Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI

par Sylvain Rakotoarison
samedi 16 avril 2022

« Être chrétien me donne la connaissance, bien plus, l’amitié avec le juge de ma vie et me permet de traverser avec confiance la porte obscure de la mort. » (Benoît XVI, lettre du 8 février 2022).

Ce samedi 16 avril 2022, le pape émérite Benoît XVI fête son 95e anniversaire, ce qui est inédit pour un pape ou un ancien pape. Il semble même aller mieux par rapport à il y a un an et demi quand son état de santé avait beaucoup inquiété les fidèles. À l’époque, celui qui s’appelait d’abord Joseph Ratzinger venait de perdre son grand frère Georg (qu’il avait rencontré une ultime fois lors de son unique voyage postpapal en juin 2002 à Ratisbonne) et avait eu des pépins de santé.

Aujourd’hui, il semble bien aller, au point que le philosophe Jean-Luc Marion, qui l’a rencontré le 13 novembre 2021 en tant que lauréat 2020 du Prix Ratzinger, a affirmé : « Benoît XVI est aussi physiquement fatigué qu’intellectuellement alerte. ». Jean-Luc Marion a été élu à l’Académie française au fauteuil de Mgr Jean-Marie Lustiger et le Prix Ratzinger, attribué par la Fondation Joseph-Ratzinger depuis 2011, représente une sorte de prix Nobel de théologie.

Plus généralement, Benoît XVI a encore la force de recevoir des visiteurs, et en particulier, le premier d’entre eux, son successeur, le pape François qui est venu le voir le mercredi 13 avril 2022 pour souhaiter les bons vœux à l’occasion de l’anniversaire de ce « grand-père plein de sagesse ». L’emploi du temps de Benoît XVI est assez ordinaire selon son secrétaire particulier Mgr Georg Gänswein dans une interview le 7 avril 2022, il assiste à la messe à 7 heures 30, puis écoute la musique et il fait une promenade quotidienne dans les jardins du Vatican.



Néanmoins, sa retraite est loin d’être sereine. Certes, la sérénité à l’approche de la mort est certainement là, comme il l’a affirmé le 8 février 2022, lui qui a médité sur le sujet depuis si longtemps, mais l’ancien archevêque de Munich et Freising du 28 mars 1977 au 15 février 1982 doit faire face à une contestation d’une partie de l’Église d’Allemagne.

En effet, à la suite du rapport Sauvé en France, un rapport a été publié le 20 janvier 2022 sur des négligences commises comme évêque sur des affaires d’abus sexuels de certains prêtres de son diocèse. Pourtant, Benoît XVI, tant comme président de la Congrégation pour la doctrine de la foi que comme pape, a toujours été très ferme sur ce sujet. Le rapport a été commandé par le diocèse à un cabinet d’avocats munichois et est le résultat de deux ans de travail, sur les abus sexuels à Munich depuis la dernière guerre. 220 pages sur 1 893 pages interrogent directement la gestion de Joseph Ratzinger en tant qu’archevêque sur cinq affaires particulières : quatre d’entre elles ont reçu une "évaluation normale" tandis qu’une dernière a fait l’objet d’une étude approfondie. Le pape émérite a lui-même apporté son propre témoignage dans une lettre du 14 décembre 2021. Le rapport remet en cause sa gestion dans quatre des cinq affaires.

Le rapport lui reproche notamment d’avoir muté dans son diocèse à une fonction comportant une proximité avec des enfants un prêtre qui avait été condamné plusieurs années auparavant pour tentative d’abus et insultes à caractère sexuel. Ce prêtre a été par la suite condamné pour abus sexuel et exhibitionnisme à une peine de prison avec sursis et dégagé de toute responsabilité d’enseignement. Benoît XVI a affirmé qu’il n’avait pas eu connaissance de la précédente condamnation quand il l’avait nommé, tandis que les auteurs du rapport ont considéré que si, il avait été averti par son vicaire, et ont regretté l’absence de mesures préventives. D’autres cas décrits dans le rapport mettent aussi en cause l’absence de mesures pour des prêtres dont les agissements étaient connus, entre autres par une coupure de journal retrouvée dans les archives de l’archevêché.

Toutefois, le rapport est assez peu rigoureux, d’un côté, Benoît XVI, qui se dit se souvenir très bien de cette période, a nié avoir connu les antécédents de ces prêtres déviants alors que les auteurs pensent au contraire, dénonçant « l’ignorance systématiquement revendiquée », qu’il les connaissait selon un faisceau d’indices et d’archives qui ne forment pourtant pas une preuve vraiment factuelle.

