Suis-je un salaud de riche ?

par Iris
vendredi 18 janvier 2008

Avertissement : cette histoire est une fiction.

"Sale riche", me dit un gamin énervé, certainement un peu éméché, alors que je venais de piler au feu rouge avec mon dernier modèle de chez BMW, le plus luxueux.
Et alors, j’ai les moyens, mince, et les voitures c’est mon dada, j’ai toujours aimé les Allemandes. Je ne vais pas culpabiliser, ah non, ça jamais. C’est vrai j’ai eu de la chance, je ne le nie pas, bien né, de bonnes études et un job super bien payé. Je n’ose pas dire le montant, plus de 5 000 euros par mois, oui, et 70 heures de travail par semaine au moins, toujours en déplacement aussi. La vie de famille en pâtit un peu, je ne vois pas suffisamment mes gosses et ma femme, ils s’en arrangent, je crois.

Mais pourquoi je vous raconte tout ça  ?

C’est que je viens de prendre conscience de, disons, certaines choses, grâce à une amie proche. Caroline a toujours été mon amie, une vraie amie. On s’est connu en terminale, on a flirté quelques mois, puis on s’est vite aperçu que ça n’allait pas coller, mais on est resté amis. Elle a été obligée de travailler très vite après le bac, sans argent pour les études... ou peut-être elle n’était pas faite pour les études, je me rappelle, ça la barbait. Elle, ce qu’elle aimait, c’était les gens, les rencontres. Elle avait plein d’amis autour d’elle et j’étais heureux d’en faire parti. Nous nous sommes toujours vus régulièrement et ça, depuis plus de quinze ans maintenant. Et pourtant, nous ne sommes pas du même milieu social. Jeunes, cela ne se voyait pas trop, mais en vieillissant, si. On en parle ensemble, elle n’a jamais eu honte d’ouvrir sa porte, son petit appartement dans le 18e, sans trop de lumière, avec une cage d’escalier miteuse. Et moi, je m’en suis toujours foutu ! J’ai toujours adoré aller chez elle, c’est un havre de paix, je peux avec elle, faire tomber ma cravate, mon masque de cadre sup. C’est comme ça, chez elle, c’est comme si je pouvais enfin être moi-même. Elle me connaît bien, mes défauts, mes qualités, elle m’accepte entier. Et moi aussi, en retour, je l’accepte telle qu’elle est, oh, c’est facile, elle est bourrée de qualités, mais ne croyez pas, elle a ses défauts aussi, comme de me raconter, pendant des heures parfois, ses maladies psychosomatiques et les nouvelles médecines naturelles qu’elle vient de découvrir.

Bon, j’en viens à mon histoire. Elle m’a raconté l’autre jour, qu’elle a une amie, Géraldine, qui a trop flambé et compté sur l’héritage familial et qui se retrouve sans le sou. Cette fille a bourlingué toute sa jeunesse aux quatre coins du monde, rencontrant pleins de gens, de tous milieux, de toutes origines, se retrouvant tantôt fauchée, tantôt remise à flot par un bon geste de la famille. Le problème maintenant, c’est qu’elle n’a plus personne pour la renflouer. Arrivée sur la quarantaine, elle survit péniblement en étant caissière et ça fait plus de trois ans que ça dure. Elle s’est résignée, peut-être la fatigue, peut-être le manque d’envie de conquête sociale, elle s’en est toujours foutue et elle peint à ses heures. Elle s’est habituée et se dit qu’après tout être pauvre, ce n’est pas une tare. Seulement voilà, elle s’est confiée à son amie et lui a avoué que plus le temps passe, moins elle voit ses amis aisés, elle commence à ne fréquenter que des gens, comme elle, qui ne peuvent pas finir les fins de mois.

