Carrosse ou corbillard pour ramener Ingrid Betancourt ?
par Bernard Dugué
vendredi 4 avril 2008
L’affaire Betancourt est simple dans son motif. Une prise d’otage par un groupe terroriste constitué dans les années de poudre, en 1964, dans un contexte politique et idéologique précis, qui du reste nous vaudra dans les années 1970 la bande à Baader, les Brigades rouges et chez nous Action directe. Les Farc sont encore présents. Leur combat est désespéré, leur fin semble proche ou, du moins, leur lente agonie. S’ils sont encore opérationnels, c’est pour diverses raisons et notamment la bienveillance des nations développées sur les trafics d’armes et de drogue avec l’appui de quelques réseaux financiers off-shore qui ne seront pas inquiétés. Ingrid Betancourt n’est pas française à l’origine, mais colombienne. Sa nationalité, elle la doit à un mariage avec Fabrice Delloye en 1981, avec lequel elle aura deux enfants puis duquel elle divorcera en 1990. Elle commencera alors une carrière politique en Colombie, au ministère des Finances, puis en étant élue députée en 1994 et ensuite en créant son parti en 1998. En 2002, alors qu’elle se présente aux élections présidentielles, elle est enlevée par les Farc après avoir pris des risques assumés pour soutenir le maire de San Vincente del Caguan, membre de son parti, défiant les avertissements du gouvernement sur la présence de guérilleros. Bref, un remake en vrai de La Chevauchée fantastique, sauf que les guerilleros des Farc sont mieux préparés que les troupes de Geronimo.
La suite est connue. Cette affaire qui aurait dû rester colombienne est devenue un enjeu national pour des raisons simples, la nationalité (double) d’Ingrid ; puis un ensemble d’intérêts politiques et d’affections se trouvant en connivence ; si bien que la France a mis un point d’honneur à délivrer cet otage en montant les médias et l’opinion publique pour une cause commune et structurante, de quoi démentir René Girard pour qui seuls les boucs émissaires seraient source de cohésion d’un ensemble social. Les proches sont sincères. On ne peut leur faire de procès d’intention. Le reste, c’est une orchestration de la bonne pensée française, médiatique, politique, une cause devenue nationale, qu’on peut juger comme un produit de la sphère politico-émotive ; celle avec laquelle sait jouer Sarkozy ; notre président essayant de jouer une partie gagnante comme avec les infirmières bulgares. Sauf que des grains de sable sont dans la machine et qu’une fois le président impliqué dans cet engrenage, il ne sait plus comment en sortir, ayant misé son volontarisme dans une cause qui, pour être honnête, n’aurait jamais dû dépasser les frontières de la politique sud-américaine, Ingrid Betancourt ayant quitté la France en 1990 et signé son destin dans son pays d’origine. Nul ne sait s’il y a une erreur politique de la part de la France. Les dieux tolèrent-ils l’ingérence ? Une ingérence qui a donné à cet otage une valeur plus grande à monnayer, un moyen pour exister, puis être sous les projecteurs pour un deal de la dernière chance ; un sursaut d’honneur des Farc qui, se sachant condamnés, savent pertinemment qu’en ne reculant pas face à cette médiatisation et cette implication de la France auront gagné leur dernière bataille à la Pyrrhus, retenant jusqu’au bout celle qu’une puissante nation a tenté de sauver. On comprend comment les paroles de Sarkozy sonnent bien vaines et dérisoires, appelant au sentiment d’humanité des Farc qui savent pertinemment que quelques dirigeants occidentaux ont un mental à la Eichmann et ne rechignent pas à sacrifier des milliers d’enfants pour quelques intérêts stratégiques, comme Madeleine Albright qui justifia les conséquences désastreuses de l’embargo économique contre l’Irak en 1996, jugeant que c’était le prix à payer pour faire plier Saddam. Un propos qu’elle dira regretter dans sa biographie.
Le sort d’Ingrid Betancourt est tragique. Sans doute est-il symptomatique du monde violent où l’on vit et des parties géopolitiques s’y déroulant. Son destin semble être calqué sur celui de Jaurès ou Jean Moulin. L’ultime tentative du président Sarkozy et son expédition arche perdue ne devrait rien y changer. D’ailleurs, la France a semble-t-il instrumentalisé le cas Betancourt pour une moitié de nationalité inscrite sur un passeport (le chacal Mamère en a d’ailleurs fait un thème de campagne municipale). Ingrid aurait été pure colombienne que nul n’en n’aurait parlé et qui sait si elle ne serait pas libre maintenant. Son aventure récente symbolise le patriotisme français. Mais toutes les nations sont patriotes, dans l’antichambre du nationalisme, que quelques-unes ont franchie. Que dire de plus ? Les histoires d’amour finissent mal, chantait Catherine Ringer. Les histoires de pouvoir finissent mal aussi. Un coup on gagne, un coup on perd. On ne traite pas avec les Farc comme avec la Libye, Etat constitué, certes dictatorial, mais doté de rouages avec qui on peut négocier. La mort d’Ingrid Betancourt signera alors, une fois de plus, un sens sur cette haine qui, cristallisée en quelques factions, anime les uns et les renforce dans leur combat jusqu’au-boutiste. C’est d’ailleurs le problème pour tous les foyers terroristes et sectaires. Ils tirent leur force de leur haine, mais leur triomphe, s’il y a, est passager et ne laisse aucune trace de gloire ni de civilisation, dont ils sont le contraire. La passion de l’argent peut aussi conduire au pire. Mais cette passion peut être utilisée pour faire entrer dans un jeu quelques moyens pour une fin escomptée.
Le corbillard pourrait se métamorphoser en carrosse si par un heureux dénouement, la mission humanitaire parvenait à réussir. Par quel miracle ? Il n’y en a pas. Excepté une valise de billet de banques bien remplie. Qui peut aider à la négociation. Mais comme l’a dit Sarkozy, silence, l’affaire est périlleuse, autant sinon plus qu’un deal pour dix tonnes de coke. C’est une mission à la Pyrrhus maintenant qui se joue, diront les mécréants. Si elle réussit, le prix n’est pas tant la rançon versée qu’une image indûment gagnée par Sarkozy, faussant de ce fait le jeu politicien français. Un président accueillant Mme Betancourt sur le tarmac de Villacoublay ? Ce qui, au terme, nous ramène au ressort essentiel : français. Mission humanitaire, faut-il sauver Ingrid ou l’image de Sarkozy ? Diront les mécréants. Quoi qu’il en soit, les dés sont jetés et les dieux ont décidé s’il faut faire revenir un carrosse ou un corbillard. Les dieux du destin et du sens, rétribuant les humains selon leurs mérites et leur sincérité.