Dieu, un mystère et un chemin pour notre époque

par Bernard Dugué
jeudi 23 décembre 2021

 

 0) Sans doute les moments tourmentés de notre temps inclinent nos concitoyens vers des préoccupations religieuses qui n’auraient jamais dû quitter les âmes, perdues dans les méandres du matérialisme et de l’agitation du monde. Cette attirance pour le spirituel, revendiquée entre autre par quelques personnalités politiques et intellectuelle, pourrait-elle se diffuser et éclairer les âmes en ces temps de désarroi profond ? Sincérité, authenticité, vaste question, Dieu reconnaîtra les siens comme le dit l’adage. Pour l’homme, Dieu ne peut qu’être au bout du chemin. Il se dit que lorsqu’un voyageur a trouvé Dieu, commence alors un mystère et une quête.

 

 1) Dieu, une interrogation pour les croyants et pour nombre d’entre eux, une solution sous forme de réponse à la question qui inquiète l’homme depuis la nuit des temps ; que se passe-t-il après la mort. Pour les croyants adhérant à l’une des religions du Livre, la vie éternelle nous est promise moyennant une transaction entre Dieu et l’homme tel qu’il se montre face à ses proches ainsi que sa dévotion, sa piété à l’égard du Dieu qu’il vénère. Pour les athées, il n’y a rien après la mort. L’âme s’en va avec la matière qui dépérit et se recycle dans l’éternel jeu de la vie moléculaire. Qui est dans la vérité ? Il n’y a pas moyen de trancher sauf avec quelques arrangements, du moins en empruntant la voie de la raison, même après la douche froide administrée par Kant et ses antinomies devenues obsolètes depuis la mécanique quantique et la cosmologie relativiste.

 

 2) Les hommes de foi, les mystiques, les « graciés ou rédimés », les « born again  », n’ont sans doute pas besoin de se référer aux écritures ou aux théologiens pour croire. Et comme les Ecritures sont souvent indéchiffrables, sauf par la gnose, alors les croyants contemporains se sont emparés des découvertes scientifiques pour y chercher une preuve de l’existence de Dieu. Ces investigations ont un intérêt sémantique et heuristique incontestable mais elles conduisent hélas vers un malentendu. Quand bien même on aurait quelque certitude sur le big bang comme signe de la création et sur la magie de la vie crée par une improbable intelligence divine logée dans la matière, cela ne nous renseignerait pas sur l’éternelle question de la vie après la mort, ni de l’efficace de la grâce divine dans l’existence temporelle. La question des origines risque d’être inaccessible, du moins pour le cosmos, la vie étant maintenant entre les mains des spéculations ancrées dans une certaine gnose quantique qui mettra certainement quelque temps pour cerner autant que faire se peut les origines sémantiques et mécaniques de la vie.

 

 3) L’homme est arrivé sur terre sans n’avoir rien demandé. Du point de l’évolution, il est un être joué, autrement dit le résultat final d’une longue série de transformations du vivant (le jeu darwinien) aboutissant à cet être singulier qui s’est mis à fabriquer des outils, parler, établir des liens communautaires. L’homme est aussi être jeté pour reprendre une formule heideggérienne. Jeté possède une signification précise, liée à la capacité de l’homme à voir une situation, à chercher ce qu’il faut faire, où il faut aller et comment interpréter ce monde dans lequel il est obligé d’habiter sans avoir choisi cet habitat. L’homme jeté ne sait pas où il habite, il est nu pour parler comme dans la Genèse, nu signifiant dépourvu d’un foyer, d’un lieu sécure, sans trop de secousses et de chaos, qui lui permet de vivre sans trop d’inquiétudes. L’homme jeté doit bâtir mais aussi voir autour de lui et savoir s’orienter, quel chemin prendre. La première vision a sans doute été celle d’un monde hostile et parsemé d’incertitudes, d’imprévus, de phénomènes surgissant sans prévenir. L’homme s’est trouvé impuissant, privé de sens et vérité, saisi par les frayeurs au contact d’un monde imprévisible et non maîtrisable. L’homme a cherché à gagner en puissance, en vérité, en signification, pour faire et trouver un chemin et si possible, la grâce et le salut promis aux hommes nouveaux nés après l’aventure grecque de la raison philosophique.

 

 4) L’homme est le seul animal ouvert au questionnement sur l’univers, sur la place, le sens de son existence et la question des fins ultimes. Le drame de la chute n’est pas tant moral que gnoséologique. L’homme est arrivé comme l’animal qui voit. L’homme est un voyant dont le regard n’a cessé de croître, s’élargir dans le cosmos, la nature et l’espace. L’homme s’est posé deux questions pour mener son existence, que faire et où aller. Les uns ont bâti des cités, cultivé les terres, domestiqué les animaux, les autres ont tenté de voir au-delà du sensible, les dieux, les démons. Un seul mot, « voir » et plus précisément, « voir un chemin », faire dans la matière et surtout, faire des rencontres en parcourant le chemin, voir, voir plus loin que sa propre personne, son ego, son quotidien marqué par les nécessités matérielles, les habitudes, les routines. Les explorateurs curieux ont souhaité fuir la routine et pour ce faire, ils n’ont pas hésité le risque d’être dérouté, parfois sans être prévenu, lorsque saint Paul reçut un signe sur le chemin de Damas, ou que Jeanne d’Arc entendit des voix venues de nulle part. D’autres se sont déroutés du monde, n’hésitant pas à se replier dans les monastères pour y trouver un espace sacré propice à la méditation et la prière. Les expériences mystiques n’ont pas manqué, nourrissant la foi bien que jugée d’un œil suspicieux par les autorités ecclésiale qui y virent quelque outrecuidance d’individus s’autorisant à regarder Dieu sans passer par le filtre des pratiques, des autorités ecclésiales et des dogmes.

