La réparation et la réconciliation passent-elles nécessairement par la repentance ?
par Voris : compte fermé
mardi 11 décembre 2007
Nicolas Sarkozy a jugé le 5 décembre que la France devait « réparation » à « tous les harkis envers qui la France a une dette ». « Il faut réparer les fautes qui ont été commises ». Le 25 mars, en campagne électorale, le candidat Sarkozy déclarait : « Je veux qu’on arrête cette repentance systématique ». La réparation et la réconciliation sont-elles possibles sans la repentance ?
Il serait délicat d’aborder la question sans la resituer dans le contexte historique et géopolitique.
1 - Petit tour du monde de la repentance :
- Allemagne :
Le débat sur le devoir de mémoire est indissociable de la Shoah. Il s’est ouvert en 1946 avec Karl Jaspers dont les travaux abordèrent la question de la responsabilité allemande. Il examina la culpabilité de l’Allemagne comme une entité dans les atrocités perpétrées par le IIIe Reich, notamment dans son ouvrage Die Schuldfrage (La Question de la culpabilité), publié après la Seconde Guerre mondiale. Dans des cours dispensés en 1945-46, le philosophe opère une distinction entre culpabilité juridique, culpabilité politique, culpabilité morale et culpabilité métaphysique. Il insiste bien sur la nécessité de ne pas tout noyer dans la même condamnation morale, car c’est le meilleur moyen d’aller à l’inverse du but recherché : on banalise alors le mal. S’il alerte sur l’abus de la repentance qui deviendrait trop ordinaire, il met en garde aussi contre son utilisation perverse : "L’auteur de l’aveu cherche à se donner de la valeur, à augmenter son prestige aux yeux d’autrui. En plaidant coupable, il veut forcer les autres à avouer".
En Allemagne, il faut attendre le geste de Willy Brandt, s’agenouillant devant le monument dédié aux victimes du ghetto de Varsovie en 1970, pour qu’un chef du gouvernement allemand ébauche un début de repentance collective. Le geste est d’autant plus fort et apprécié qu’il émane d’un résistant authentique qui, à titre personnel, n’avait rien à se reprocher sur ces questions. C’est la culpabilité politique dont parlait Jaspers : "Chaque Allemand, en tant que citoyen, porte une part de responsabilité dans la façon dont il a été gouverné".
- Japon :
Les juristes japonais sont tous d’accord pour dire que les forces japonaises n’ont techniquement pas commis de violations du droit international. Par conséquent, le Japon s’appuie sur une distinction entre le point de vue juridique et le point de vue moral, pour considérer qu’il s’est exonéré de son obligation morale, puisqu’il a reconnu officiellement les souffrances causées par l’armée japonaise et formulé de nombreuses excuses.
Shinzo Abe, qui fut Premier ministre jusqu’au 25 septembre 2007, avait entamé une révision de l’Histoire. Il ne s’agissait pas de remettre en cause les excuses faites, mais de relativiser les fautes reprochées en disant que l’impérialisme et le colonialisme étaient, à l’époque de l’Empire, une chose courante et que le Japon subissait une menace. Et d’alléger la conscience nationale en gommant ou atténuant les aspects négatifs de l’histoire du pays. Certains négationnistes sont allés jusqu’à détourner l’appel de René Rémond "la liberté pour l’histoire", en feignant d’ignorer que ce texte défend précisément l’autonomie de la recherche historique face au politique.
- Etats-Unis :
Certains Etats de Etats-Unis ont exprimé des excuses solennelles aux descendants des esclaves. La résolution, votée à l’unanimité par les élus de l’Etat de Virginie le 24 février 2007, a marqué les consciences et amorcé une série : à leur tour, l’Alabama, le Maryland, la Caroline du Nord, l’Etat de New York, ont fait des excuses publiques. Mais la repentance de l’Etat fédéral n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, le département de la Justice a décidé de relancer les enquêtes sur les crimes racistes perpétrés dans les années 1950-60. Des inquiétudes se font jour désormais dans ce pays qui craint une surenchère. Certains y voient un danger d’avalanche de procès en dommages et intérêts.
2- Le cas de la France :
La théorie gaullienne refusant d’admettre la légalité du régime du maréchal Pétain, la France a longtemps considéré qu’elle n’était pas responsable des actes de Vichy. Il y a eu évolution : en 1993, le président Mitterrand a instauré une Journée nationale de commémoration des persécutions racistes et antisémites. Puis, le 16 juillet 1995, le président Chirac reconnaissait la responsabilité de l’État dans les persécutions anti-juives de la période 1940-1944. Le devoir de mémoire a été ensuite invoqué pour la traite négrière et l’esclavage (loi Taubira du 21 mai 2001). Cette loi a mené à instituer en 2006 une journée de commémoration de l’esclavage et de son abolition. Cette journée est fixée au 10 mai, date d’adoption de la loi.
Aujourd’hui, la France et l’Algérie n’ont pas réglé leur passif. Mais le contexte ne semble pas propice à le faire. L’Algérie voudrait des excuses unilatérales de la France pour ses erreurs, mais n’admet pas ses propres erreurs. Déjà, lors d’une visite officielle en juin 2000, le président Bouteflika demandait à la France de "confesser ses erreurs", évoquant une "lourde dette morale imprescriptible". Mais il passa sous silence les crimes commis par le FLN. Le même scénario s’est reproduit en 2007, mais dans un climat aggravé. A l’approche de la visite du président Sarkozy en Algérie, le ministre algérien des Anciens combattants, mohamed Chérif Abbas, a accusé Nicolas Sarkozy d’être soumis au "lobby juif" et de pratiquer une politique pro-israélienne, ce qui est insultant pour la France. Il semble que l’Algérie ait trouvé le moyen ici de combattre son démon intégriste en désignant un bouc émissaire (juif) à ses difficultés. Le préalable pour qu’un devoir de mémoire se fasse sereinement est l’apaisement des haines et la bonne foi de chacun.
On assiste depuis quelques années à une surenchère à propos du devoir de mémoire, comme si tous les faits historiques étaient comparables à la Shoah. Le risque, pointé par Jaspers, de rendre ordinaire et banal le devoir de mémoire, est réel. Le président Sarkozy a néanmoins fait un pas. Bien qu’ayant affiché son rejet de "la repentance systématique" lors de sa campagne présidentielle, il avait promis aux enfants de harkis une "discrimination doublement positive" sous la forme d’accès à la formation, à l’emploi ou au logement et de reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis en 1962. En cohérence avec ces déclarations, Nicolas Sarkozy a jugé le 5 décembre que la France devait "réparation" à "tous les harkis envers qui la France a une dette". "On ne peut tenir responsables les harkis d’avoir cru en la parole de la France." "Pour la France, il s’agit aujourd’hui d’une question d’honneur. Il faut réparer les fautes qui ont été commises."
Pour le reste, c’est insuffisant. Sarkozy a simplement déclaré : "Oui, le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République : Liberté, Egalité, Fraternité. Mais il est aussi juste de dire qu’à l’intérieur de ce système il y avait beaucoup d’hommes et de femmes qui ont aimé l’Algérie, avant de devoir la quitter. Oui, des crimes terribles ont été commis tout au long de la guerre d’indépendance, qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés". Le mot système ne désigne aucune pays et le devoir de mémoire de la France ici n’est donc pas engagé. L’Algérie reste sur sa faim, mais elle n’est pas étrangère à ce statu quo. Néanmoins, certains peuvent considérer que c’est à l’ancienne puissance coloniale de faire le premier pas.