Et vous quel habit libéral portez-vous ?

par ddacoudre
vendredi 8 février 2008

Sans nous en rendre compte, par souci de clairvoyance, dans la complexité de nos sociétés nous nous sommes « ghettoïsés » dans des mots conceptuels (Liberté, Vérité, Dieu, Loi, etc.) qui sont issus de nos comportements, et qui en génèrent de nouveaux, assurant ainsi un renouvellement du langage normatif.

Pour n’en retenir que deux, nous sommes passés « d’ouvrier marmonnant au salarié participatif », et « d’usager patient à client exigeant ». Nous avons créé une séparation, une dichotomie entre ces deux manières d’être, par des appellations nouvelles pour la même personne, concrétisant en cela ce que nous pensons être une adaptation ou une réformation.

Pourtant, par réciprocité, il est possible que le salarié interroge le client, comme hier l’ouvrier interrogeait l’usager, c’est toujours la même personne, sauf que les hommes endossent aussi facilement des mots conceptuels, qu’ils endossent les costumes du « prêt à porter », même s’ils n’ont pas été taillés pour eux, mais pour un système. Tout comme nous laissons à d’autres, les spécialistes de l’économie, le soin de nous dire quels doivent être nos comportements dans l’un ou l’autre de ces rôles sociaux, après les avoir soigneusement étudiés.

Exemple au travers du mot performance dans un commentaire sportif. Assez souvent, l’on nous explique, pour remplacer le mot performance, que les acteurs d’un sport se dépensent à 200 %, indiquant peut-être, qu’à l’exactitude du propos se substitue l’impétuosité émotionnelle, feinte ou non, mais, constituant une inflation du verbe, signifiant que pour être performant il faut dépasser ses propres aptitudes.

Ils normalisent en cela une activité hors norme (nécessitant une préparation particulière), pour en faire la norme, et reléguer ainsi à l’anormalité le normal (rythmes biologiques).

Cela serait amusant, si, dans les faits, nous ne mesurions pas cette inflation verbale et verbeuse en quantités de tranquillisant ou dopants de toutes sortes. C’est-à-dire, si l’exigence de la performance au quotidien dans notre organisation économique ne nous poussait pas à dépasser les rythmes biologiques, et cela sans aucune préparation.

Dans l’habillement, le même phénomène d’enfermement existe : ce que nous appelons le phénomène de mode.

Mais au-delà, c’est-à-dire, même au-delà de la seule identification sociale, il y a l’habit d’appartenance que nous impose parfois de porter la société idéologique X, il y a celui de l’entreprise Y que nous devons vêtir sous peine de licenciement (de la même manière que nous « marquions » les esclaves jadis).

Il y a l’habit physiologique, celui du physique de toutes les hôtesses d’accueil et autres, où l’on rejette les laides, les boutonneuses, les grosses, les trop typées, où l’on mute dans le meilleur des cas les belles devenues trop vieilles.

Il y a aussi l’habit de marque au nom célèbre, et celui qui transporte la marque référentielle ostentatoire, qui est celui qui nous transforme en support publicitaire de plein gré.

Pourtant, le plus insidieux est quand l’habit fait le moine, et surtout quand l’instrument exprimant la personnalité la façonne à notre insu, quand nous nous personnifions à la demande (marketing).

S’il est difficile d’échapper à ce phénomène qui organise toute notre existence, nous pouvons tout de même en prendre conscience, en comprendre par exemple que ce n’est pas nous qui organisons notre vie autour de notre sociabilité [1]. Celle-ci s’organise autour de la monnaie, et à travers le mot magique de « réduction des coûts dans sa forme actuelle », et de fait nous réduisons aussi notre sociabilité.

Le risque est de ne pas s’apercevoir qu’à des mots et concepts nouveaux, correspondent des comportements parfois archaïques, réactionnaires ou des duperies.

Le cocasse, ce n’est pas de contester la liberté de chacun, ni le rôle d’identification ou de repères qui découlent de ces pratiques.

Le cocasse, c’est d’observer que le discours pseudo-libéral du mythe individualiste s’accommode parfaitement des comportements collectifs, en les suscitant quand l’esprit compétitif productif s’harmonise parfaitement avec l’intérêt.

Le cocasse, c’est également d’observer que chacun veut être maître de ses choix, tout en y enfermant les autres, cela revient à dire que chacun voudrait que l’autre lui soit acquis, plutôt que de se retrouver en lui.

Ainsi, sur dix personnes, nous aurions dix groupes potentiels de dix, puisque chacun voudrait que les autres lui soient acquis, et cela, parce que nous lui avons répété de génération en génération, que dans tous les groupes se dégagent toujours un dominant naturel issu de la confrontation primitive dont nous avons fait l’interprétation et qui ne se retrouve pas dans les traces de l’art pariétal. Alors qu’il ne domine que par défaut, parce que les autres ont une « bonne ou mauvaise » raison de le laisser dominer pour que s’exprime la représentation du groupe, de la communauté qui les organise.

En conséquence, je peux dire que chacun d’entre nous est par un mauvais apprentissage un « collectiviste » ou/et que l’individualisme est une sociabilité manquée.

Comme quoi, le débat, pour ceux qui penseraient encore que l’individuel et le collectif s’opposent, peut se résumer à compter le nombre de personnes qui portent la même paire de chaussettes que leur « moi je ». C’est-à-dire qu’aux quatre coins du monde il y a peu de chance que l’on trouve un individu que sa personnalité lui suggère de s’enchausser la tête, sauf dans l’art conceptuel, car inévitablement les hommes ont des goûts et comportements communs, cela dans un choix restreint par l’espace géographique, et aujourd’hui étendu par les moyens de communication, et qu’il s’en trouvera toujours pour vous dire qu’ils veulent la même chose qu’un autre en pensant que c’est son choix personnel librement décidé.

