prix en sera très élevé : coût économique lié à la flambée des cours du pétrole, déstabilisation de la région, notamment de l’Irak, et déchaînement du Hezbollah sur la frontière nord d’Israël. Qui sera prêt à payer ce prix ?


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