Israël, ils savaient !

par Jules Seyes
mardi 29 avril 2025

Lorsque j’avais écrit la modeste proposition (Modeste Proposition 1 - AgoraVox le média citoyen), il m’avait semblé atteindre le comble de l’horreur. Désormais, la réalité avec apparemment 40 000 tués directs et 200 000 indirects a largement dépassé le comble de l’horreur.

Un terrifiant bilan, où 1300 morts du sept octobre ont été vengés 180 fois chacun dans un déchaînement de violence dont toute proportionnalité était exclue. Et encore, si l’on impute au HAMAS l’intégralité des pertes, car des rumeurs persistantes mentionnent l’usage de la directive Hannibal, politique israélienne qui, pour éviter de négocier, suppose de préférer tuer ses propres civils au lieu de laisser les Palestiniens les prendre en otage.

Près de la moitié des victimes du sept octobre seraient ainsi tombées sous les coups des forces chargées de les défendre. L’hypothèse semble crédible. Si l’on constate l’usage massif d’obus de trente millimètres, de missiles Hellfire par les hélicoptères, ce ne sont pas des armes de tireur d’élite. Il s’agissait déjà d’une manière assez hallucinante de gérer la sécurité.

Le pire restait à venir et le témoignage du patron du Sin Bethi est accablant : A 4h30, il informe le conseiller militaire du premier ministre. Deux heures plus tard, le festival Nova sera attaquéii.

En deux heures, il n’a pas été possible d’annuler le festival, de mettre la région en alerte ? Non, en réalité, le premier ministre israélien, empêtré dans ses affaires, semble avoir voulu le sept octobre et a ignoré tous les avertissements, que ce soit ceux des unités chargées de surveiller Gaza, ceux des services égyptiens. Autrement dit, le Hamas n’a pas été bon, il s’en est pris à un adversaire prêt à collaborer en ignorant les alertes pour obtenir un blanc-seing en vue de pouvoir ensuite commettre un massacre à Gaza. En ce sens, le sept octobre est une victoire des extrémistes des deux camps qui sont parvenus à augmenter le niveau de violence du conflit.

Cela pose la question du choix de la direction politique israélienne. On peut comprendre le désir des Israéliens de vivre en paix et leur envie de sécurité, tout le monde le veut. Seulement, la direction actuelle de l’état d’Israël, a choisi les manœuvres politiques pour justifier le pire. Autrement dit : mettre en péril la sécurité de ses propres citoyens pour, en réalité, justifier une politique de vol de terre. Car, c’est de cela qu’il s’agit.

Le premier ministre israélien réalise la politique souhaitée par ses alliés de la coalition : le Grand Israël de la mer au Jourdain. Peu importent les morts ou les destructions. Son but est de donner à ses alliés le cadastre biblique dans l’ignorance de l’existence des populations préexistantes.

Un drame rendu possible par la politique d’immigration de juifs pratiquée par Israël : Pour se renforcer, cette coalition fait venir des populations considérées comme fiables. Pour leur assurer logement et niveau de vie, elle augmente la pression sur le territoire et crée les conditions de la confrontation.

En face, Gaza, sans avenir, soumis à des bombardements, s’enfonce dans la démographie, car les familles intègrent la possibilité de perdre un ou plusieurs enfantsiii.

Tout ceci, sur un territoire dont les ressources hydriques sont limitées, nous avons ici tous les ingrédients du désastre.

Impasse créée par la politique du Likoud et le refus des accords d’Oslo, après l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Faute d’accord politique, seule restait la voie de l’épée et chacun affûte ses armes, notamment démographiques, qui, comme nous l’avons vu, aggravent la situation. Alors, que faire ?

Supposons un instant que la politique israélienne ait réussi, après tout  : l’histoire sait se montrer bonne fille pour les vainqueurs, surtout si, grâce à la complaisance des médias, ils peuvent écrire l’histoire.

Dans ce scénario, la population de Gaza fuyait vers l’Égypte, Israël récupérait le territoire nettoyé. Il agissait de même au Liban et adossait sa frontière nord au fleuve Litani.

Grande victoire ? Non, juste un arrondissement du lotissement qui ne changeait pas le rapport de force entre Israël et les pays voisins. Fondamentalement, le pays serait resté sous la menace d’un rapport démographique défavorable compensé par la seule supériorité technologique. Une situation fragile, tant les avantages technologiques sont transitionnels, car la technologie tend à se diffuser.

Le Hamas, l’Iran, les Houtis l’ont prouvé, ils peuvent monter en gamme, et s’ils ne parviendront pas demain à égaler l’intégralité de l’avantage israélien, ils n’en ont pas besoin.

Dès lors, la politique du Likoud n’apporte rien. Elle enferme Israël dans une impasse mortifère sans solution de long terme. Au contraire, les opérations menées depuis le sept octobre aggravent la haine de part et d’autre et rendent tout accord politique impossible.

