2007 : une année charnière de plus pour la musique et internet

par Gilles Rettel
jeudi 3 janvier 2008

L’année 2007 restera sans doute comme une année importante dans l’histoire mouvementée des rapport entre la musique et internet ainsi que le furent avant elle les années : 1994, 1998 et 2003.

En 2007, quelques éléments sont venus changer le paysage. Certains ne viennent que confirmer fortement des tendances déjà amorcées.

D’autres sujets auraient pu être abordés comme les espaces de stockage sur internet, mais la barque vous semblera déjà bien pleine.

Le cas Radiohead

C’est sans doute l’événement marquant de l’année 2007.

Rappelons les faits : les membres du groupe Radiohead, sans maison de disques depuis la fin de leur contrat avec Parlophone (EMI), décident de produire eux-mêmes leur prochain album intitulé In Rainbows. Le 10 octobre 2007, l’album sortait uniquement en téléchargement (format mp3, 160 kp/s sans DRM) sur un seul site destiné à cet usage :  Innovation essentielle, c’est l’internaute qui fixait lui-même le prix auquel il désirait acheter l’album composé de dix titres. Il était impossible de télécharger un titre seul. Parallèlement à ce téléchargement, il était possible de pré-commander, pour une livraison à partir du 3 décembre, une Discbox contenant : 2 CD-Audio, 2 maxi vinyls et un livret. A partir du 10 décembre, il n’était plus possible de télécharger l’album car une sortie "classique" sur support CD - distribué par XL Recordings en Europe - était programmée pour le 31 décembre. Il sera également, à cette date, disponible sur les plates-formes de téléchargement légal.

Il est difficile de savoir quels sont les résultats de cette opération. Les chiffres annoncés par ComScore ayant été démentis par Radiohead. Ce qui semble certain pour la majorité des observateurs, c’est qu’elle a été un grand succès pour au moins trois raisons :

  1. c’était la première opération de ce type et de cette envergure ;
  2. la notoriété du groupe ;
  3. l’album est très bon (un peu d’artistique ne fera pas de mal).

Cette première expérience notable tentée, nombreux sont ceux qui ont suivi l’exemple Radiohead. Citons :

Deux enseignements à tirer de ces expériences :

  1. Qui fixe le prix ?
  2. La multiplication des vecteurs de distribution.

Qui fixe le prix ?

On a assisté en quatre ans à un glissement complet du modèle de fixation du prix.

Musique Info Hebdo du 30 novembre 2007 rapporte que pour l’album de Barbara Hendricks certains internautes ont payé 20 € alors qu’il peut être téléchargé sur l’ensemble des plates-formes de musique en ligne au tarif de 9,99 €. Cela pourrait paraître irrationnel, ça l’est. Ce qui est mis en évidence par le modèle Radiohead, c’est la relation directe entre l’artiste et l’acheteur. Ce qu’achète l’acheteur c’est du lien affectif, le prix qu’il fixe et qu’il paye c’est la force de son attachement à l’artiste, il n’y a rien de rationnel là-dedans. La somme la plus importante payée pour l’album de Radiohead a sans doute été 5 000 $ payé par Trent Reznor de Nine Inch Nails comme il l’a révélé dans une interview au New York Magazine le 30 octobre.

Un des trois modèles va-t-il l’emporter sur les autres ? Je ne le crois pas, ils vont cohabiter ce qui va rendre encore un peu plus complexe un monde déjà peu lisible. On avouera qu’il s’agit-là d’un véritable bouleversement.

La multiplication des vecteurs de distribution.

Avec Radiohead, on assiste à la mise en place d’une chronologie des sorties sur un nombre toujours plus grand de façons de publier un album  :

Complément

Même s’il ne s’agit pas d’internet, il est difficile de passer sous silence, un nouveau mode de distribution apparu en 2007 : le CD-Audio distribué gratuitement avec un journal. Trois exemples illustrent ce nouveau mode :

  1. En Angleterre, le dernier album de Prince a été distribué avec le Mail on Sunday le 14 juillet 2007 ;
  2. En Belgique, c’est l’album de Sarah Bettens qui était distribué le 13 octobre 2007 avec De Morgen ;
  3. Le 21 octobre 2007, c’est le Sunday Times qui distribuait le dernier album de Ray Davies.

L’échec partiel des solutions DRM

Dans un article essentiel « Thoughts on music » daté du 6 février 2007, Steve Jobs, le patron d’Apple, faisait le point sur les difficultés observées dans le téléchargement légal à cause des DRM (Digital Right Management). Pour résumer, le débat tourne autour de l’interopérabilité. Aujourd’hui des fichiers achetés légalement sur le site de la Fnac au format wma ne sont pas lisibles sur un baladeur iPod d’Apple. Ce sont les DRM, sorte de verrous numériques, qui empêchent cette interopérabilité. Des tentatives avaient déjà été faites pour sortir de ce casse-tête. La Fnac avait dès septembre 2006 vendu des fichiers mp3 sans DRM avec un certain succès (Aaron par exemple). L’article de Steve Jobs a rapidement eu des suites. Le 2 avril 2007, EMI signait un accord avec Apple pour publier son catalogue au format mp3 sans DRM.

