Nordahl Lelandais, sa paternité et l’hybristophilie

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 2 février 2024

« Hybristophilie : déviation sexuelle dans laquelle la personne est attirée par des criminels, assassins et meurtriers. » (provenant du grec hybrizo, ὑϐριζω, "commettre un outrage contre quelqu'un", et philo, φιλω, "aimer").

Précédemment, j'ai évoqué la figure de l'abbé Pierre qui avait 41 ans au moment de lancer son fameux appel pour venir en aide aux sans-abri. 41 ans, c'est l'âge que va avoir Nordahl Lelandais dans quelques semaines (le 18 février 2024), mais la comparaison s'arrêtera évidemment là. L'un est le symbole de la bonté et de la générosité, bonté et générosité efficaces, une personnalité qui a su faire du bien à grande échelle, voire à l'échelle industrielle (Emmaüs). L'autre, au contraire, est l'un des symboles de ce qu'il y a de pire chez l'humain, de l'horreur, de la brutalité et surtout, de la mort, du chagrin infini des familles.

Je voudrais revenir sur un fait récent concernant ce multi-meurtrier.

Rappelons d'abord très rapidement qui est cet homme : Nordahl Lelandais a été condamné le 11 mai 2021 par les assises de Chambéry à vingt ans de réclusion criminelle dont quatorze ans de sûreté pour le meurtre d'Arthur Noyer (23 ans), disparu dans la nuit du 11 au 12 avril 2017 à Chambéry et dont le corps a été retrouvé le 7 septembre 2017 à Montmélian, et il a ensuite été condamné le 18 février 2022 par les assises de Grenoble à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté de vingt-deux ans pour le meurtre de Maelys de Araujo (8 ans), disparue dans la nuit du 26 au 27 août 2017 à Pont-de-Beauvoisin et dont le corps a été retrouvé le 14 février 2018 dans la Chartreuse.

Pour ces deux meurtres, Nordahl Lelandais a reconnu devant la justice avoir été à l'origine de la mort de ses victimes, respectivement le 14 février 2018 (Maelys) et le 6 avril 2018 (Arthur Noyer). Au-delà de ses aveux, des éléments matériels ont établi sa culpabilité (des traces de sang dans la voiture et la géolocalisation des téléphones mobiles, très efficace pour retrouver un itinéraire).



Par ailleurs, Nordahl Lelandais a été condamné le 12 janvier 2024 par le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières d'une peine d'un an de prison pour l'agression sexuelle sur l'une de ses petites-cousines en mars 2017.

La police enquête encore et a même rouvert des affaires déjà classées concernant une vingtaine de disparitions mystérieuses pour vérifier si Nordahl Lelandais pouvait en être l'auteur. Pour l'instant, aucun élément ne semble l'accuser, mais c'était par cette méthode que le meurtre d'Arthur Noyer a été résolu, après avoir enquêté sur lui pour le meurtre de la petite Maelys.

Tout cela est très glauque, même si les circonstances des meurtres ne sont pas bien claires, puisque le meurtrier nie toute motivation sexuelle, mais celle-ci n'est pas à exclure. Après ses deux procès aux assises, Nordahl Lelandais est désormais incarcéré à la prison d'Ensisheim, entre Colmar et Mulhouse, en Alsace.

L'information la plus récente a été donnée par "Le Parisien" le 12 janvier 2024 et reprise en une par la chaîne d'information continue BFMTV le 15 janvier 2024. Cette chaîne, spécialisée dans les faits-divers les plus glauques et sordides, n'hésite pas à en faire des tonnes sur tout ce qui a rapport avec des affaires criminelles qui, par définition (il suffit de voir le succès des romans policiers et des séries policières à la télévision), font de l'audience : « Le détenu, qui purge une peine de prison à perpétuité pour les meurtres du caporal Arthur Noyer et de Maëlys de Araujo, a eu un petit garçon avec sa compagne il y a deux mois. ».

Évidemment, les familles des deux victimes ont exprimé leur colère en apprenant qu'on pouvait être un double meurtrier condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté de vingt-deux ans et pouvoir concevoir un enfant, donc, avoir des rapports sexuels avec une femme en prison.



Disons-le tout de suite : la naissance d'un être humain, quelles qu'en soient les conditions, est pour moi toujours l'œuvre d'une grâce infinie. De plus, dans tous les cas, l'enfant qui vient de naître, même si, avouons-le, il commence un peu difficilement dans la vie, est innocent, vierge, blanc de toute tache paternelle, il n'est responsable d'aucun crime commis par son père, et j'espère pour lui que son existence trouvera la voie du bonheur et de la félicité. Je lui souhaite surtout de la discrétion médiatique pour qu'il puisse se construire hors de l'ombre d'un père forcément absent.