"C’est plus facile, tu vois, on se comprend ! J’en suis arrivé à ne plus supporter les réflexions des gens qui n’ont pas de souci d’argent. Ils ne se rendent pas compte. Oh, je ne leur en veux pas, mais ça me met mal à l’aise et puis je ne peux plus rendre les invitations. Tu sais, 6 personnes à dîner à la maison, ben c’est des repas en moins pour moi. Et puis, tu me connais, je ne peux pas leur offrir de la piquette, j’aime que la table soit jolie et les mets appétissants. Avec mes amis pauvres, on s’en fout, on boit de la bière et une plâtrée de pâtes et on se marre bien. Je vais te dire un truc tout con, cela fait des mois que je n’ai pas remplacé l’abattant des toilettes, ok, c’est dans les 20 euros, mais 20 euros, tu sais pour moi, il y a toujours un truc plus important à acheter. Et bien, ça rate pas, chaque fois que des "riches" viennent à la maison, j’ai droit à la réflexion " alors, c’est quand que tu le changes, cet abattant de toilette"... et des pauvres, jamais, vraiment, jamais !
Puis quand ils me parlent de restaurant, de chez machin ou de chez truc, tu sais rue de..., oh, c’est pas cher, je t’assure, le soir tu t’en tires pour 30 euros grand max !
Ben, oui, mais moi je ne peux pas me le payer le resto, alors je dis rien, j’écoute, j’approuve, je souris, mais je suis triste. Ils savent bien pourtant que je n’ai que 700 euros par mois, mais ils ne savent pas faire attention. Ils n’y pensent pas. Pour eux, c’est naturel.

L’autre soir, j’ai été invitée à une soirée de bourges, mince, tu as remarqué comme je parle... attends, rigole pas... arrête de rire... je vais me pisser dessus...

Bon, ben, super maison, grand jardin tout éclairé, une cinquantaine d’invités, tous bien habillés, courtois, verre de champagne à la main. Tu me connais, j’ai parlé un peu avec tout le monde, et ce que j’ai entendu m’a effrayé. Quel gouffre !
Ils parlaient de dernier modèle de voiture sorti, "oh, je sais pas, tu crois vraiment, le dernier 4/4 Chrysler, il est bien ? Je vais peut-être l’essayer", de décoration, "il faut vraiment que tu ailles dans ce magasin, c’est génial, les dernières lampes design qu’ils viennent de sortir sont à peine à 200 euros, c’est vraiment pas cher", de bouffe, "ah, tu n’y est pas encore allé ? Il vient juste d’avoir la deuxième étoile, je t’assure, c’est vraiment très fin, en plus ils cherchent la troisième étoile, alors tu vois, tu payes le prix d’un deux étoiles pour un de trois", de maladie, "Monique, la femme de Grégory a un cancer, c’est pour ça qu’ils ne sont pas là ce soir. Un cancer de quoi ? Ah de l’utérus, attends, je connais le meilleur spécialiste sur la place de Paris, il est pas donné, mais bon, ils ont les moyens, je crois. Je vais les appeler pour leur donner son adresse et qu’ils y aillent de ma part"....
J’écoutais, j’écoutais, je passais de groupe en groupe, mais je ne savais pas quoi dire. Une amie m’a présenté à un petit groupe "Géraldine est artiste peintre", "Ah bon, vous peignez ? Moi aussi à mes temps perdus..."
Tu ne peux pas savoir, j’avais envie de dire, non, je ne suis pas artiste peintre, je suis caissière de supermarché, mais je me la suis fermée, j’allais pas gâcher la soirée.
A la fin, après quelques coupes, j’ai parlé plus d’une heure d’éducation avec un député PS, "oui, oui, vraiment l’éducation, c’est sur ça qu’il faut mettre le paquet, tout part de là ! ..."

Quand elle a eu fini de me parler de Géraldine, j’ai dit à Caroline :

"Tu crois vraiment que je suis un salaud de riche ?"

Et Caroline m’a répondu :

"Mais non, tu es mon ami, tu es dans un autre monde, c’est tout !"



Lire l'article complet, et les commentaires