Legs et indécence

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 5 novembre 2021

« Ça continue toute sa vie en fait, c’est comme Tchernobyl, on met ça sous un sarcophage, mais cela continue. » (témoignage d’une victime, rapport Sauvé, 5 octobre 2021).

Je ne sais pas si c’est la proximité de la Toussaint, mais depuis quelques semaines est diffusé à la télévision un spot publicitaire assez court et succinct. L’ambiance est première communion, la musique va bien avec l’image d’une flamme qui est transmise de bougie à bougie. Le style est un peu image de première communion. Cette publicité m’indigne et me scandalise. Certes, il y a d’autres sujets d’indignation, mais tout ce qui touche à l’Église est important pour un croyant.

Pour être honnête, j’ai déjà vu ce spot il y a quelques années, et j’ai même l’impression que c’était sans aucun changement, ce qui est probablement une part de mon désarroi. Je crois qu’il a été diffusé également l’an dernier, et cela avait choqué quelques tweeters pour d’autres raisons.

Le message ? Très compréhensible. L’émetteur est l’Église catholique, cela peut être une association diocésaine, en tout cas française, même si le contact indiqué est une adresse internet générique. Le destinataire : plutôt des personnes âgées, mais plus généralement, ceux qui laisseront quelque chose après leur décès. Ceux qui vont mourir donc (et qui saluent), mais qui n’ont pas d’enfants ou de petits-enfants, bref, pas de descendants directs, d’héritiers directs. Des croyants aussi. Le message s’adresse aux croyants. Le message propose alors de faire un legs à l’Église catholique, voire de la désigner comme légataire universelle.

L’idée est simple et se base sur un dispositif fiscal. Une association catholique, au même titre que d’autres associations reconnues d’utilité publique, dans n’importe quel domaine, n’est pas soumise à l’impôt sur les successions. Ainsi, l’organisme peut hériter sans avoir à payer des droits de succession. Ce dispositif permet quand même de transmettre son patrimoine à ses neveux par exemple, mais en donnant également une partie à l’Église, sans léser ces neveux car à la fin, ils auront hérité de la même somme (les neveux sont imposés à 55% !).



Ce dispositif est valable pour d’autres œuvres, comme une fondation contre le cancer ou n’importe quel autre activité reconnue d’utilité publique. Bien sûr, les bouffe-curés y ont vu un financement public de la religion, mais c’est prendre par le mauvais bout tout le secteur des dons en général. Plus généralement, c’est un dispositif incitatif à être généreux, et par la même occasion, c’est un dispositif qui encourage, par l’État, l’initiative privée pour le bien public. On évalue à 600 millions d’euros le montant des legs annuels au bénéfice des organisations d’intérêt général.

Que l’Église, au même titre que des organismes de recherche etc., puisse en bénéficier ne me choque pas, évidemment. Le fait qu’un tel spot ait été également diffusé l’an dernier en pleine vague épidémique, à une époque où les décès étaient nombreux, ne me choque pas, au contraire de certains internautes. Car dans ce cas, la moindre publicité de pompes funèbres, voire d’assurance décès aussi pourrait choquer dans une période de forte mortalité. Il faut bien que la vie continue, et quand on commence à limiter sa communication parce qu’il y a beaucoup de morts, il faut avoir ensuite le courage d’aller jusqu’au bout et de dire à partir de combien de morts c’est scandaleux.

Non, tout cela ne me choque pas. Moi, ce qui me choque, précisément maintenant, précisément en fin octobre ou début novembre 2021, c’est que l’Église catholique, avec un spot un peu neuneu (mais je ne veux pas juger de la qualité du spot), n’a pour communication payante que ce message-là, alors qu’elle doit d’abord avoir un message beaucoup plus pertinent.

Je ne comprends pas comment un émetteur puisse ne pas imaginer comment réagissent ceux qui le reçoivent. Ne pas se mettre à leur place. Et pourtant, la religion, le prêtre, l’évêque, la "bonne nouvelle", c’est un "métier" de transmission, où il faut s’assurer que le message est bien transmis, qu’il y ait un accusé réception, au même titre qu’un enseignant, qu’un journaliste, qu’un responsable politique. Comment être aussi "autiste" ? Comment ne pas imaginer l’émotion, l’impression d’abandon, la réaction qui, parfois, et je ne parle pas seulement des victimes et de leurs proches, pourrait être violente ?

En effet, depuis la publication du rapport Sauvé qui fait état d’une tragédie à grande échelle d’abus sexuels sur mineurs, couverts par le silence sinon commis par la hiérarchie catholique, il y avait un besoin de communication évident avant de venir quémander un legs ou un don. Beaucoup de catholiques ont été effondrés par l’ampleur de la catastrophe humaine et cette publicité me paraît, dans ce calendrier, une aberration de communication, une indécence. En tout état de cause, une réelle maladresse.

Avant de venir solliciter la générosité des fidèles, il faut d’abord prendre le temps d’expliquer, de présenter la situation, de convaincre en quoi cette catastrophe ne se reproduira pas, car pour le moment, tout se passe comme si le donateur venait à financer un processus qui favorise les abus sexuels. Avant donc d’en appeler à la générosité, il est indispensable de renouer la confiance. La confiance pour ne pas inspirer l’indécence.