 

 5) Dieu et les hommes, une vieille histoire faite de moments de grâce et de malentendus. Et maintenant ? Les Ecritures sont peut-être épuisées, ayant livré leurs fruits théologiques, sous réserve qu’un facétieux exégète ne fasse apparaître quelque nouveauté dans l’interprétation. Nous n’en avons pas fini avec Dieu. Les croyants espèrent sentir sa présence lors des célébrations cultuelles, les hommes de foi pressentent quelque énergie divine planant sur leur conscience, les lettrés apprécient les écrits sur Dieu mais pour accéder à des vérités fondamentales il faut devenir savant et faire beaucoup d’efforts intellectuels. La tendance est aux récits. Les gens aiment qu’on leur raconte des histoires. L’énigme est configurée. A la fin tout semble résolu et les lecteurs ont appris des choses. Il faut s’en féliciter. En revanche, la Science se pratique avec des efforts pour s’approprier un exposé, un discours, une doctrine. Le lecteur est actif pour aller vers la solution. Mais en dernier ressort, la foi et la vie religieuse ne peuvent faire l’économie d’un détour par l’expérience, le vécu et pour le dire aisément, Dieu est un mystère à vivre bien plus qu’une énigme à résoudre. La vie spirituelle requiert une attention, une mise en disposition de la conscience, pour y déceler quelque trace d’étincelles divines venues illuminer l’âme.

 

 6) Dieu et la science, un dialogue assez récent, traversé lui aussi par des malentendus. Deux accroches ont été pratiquées ; premièrement par la cosmologie, avec la mécanique céleste de Newton et son Grand horloger, puis le big bang extrapolé à partir de la cosmologie d’Einstein. Seconde approche avec la vie, son mystère moléculaire et diverses spéculations ayant conduit à la controverse maintenant saturée de l’intelligent design. Le lien entre la science et Dieu reste inaccessible tant que l’énigme de la gravité quantique ne sera pas résolue, avec une nouvelle formulation de la cosmologie car celle d’Einstein ne convient plus à notre époque. Le Dieu de l’univers et la Nature ne crée pas le monde, il le sauve ou du moins il accorde les énergies et assure la mémoire archétypale dont on observe les manifestations, phénomènes et morphèmes.

 

 7) Une confrontation avec les Ecritures et avec Heidegger s’impose, le Dieu à l’extrême plane sur le monde que l’on voit, regarde. Si pour saint Thomas, la philosophie est un instrument au service de la théologie, pour Heidegger, la philosophie est un chemin, un questionnement, à l’origine destiné à comprendre le sens de l’Etre. Le texte fondamental du philosophe Heidegger reste les apports à la philosophie dans lesquels un nouveau commencement est proposé et développé sous forme de « fugues » dont le sens est aussi caché que dans les Ecritures ou dans les textes recensant le vécu spirituel des pères de l’Eglise d’Orient. L’Ereignis décrite par Heidegger représente une sorte de conversion du regard que l’on peut interpréter comme l’appropriation par l’homme d’un regard de Dieu. L’Ereignis n’est pas étrangère à la Trinité ; elle y conduit par des voies de traverse. Peter Sloterdijk, l’un des meilleurs connaisseurs de Heidegger, n’a pas souhaité explorer la question de Dieu. Il en est resté en une version esthétique et praticable du vivre en commun ancré dans la métaphore biologique des structures réglées par la co-immunité, autrement dit, un corps social dont les agents ne s’agressent pas. Avatar de l’esprit de corps (asabya) explicité par Ibn Khaldûn il y a sept siècles. Sloterdijk place la raison immunitaire au-dessus des sociétés axées sur les monothéismes religieux. L’immunologie universelle succéderait à métaphysique et aux théories des religions (Tu dois changer ta vie). Je n’adhère pas à cette solution. Seul, un Dieu peut transcender les limites du co-immunisme si les hommes se réveillent.

 

 8) Que pourrait être l’effet d’une grâce divine ? Vivre apaisé, baigné par la lumière, avec les tonalités numineuses du vécu, de basse ou grande intensité, vivre et rayonner autour de soi, transmettre la foi sans prosélytisme, comme un présent que l’on accepte ou refuse, que l’on tente d’entrevoir lorsque la grâce scintille, sans rechigner à traverser les moments de doute et de détresse. Dieu est au bout du chemin que l’on emprunte, en n’attendant rien de précis, en accueillant la vie, les rencontres, les expériences, tout en espérant. L’essentiel reste néanmoins de faire le chemin sans se préoccuper de Dieu, d’avancer en conservant la foi et d’œuvrer, travailler au mieux possible pour construire une vie personnelle, insérée dans une vie sociale. Et prendre des moments de solitude pour entrer en soi.

 

 9) La Trinité reste un axe universel. Elle relie le monde des étants, des puissances et le monde ineffable, en retrait, éternel. La Trinité a un sens, une symbolique et recèle un mystère pour les chrétiens. Le mystère trinitaire peut prendre une autre signification dans d’autres doctrines religieuse et rester opérant et signifiant sans perdre sa légitimité et même en gagnant en universalité. Dieu nous laisse entrevoir l’Ouvert mais hélas, l’homme tend à fermer la porte et se replier dans le Dasein matérialiste.

 


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