Si on fouille un peu le sujet, on apprend vite que Nordahl Lelandais avait bénéficié dans sa prison de Saint-Quentin-Fallavier (en Isère), depuis 2020, de la disposition d'une unité de vie familiale, un espace permettant au détenu d'avoir l'intimité requise pour des relations amoureuses. Son ancienne compagne et visiteuse de prison, Élisabeth (50 ans), que le meurtrier a ensuite larguée (à la fin de décembre 2021), a reconnu le 13 janvier 2022, devant la police, lui avoir fourni en septembre 2021 deux smartphones (en plastique, indécelables dans les portiques), ainsi que, selon "Le Dauphiné libéré", « deux chargeurs, trois cartes SIM, deux grammes de cocaïne et du rhum » (une enquête est donc en cours). L'ex-compagne l'avait aussi accompagné à l'enterrement de son père en janvier 2021 (il avait alors obtenu la permission de sortir de sa prison).

Et le 28 avril 2022, shocking ! Nordahl Lelandais a été pris en flagrant délit, surpris en plein ébat sexuel dans une salle de parloir, considérée comme un lieu public et donc ces relations ont été qualifiées d'exhibition en public. Avec qui ? Avec une nouvelle compagne, mais ce qui est troublant, c'est que c'était sa première visite, elle a longtemps correspondu avec le meurtrier et a mis beaucoup de temps pour obtenir l'autorisation de le visiter.

On voit bien qu'il n'y a pas de réel isolement du détenu puisque des relations sexuelles peuvent avoir lieu, avec des femmes différentes d'ailleurs. Il n'est donc pas étonnant qu'il puisse ainsi devenir père. Si je comprends la réaction scandalisée des familles des victimes, je le suis moins sur le fait de cette paternité-là, même si je subodore qu'il ne devait pas nécessairement y avoir de projet parental de sa part et que son objectif aurait été plutôt de satisfaire ses besoins primaires (mais ça ne regarde que lui). Cette information pose en fait deux (autres) problèmes.

Le premier, ce sont les conditions carcérales. La France n'est pas au mieux avec la manière dont elle détient ses condamnés, à cause en particulier de la surpopulation carcérale. Certaines prisons sont particulièrement vétustes et le scandale vient plus des conditions d'incarcération dans lesquelles l'hygiène minimale n'est pas assurée, que du confort qu'on permet aux détenus. C'est vrai que les programmes électoraux qui visent à construire plus de prisons ne font pas rêver, on préfère construire des écoles, des hôpitaux et des salles de spectacle. Il y a une quarantaine d'années, une polémique avait éclaté lorsque la gauche a voulu introduire la télévision dans les cellules des prisons (sous réserve de payer une redevance, comme à l'hôpital ou dans les EHPAD !)... Il n'y a plus de bagne ni de galère, et l'idée de prison est à la fois de punir selon une échelle des peines, mais aussi d'envisager une réinsertion après la détention, horizon difficilement accessible pour des condamnés à la réclusion à perpétuité, j'en conviens.

Le second problème est, ici, pour moi, le plus troublant. Être criminel, avoir tué, notamment une petite fille, est un élément qui attirerait donc certaines femmes. Une source d'admiration. C'est plus qu'inquiétant. C'est ainsi que BFMTV a sorti ce moche mot d'hybristophilie : le fait d'aimer des criminels. Quand on lit des livres très précis sur certaines affaires criminelles (il y a plein d'histoires de criminels dans la littérature), on s'aperçoit assez rapidement que lorsqu'il est incarcéré, puis condamné, le meurtrier voire l'assassin reçoit parfois des contacts de personnes intéressées à nouer une relation avec lui. Il n'y a d'ailleurs pas forcément de sexe particulier, le criminel peut être une criminelle, elle attirera aussi des visiteurs de la même sorte (on préférera alors le terme d'enclitophilie). L'hybristophilie et l'enclitophilie peuvent être aussi appelées "syndrome de Bonnie et Clyde".

On lit du reste sur Wikipédia que Landru, qui avait assassiné onze femmes, avait reçu en prison plus de quatre mille lettres enflammées dont huit cents demandes en mariage de femmes séduites par l'abominable et le glauque. On voit donc que cette déviance affective n'est pas nouvelle. Le site donne aussi l'exemple de Monique Olivier, compagne mais aussi complice du pédomeurtrier Michel Fourniret, dont le procès vient d'avoir lieu ; elle a été condamnée le 19 décembre 2023 par les assises de Nanterre à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt ans pour la complicité de l'enlèvement, du viol et du meurtre de trois jeunes filles dont Estelle Mouzin, 9 ans (Monique Olivier a rencontré Michel Fourniret pour la première fois en prison, condamné par la cour d'assises de l'Essonne à sept ans de prison dont deux avec sursis, pour des viols et agressions sexuelles).

Ce n'est pas nouveau, mais c'est peut-être de plus en plus visible. Dans la société, chez certains, la violence est une caractéristique essentielle, et si elle s'exprime dans la vie réelle, elle est un danger immédiat pour tout le monde. C'est le double enjeu pour la société : éduquer les jeunes pour réduire la violence et leur donner d'autres modes d'expression ; assurer un réel suivi psychologique de ceux pour qui la violence est un mode de vie.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


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