Les hommes sont condamnés à se rencontrer, et à se retrouver ou se reconnaître dans un autre, et à agir ensemble.

Cela limite toute la pensée pseudo-libérale qui ne peut trouver son expression que dans une organisation collective. Elle y parvient en organisant la soumission économique par le revenu au travers d’entités « totalitaires » (entreprises) nées du vocable liberté, de la liberté d’entreprendre, des hommes qui rêvaient d’être roi à la place du roi.

Cette soumission hégémonique ne cessera que lorsque le système actuel entrera en concurrence avec un autre, faute de le comprendre, pour se réformer.

Ce que j’ai trouvé de merveilleux dans le pseudo-libéralisme, c’est qu’il s’arrête aux portes de l’entreprise, où il y fait l’apologie du despotisme au nom de la propriété privée.

Il entretient la confusion que tout propriétaire qui, s’il dispose à sa convenance de son bien, croit qu’il dispose également de la même manière des personnes qu’il emploie (d’où le Code du travail).

Aujourd’hui, la propriété d’entreprise que je vise, s’est dépersonnalisée au travers de la « Société Anonyme » (sous toutes ses formes), permettant à ses gestionnaires de ne pas assumer la responsabilité de leur gestion en cas de faillite, en la transférant à des formes impersonnelles ou multi-personnelles, représentant les actionnaires.

Actionnaires qui ne sont jamais inquiétés, alors qu’ils disposent de titres de propriétés par l’actionnariat. Le seul risque de l’actionnaire est la fluctuation de la valeur de l’action et la perte de la mise de fond.

Ce que je veux souligner par cette observation, c’est que le libéralisme prône la responsabilité individuelle de nos actes, et que si les hommes ont des droits ils ont aussi des devoirs, hormis le fait, qu’ils savent dans le libéralisme y trouver les formes qui leur permettent de s’y soustraire, d’y échapper et de laisser à la charge de la collectivité les conséquences d’une mauvaise gestion d’entreprises (faillite), mais l’intérêt ne craint pas les dichotomies du raisonnement.

Cela, même si c’est pour faciliter la prise de risque des entrepreneurs, en minimisant celle-ci pour permettre des constructions industrielles qui ne pourraient être couvertes par les biens personnels desdits entrepreneurs, ou qui conduiraient à la faillite tous les actionnaires, s’ils devaient la couvrir sur leurs biens personnels.

Il y aurait moins de spéculation si une loi obligeait les actionnaires à couvrir les passifs des entreprises, par un prélèvement obligatoire sur les actions, palliant ainsi ce risque en alimentant les Assedic, le fond de garanti, et une caisse à destination des créanciers (fournisseurs, sous-traitants), car tous les prélèvements versés par l’entreprise sont payés par le client.

Mais voilà, nous nous fabriquons des ghettos artificiels, et ensuite nous nous étonnons des effets de leurs interactions.

Toutes nos relations issues de nos émotions sont presque encadrées, formalisées (encodées) pour nous permettre d’assurer une certaine fluidité (homogénéité) à notre multitude humaine, et y lire notre activité hétéroclite.

Dans le cadre des contraintes physiques que l’univers nous impose (dont la maîtrise de certaines a permis notre essor technologique), nos jugements de valeur sont émotionnels et suggestifs. Leur normalisation permet d’assurer la cohésion des groupes d’individus et constitue leur ethnogenèse.

Néanmoins, puisque ce sont des jugements de valeur subjectifs, ils sont tous contestables dans l’absolu, et cela permet aux civilisations de se succéder. C’est le « relativisme culturel », dont l’acculturation est la démonstration.

Nous ne pouvons pas dire d’après les traces archéologiques et les lectures qui nous ont permis de comprendre et d’apprendre l’existence des civilisations passées, que les dominants de chacune d’elles, assurés de leurs certitudes aient voulu laisser leur place, et considérer leur propre culture comme une valeur relative. Pourtant, le temps a eu raison de leurs certitudes absolues.

Puissions-nous le comprendre à présent afin que le travail des anthropologues et archéologues ne soit pas vain !

Ces mêmes certitudes, nous les affirmons aujourd’hui avec heureusement beaucoup plus de moyens et de compétences.

Toutefois, le risque demeure le même que par le passé, c’est-à-dire celui de croire que les idoles que nous bâtissons suffisent à nous prémunir de l’évolution.

Nous avons toujours des hommes qui ont besoin de titres de « rois », comme si être simplement un être humain n’était pas difficile en soi, et d’autres qui ont besoin de les adorer.

C’est cette orientation qui transpire parfois de tous les « accros » à l’économie de marché, sans trop s’apercevoir pour autant qu’ils entrent en prêtrise, et limitent l’activité de leur idole (l’homo oeconomicus) à leur propre dévotion.

Ils condamnent ainsi l’homme à n’être que le tube digestif de l’économie.

Ils limitent ainsi sa substance, et son entité, à n’être que deux trous, l’un mangeur de bien et service, l’autre évacuateur de monnaie et de déchets, et ce, quel que soit l’intérêt que celui-ci y trouve.

Ce faisant, ils récupèrent la monnaie et laissent les déchets à la charge de la collectivité future.



[1] J’entends, au-delà de l’élaboration des matériaux nécessaire à la vie collective et des contenus propres aux modes de participation sociale, par sociabilité la sublimation de l’échange sans fin, pratique et centrée sur des personnalités qui sont engagées dans de pures relations de réciprocité. Georg Simmel, sociologue et philosophe allemand (1858/1918), disait que la sociabilité est la forme ludique de la socialisation.


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