Et là est la faillite de la politique israélienne ! Encore une fois, on peut comprendre le sentiment de terreur d’une population qui voit ses enfants ne pas revenir d’un bal, d’une rave, toutes activités éminemment pacifiques. On peut même avoir de l’empathie pour leur envie de vengeance, mais le rôle de la direction politique est justement d’apporter la nécessaire rationalité, pas d’instrumentaliser. En ce sens, la CPI a eu raison d’engager la responsabilité personnelle de monsieur Netanyahou.

Seconde objection, les enfants de Gaza n’étaient pas invités et organiser une fête à quelques kilomètres d’un mur gardé par des soldats revient à danser sur un volcan. L’ignorance, ou le refus d’entendre, ne peuvent pas être une excuse. Il en va de même pour la démocratie israélienne. Certes, elle existe, mais jamais elle n’a offert aux Palestiniens d’y participer, pour déterminer ensemble la manière de vivre en commun sur ce territoire où coexistent les deux communautés. Dès lors s’applique la fameuse phrase de Critias, l’un des chefs des Trente Tyrans d’Athènes : « Si tu t'imagines, ajouta-t-il, que parce que nous sommes trente et non pas un, nous n'avons pas à veiller sur notre pouvoir comme si c'était une tyrannie, tu es naïf », lui fait dire Xénophon (Helléniques, II, 3, 16).

Voilà bien l’impasse dans laquelle s’enferme la démocratie israélienne, faute de partager certains aspects clés du pouvoir avec les Palestiniens (eau, foncier…) elle s’enfonce dans la nuit de la tyrannie envers eux et rend la confrontation inévitable.

Faut-il alors s’étonner que les Palestiniens soutiennent les mouvements les plus radicaux ? La guerre n’est pas connue pour fabriquer de nobles poètes jouant de l’aède dans le monde des idées. Elle requiert des hommes durs, fabrique de la haine, du ressentiment, du sang et des larmes amères. Il faudra plusieurs générations pour faire oublier la haine née de deux années de bombardements et d’une douloureuse histoire au cours des décennies précédentes.

Alors que faire ? On peut ressasser, mais cela ne donne pas de solutions concrètes, me direz-vous. Certes et malheureusement, car il n’existe pas de solution réelle et sérieuse. La première solution : Expulser les Palestiniens vers un autre pays a échoué et jamais l’Égypte ou un autre pays de la région ne les acceptera, car ce serait dépouiller les Palestiniens et concéder une victoire politique au Likoud. Moralement et politiquement inacceptable en l’état de la situation.

En l’état actuel, le plan de Donald Trump contient de bons éléments :

Retirer Gaza (et probablement la Cisjordanie) aux Israéliens dont la direction politique a perdu toute crédibilité. En l’état, seule une gestion politique par l’ONU et la Ligue arabe pourrait y assurer une présence policière et envisager de réduire les moyens militaires du Hamas, qui seraient mis sous séquestre. Des policiers venus des pays arabes, pourraient assurer cette mission, mais sans armes lourdes. Leur présence, constituerait une garantie qu’Israël ne relancerait pas d’agression.

La Ligue arabe ne saurait être une garantie pour le système judiciaire ; là, l’ONU devra fournir tout un système judiciaire pour enquêter et punir les actes commis à Gaza. Celui-ci assurerait la formation d’un service judiciaire local sur un plan de transition d’au moins quarante ans. En contrepartie, les États-Unis s’engageraient sur une politique d’investissements de long terme : tourisme, industries de base… Ils apporteraient la crédibilité de long terme nécessaire.

Enfin, rien n’interdit de tirer un ticket de loto, sous la forme d’un projet scientifique international pour développer un système de dessalement de l’eau bien moins cher et moins énergivore que les technologies actuelles. Le terme de ticket de loto se rapporte au fait que rien ne prouve qu’un développement technologique réussirait, mais si cela se trouvait, une telle réussite apaiserait les tensions dans le secteur.

 

En résumé : les révélations du patron du Sin Beth, sont révoltantes, elles démontrent le cynisme meurtrier d’un Netanyahu. À la population israélienne d’en juger et d’agir pour effacer ses crimes ou les endosser.

Dans le premier cas, les diplomaties du monde entier pourront alors agir et tenter la lente cure de désintoxication de la région envers la violence : Chemin difficile, pavé d’embûches, mais dans la droite ligne des accords d’Abraham  ; il offrirait enfin une chance d’assurer la pérennité d’Israël et le développement de la région.

Sinon, les perspectives sont sombres, car barbarie et cynisme agissent comme des cancers : Ils métastasent et finissent par étouffer l’organisme.

 

i Israël : Ronen Bar, le chef limogé du Shin Bet, met en cause Netanyahu dans une déclaration à la Cour suprême

ii Massacre du festival de musique de Réïm — Wikipédia

iiiInvestissement parental — Wikipédia


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