M. Sarkozy, taisez-vous, nom de Dieu !

par Bernard Dugué
jeudi 14 février 2008

Une fable pour commencer. Par une chaude journée d’été, Sarkozy et Guaino se rencontrent à Paris et le premier découvre que le second exerce le métier de copiste, ayant notamment retouché les interviews de Jacques Chirac. Ensemble, ils se découvrent des centres d’intérêts communs et un rêve partagé, celui de vivre à l’Elysée s’ils le pouvaient. Un héritage fort opportun, celui de Chirac, va leur permettre de réaliser leur rêve. Ils reprennent une officine parisienne, l’UMP, le premier se faisant élire président et, ensemble, ils se lancent dans la politik-culture, mais cette activité va s’avérer être un désastre, avec leur incapacité à comprendre les choses bien qu’ils se soient lancés dans l’étude de la biologie, de l’histoire, de la théologie...

Les connaisseurs de l’oeuvre de Flaubert auront reconnu dans ces lignes un pastiche de la célèbre histoire de Bouvard et Pécuchet, avides de tout savoir mais inaptes à saisir les choses de la nature et de la société. Cette histoire incarne la vanité et la bêtise des contemporains de Flaubert tout juste après l’épisode du Second Empire. Sarkozy parle beaucoup, à travers ses récents propos sur l’Histoire, sur la laïcité, sur les racines chrétiennes, sur la morale des curés et des prêtres, sur la monarchie (Cf. l’échange avec Joffrin)... Et maintenant, voilà que notre président ayant enfilé le costume de Pécuchet, qui lui va comme un gant, taillé à la grandeur de sa pensée, nous sert quelques éléments de théologie appliquée à la Shoah à l’occasion d’un dîner organisé par le CRIF. Et une fois de plus, des sous-entendus et une attitude qui ne peut pas laisser indifférents tous les humanistes et autres citoyens épris de lumières et de vérité. C’en est trop !

Sarkozy a décidé de poursuivre sa croisade contre de soi-disant laïcs pratiquant l’amalgame, les raccourcis, les approximations, certes, mais on ne voit bien dans l’autre que ses propres faiblesses et notre président, n’a-t-il pas été approximatif en affirmant que "Le drame du XXe siècle n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence", a-t-il toutefois souligné. "Si les religions sont impuissantes à préserver les hommes de la haine et de la barbarie, le monde sans Dieu, que le nazisme et le communisme ont cherché à bâtir, ne s’est pas révélé tellement préférable", a-t-il poursuivi (Le Monde, 17/02/08).

Jamais il ne serait venu à un athée ou un laïc de penser que l’idée de Dieu aurait été responsable des drames du siècle précédent. Pas plus qu’un religieux ou qu’un homme de foi, juif ou chrétien, puisse imaginer que l’idée de Dieu aurait été suffisante pour empêcher les horreurs de cette époque. C’est là méconnaître les penseurs et autres interprètes de cet événement historique ayant laissé sans voix pendant des années ceux qui ont été concernés au plus près. Quand on est président d’une République se réclamant des Lumières et soucieuse de préserver son aura intellectuelle, on ne doit pas jouer avec des approximations sur Dieu et la Shoah, on doit se taire. Car d’autres sont mieux placés pour parler et si les drames du XXe siècle ont eu lieu, c’est en raison d’un mal caché qu’on ne croyait pas virulent à ce point et comme dit Glucksmann (dont Sarkozy aurait mieux fait de s’inspirer), ce qui pose problème, ce n’est pas de croire ou pas en Dieu, mais de ne pas assez croire en l’existence du diable (en l’homme précisons-le). Et si Shoah il y eut lieu, c’est aussi le signe de la défaite des Lumières et de son humanisme. Voici deux extraits parlant, deux textes, l’un émanant d’un Juif, Arthur Katz, et l’autre d’un athée rationaliste, Maurice Cling. Quand on veut évoquer cet événement, autant choisir ceux qui parviennent à en dire quelque chose de sensé, ce qui n’est pas le cas de notre président.

Maurice Cling : 4) C’est peut-être François Mauriac qui formula le premier cette idée dès 1958 : "le rêve du Progrès, des Lumières, de la Science a achevé de se dissiper devant ces wagons" (contenant des déportés, vus à la gare d’Austerlitz, M.C.) ; citons aussi le théologien catholique G. Baum : "Auschwitz est si complètement irrationnel qu’il réfute toute théorie du progrès dans l’histoire" 19, A. Kaspi, pour qui "l’histoire de la Shoah fait contrepoint à la modernité, à notre conviction que le progrès nous entraîne, que la philosophie des Lumières guide nos pas", etc. 20, et A. Finkielkraut : "Auschwitz condamne l’idéal révolutionnaire marxiste". Nous y voilà. Auschwitz a bon dos. Notons enfin pour mémoire les thèses de psychanalystes qui expliquent le génocide par "la pulsion de mort de la civilisation" et/ou "la haine de l’Autre". Et même Jean Kahn, alors président du CRIF, selon lequel il s’agit de "la pulsion de mort de l’Occident" 21. Mais les résistants et les victimes en particulier ont-ils envisagé ou effectué un génocide ? Voilà qui ne nous avance guère. Il est clair que chacun trouve ici ce qu’il apporte, et démontre ses propres présupposés. Et comment ne pas évoquer à ce sujet la formule célèbre de l’idéologue nazi : "rayer 89 de l’Histoire" ? Étrange résurgence, on en conviendra, et là où d’aucuns l’attendraient le moins. Or, Auschwitz, loin de condamner les Lumières et les "utopies" qu’elles ont nourries me semble confirmer leur valeur de façon éclatante. L’entreprise hitlérienne, épaulée en France par le régime de Vichy, fut précisément dirigée contre ces valeurs démocratiques et celles du mouvement ouvrier, contre l’héritage des valeurs universelles. Elle apporte a contrario la preuve décisive, la preuve par 89 si on peut dire, de leur prix et de leur rayonnement.

Arthur Katz : Comme l’écrit le théologien Ulrich Simon, "Auschwitz a pour l’humanité une signification durable en tant que révélateur de la condition humaine. Dans un cadre de pensée purement humain, il y a là un problème qui n’a ni sens ni solution... Auschwitz écarte les théologies purement terrestres et exige ne révélation donnée d’en haut..." Autrement dit, pour pouvoir interpréter l’Holocauste, on a besoin d’une vision et d’une explication qui dépassent tout ce que les humanistes sont en mesure de proposer. L’Holocauste rend caduques leurs analyses et exige une vision céleste, une explication divine. L’Holocauste est fait pour acculer les hommes à une situation dans laquelle ni notre intelligence propre ni la sociologie ni l’analyse historique ni la critique ne peuvent apporter de réponse. Le phénomène en lui-même n’est pas nouveau ; ce qui l’est, c’est son ampleur, ainsi que l’horreur de la savoir si proche de nous dans le temps. Cette manifestation du mal à l’état pur met en lumière une dimension démoniaque et satanique qui s’était dissimulée jusque-là. Elle nous contraint de chercher à comprendre quelque chose du monde spirituel, ce qui ne va pas dans le sens de la pensée juive séculière et rationaliste.


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