Ces remises en cause peuvent être considérées comme très injustes pour Joseph Ratzinger qui, justement, comme pape, a créé un processus de tolérance zéro contre tous les prêtres coupables d’abus sexuels. Il a été de loin en avance sur son temps pour en finir avec le laxisme ambiant dans les décennies antérieures. C’est lui qui a eu le courage de mettre cette question sur le devant des responsabilités du Vatican. Il a lui-même expliqué en 2016 (dans "Dernières conversations" chez Fayard) sa contribution : « Quand l’affaire a commencé, le droit pénal provenant du code de droit canonique ne prévoyait que la suspension. C’était insuffisant, les individus restaient prêtres. Nous avons pris la décision avec les évêques américains : pour que la sanction apparaisse clairement, il fallait qu’il quitte l’état clérical, qu’il soit révoqué. (…). J’ai œuvré pour l’amendement du droit pénal, à l’origine laxiste, en m’efforçant à augmenter la protection des victimes et à accélérer les procédures qui s’éternisaient. (…) Si on sanctionne au bout de dix ans, c’est vraiment trop tard. ».

Pour beaucoup de défenseurs de Benoît XVI, ce rapport est le résultat d’un acte de malveillance provenant d’un courant plus libéral de l’Église d’Allemagne qui s’est toujours opposé aux travaux théologiques de Joseph Ratzinger. Le 8 février 2022, Benoît XVI a réagi au rapport en démentant d’avoir menti et confirmant ses témoignages, mais il a exprimé néanmoins sa "profonde honte", son "profond chagrin" et sa "sincère demande de pardon".



Le 95e anniversaire de Benoît XVI a lieu le Samedi Saint et cela s’était passé aussi ainsi le jour de sa naissance (Pâques 1927 a eu lieu le 17 avril). Pour ses parents, une naissance à un tel moment était une grâce et une providence et l’enfant l’a ressenti très vite comme tel : « Ce jour, où le Christ est mystérieusement caché et en même temps présent, est devenu un programme pour ma vie. ». C’est un encouragement à vivre, une certitude que malgré tout, il y a de la lumière et que cela vaut la peine de continuer à vivre. Benoît XVI a écrit beaucoup de textes sur le Samedi Saint.

Quant à la Bavière, elle a toujours été sa région de cœur. Lors de son dernier anniversaire en tant que pape, le 16 janvier 2012, Benoît XVI a reçu une délégation bavaroise, en particulier le cardinal archevêque et le ministre-président, qui ont fêté son 85e anniversaire. Ému, le futur pape émérite leur a répondu : « Je tiens à vous remercier de tout cœur, monsieur le ministre-président, pour vos paroles : vous avez fait parler le cœur de la Bavière, un cœur chrétien, catholique, et ce faisant, vous m’avez ému, vous avez reporté dans le présent tout ce qui a été important dans ma vie. Je désire vous remercier tout autant, monsieur le cardinal, pour vos paroles courtoises, en tant que pasteur de mon diocèse d’origine et auquel j’appartiens comme prêtre, dans lequel j’ai grandi et auquel j’appartiens toujours au fond de moi, en rappelant dans le même temps l’aspect chrétien, notre foi et sa beauté et sa grandeur. ».

À cette veille de Pâques, la foi en l’espérance est essentielle. Dans sa lettre encyclique "Spe salvi" (spe salvi facti sumus = nous avons été sauvés dans l’espérance), publiée le 30 novembre 2007, Benoît XVI écrivait ceci : « Nous avons besoin des espérances, des plus petites ou des plus grandes, qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l’univers et qui peut nous proposer de nous donner ce que seuls, nous ne pouvons pas atteindre. (…) Seul son amour nous donne la possibilité de persévérer avec sobriété, jour après jour, sans perdre l’élan de l’espérance, dans un monde qui, par nature, est imparfait. Et, en même temps, son amour est pour nous la garantie qu’existe ce que nous pressentons vaguement et que, cependant, nous attendons au plus profond de nous-mêmes : la vie qui est "vraiment" vie. ».

Que ce 95e anniversaire soit l’occasion pour Benoît XVI de continuer à nourrir cette grande et belle espérance…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
Le ralliement des catholiques français à la République.
La lettre de Léon XIII : "Notre consolation" du 3 mai 1892.
L’encyclique "Au milieu des sollicitudes" du 16 février 1892.
Marc Sangnier.
Charles Péguy.
Étienne Borne.
François De Gaulle.
La solidarité universelle du pape François.
Desmond Tutu.
Jesse Jackson.
L’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020.
Jacques Hamel, martyr de la République autant que de l’Église.
Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle.
Rerum Novarum.
L’encyclique "Rerum Novarum" du 15 mai 1891.
La Vierge de Fatima.
L’attentat contre le pape Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
L’Église de Benoît XVI.
Michael Lonsdale.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?


 


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