Alors que les évêques de France se réunissent depuis le 2 novembre 2021 en synode, je ne doute pas de leur sincérité et de leur volonté de bien faire. Mais le tsunami provoqué par le rapport Sauvé, qui a confirmé ce qu’on imaginait implicitement mais pas dans cette démesure de gravité inouïe, nécessite qu’il faille retrouver la voie de la confiance, et celle-ci ne se reconstruit pas en trois jours.

Lorsque les évêques avaient envisagé d’indemniser les victimes, ce qui n’était pas pour absoudre l’Église des fautes commises mais surtout pour les reconnaître explicitement dans leur situation de victimes, ils avaient insisté pour dire que les dons des fidèles ne serviraient pas à financer ces indemnisations. J’imagine d’ailleurs que la situation des dons à l’Église catholique subit en ce moment la même chute vertigineuse que les dons à l’ARC, l’association de la recherche contre le cancer, après le scandale. J’imagine la situation grave que subit ainsi l’Église dans son ensemble, dans son institution, qui n’y pouvait rien des crimes et des délits sexuels, mais qui n’a rien fait de très efficace pour les prévenir.

Lorsqu’une institution aussi importante, aussi imposante, aussi ancienne, aussi universelle que l’Église catholique est touchée par un si grand scandale, la moindre des choses, c’est de ne pas faire comme auparavant. La moindre des choses, c’est de se poser, de réfléchir, de demander pardon, de recréer le lien, ce lien de confiance, ce contrat de confiance pour assurer que cette institution, désormais, elle ne me violera pas, elle ne violera pas mes enfants, elle ne violera pas mes petits-enfants…

Cette demande de pardon, c’est d’ailleurs la première chose qui a été faite. Par les évêques français par la voix de Mgr Éric de Moulin-Beaufort, par la voix du pape François. Mais ce n’est pas suffisant, ce message, il n’est pas passé partout, et il faut inlassablement le répéter, le marteler : regretter et montrer que cela ne se reproduira pas, avec la création de structures indépendantes d’écoute, de contrôle, et d’alerte. Pas des structures de sanction, nous sommes en République, ce sont les lois de la République qui s’appliquent, avec ses tribunaux, mais une structure d’alerte, d’alerte du procureur de la République. D’ailleurs, on ne peut pas ignorer la bonne volonté des autorités catholiques, toutes veulent s’attaquer à ce problème et trouver des réponses convaincantes. Sinon, elles n’auraient pas voulu qu’un tel rapport, lucide et indépendant, qu’elles ont elles-mêmes financé, fût rédigé et publié.

Mais il faut aller au bout. Le spot publicitaire sur les legs, aussi dérisoire soit-il, aussi nunuche soit-il, est une insulte à tous les catholiques qui ont été meurtris, moralement sinon physiquement, par les conclusions de ce rapport sinon par les prédateurs qui ont peuplé cette Église. Il faut d’abord chercher à les reconquérir en leur donnant des garanties. Le temps du retour à la demande de dons et legs est pour plus tard. C’est trop tôt. C’est surtout très contreproductif. Tant qu’à émettre un message aux catholiques par voie hertzienne, il faut d’abord parler de ce sujet, l’unique sujet du moment pour l’Église, ne pas faire comme si, mettre tout à plat, et donner les pistes d’un retour à la confiance. On ne donne jamais quand on n’a pas confiance. C’est la condition de base.

Cette campagne publicitaire, pas plus stupide qu’une autre, est dans ces temps troublés une machine à donner la nausée. Pour un résultat insignifiant : une bouteille dans un océan asséché. Il faudra du temps et de la patience pour reprendre le fil. Heureusement, l’Église est toujours vivante, elle est composée d’une multitude de bonnes âmes enthousiastes et volontaires. Mais il ne faut pas les décourager. Il ne faut pas refermer le sarcophage...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Legs et indécence.
Il y a un an, l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020.
Aider les chrétiens d’Orient sur France Inter : l’hypersensibilité de la laïcité.
Les messes à l’épreuve du covid-19.
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Secret de la confession et lois de la République.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort.
Abus sexuels dans l’Église : honte, effroi et pardon !
Rapport de Jean-Marc Sauvé remis le 5 octobre 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église (à télécharger).
Présentation du rapport Sauvé le 5 octobre 2021 (vidéo).
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
Richard Berry et l’immonde.
Olivier Duhamel et le scandaleux secret de famille de Camille Kouchner.
La faute de Mgr Jacques Gaillot.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Mgr Barbarin : le vent du boulet.
Polanski césarisé au milieu des crachats.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Pédophilie dans l’Église catholique : la décision lourde de Lourdes.
David Hamilton.
Adèle Haenel.
Mgr Barbarin : une condamnation qui remet les pendules à l’heure.
Pédophilie dans l’Église : le pape François pour la tolérance zéro.
Le pape François demande pardon pour les abus sexuels dans l’Église.
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.


 


Lire l'article complet, et les commentaires