Deux poids lourds de la distribution - Amazon et Wal-Mart - déclaraient en août vouloir lancer des plates-formes de téléchargement mais sans DRM. Depuis Amazon a signé avec Universal et EMI pour vendre une partie de leur catalogue. Warner les a rejoint en toute fin d’année, le 27 décembre (3).

L’abandon partiel des DRM a un impact direct sur les intervenants qui utilisaient des systèmes propriétaires reposant lourdement sur les DRM. C’est le cas de Sony et de sa plate-forme de téléchargement légal Connect. Pour simplifier, seuls les baladeurs de la marque Sony sont capables de lire les fichiers achetés sur cette plate-forme. De plus, le site web est incompatible avec Firefox, un cauchemar pour l’internaute. Sony a été condamné en France pour tromperie, en ne signalant pas expressément que les fichiers achetés sur Connect n’étaient lisibles que sur des baladeurs Sony. Sony en a tiré les conséquences et fermera Connect en 2008.

Les DRM vont-elles être abandonnées pour autant ? Pas sûr, mais dans leur forme actuelle elles sont clairement un frein au développement du téléchargement légal.

La musique fluide

La musique de par ses caractéristiques sur le réseau devient de plus en plus semblable à un fluide. 2007 n’a fait, sur ce terrain, que confirmer une tendance lourde qui aura un impact énorme sur les usages.

Avec la numérisation de la musique et le réseau internet, les phonogrammes sont devenus « volatils ». Ils ne sont plus liés à un support. De nombreuses offres utilisent ces nouvelles caractéristiques. En voici deux tout à fait représentatives.

Deezer.com (anciennement Blogmusik.net) est un site de musique à la demande ; gratuit et illimité. Il s’agit d’écoute en streaming, pas de téléchargement. Ce site est maintenant quasi-légal puisque Deezer a signé un accord avec la Sacem et avec certains producteurs (ou est en passe de le faire). Ce sont les internautes qui fournissent le catalogue. Le service est gratuit pour l’utilisateur. C’est la publicité qui rémunère les auteurs et les producteurs.

SpiralFrog suit ce modèle publicitaire, mais il s’agit de téléchargement. Si certaines pages du site sont accessibles, l’ensemble du site n’est accessible qu’aux internautes résidents aux Etats-Unis ou au Canada pour des problèmes de droits.

Profitant de cette volatilité, certains Fournisseurs d’accès internet (FAI) ont intégré dans leurs offres d’abonnement des services en relation avec la musique. Neuf Cégétel a été le premier à proposer ce type de services à partir du 20 août 2007. Il s’agit d’une offre de téléchargement gratuit et illimité sur le catalogue d’Universal et dans un genre musical donné. D’autres offres plus complètes sont payantes. Alice propose depuis le 4 décembre une offre de même type avec EMI et plus de catalogue.

La musique devient donc de plus en plus un fluide distribué par un réseau comme l’eau, le gaz et l’électricité. L’accès à internet devient un robinet. A terme, il est probable que tous les FAI qui gèrent l’entrée du réseau (le robinet), proposeront dans leurs offres d’abonnement internet un service lié à la musique.

La montée en puissance inexorable des PM (Personal Mobile)

PM (Personal Mobile) par analogie évidemment à PC (Personal Computer)

A moins d’être anachorète, il n’aura échappé à personne que le PM est capable de tout faire (voir le tohu bohu médiatique autour de l’iPhone) et sera de plus en plus souvent la porte d’entrée d’internet. Il y avait en France 53 075 900 abonnements de mobile en septembre 2007. Il y a donc plus de PM que de PC. On comprend l’importance stratégique de ce secteur.

De fait, de grandes manœuvres industrielles et économiques liées à la musique ont commencé et vont continuer. En voici quelques exemples :

Le PM globalement et pas seulement par son rapport à la musique est un des enjeux majeurs des années à venir.

Un monde complexe et instable

Le monde numérique qui nous entoure est de plus en plus complexe. Les nouveaux outils, les nouvelles offres arrivent alors que les usagers ne se sont encore pas appropriées les précédents, mais l’année 2007 est plus une année de confirmation que de vraies nouveautés. Pour ceux ou celles qui sont attentifs, certaines pistes tracées sont assez claires. Il reste à trouver un équilibre avec le droit, mais c’est une autre affaire.


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