Le rapport entre les légumes et le football ?

par Paul Villach
mardi 17 juin 2008

Les supermarchés se mettraient-ils à l’école de Lautréamont, l’auteur des « Chants de Maldoror », qui voyait, pour le ravissement des Surréalistes, quelque chose de beau dans « la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection »  ? L’une de ces grandes surfaces vient d’inventer l’immixtion inattendue d’une statue de footballeur au milieu d’un tas d’oignons, d’échalotes et de gousses d’ail, à son rayon des fruits et légumes

L’absurdité et même le ridicule de l’association crèvent évidemment les yeux. La posture bravache du footballeur statufié jure dans ce décor de légumes, sauf si on essaie d’explorer les voies impénétrables qu’emprunte la publicité pour tenter de déclencher la pulsion d’achat.

Aucune star identifiable

Le rapport entre ces légumes et le football, c’est vrai, ne saute pas aux yeux. N’est d’ailleurs ici identifiable dans la statue aucune star qui jouerait le rôle de prescriptrice désormais assigné à la star pour promouvoir un produit. On se sert d’elle, en effet, malgré sa parfaite incompétence en la matière, comme d’un argument d’autorité auprès de ses fans sur lesquels elle exerce un attrait pouvant aller jusqu’au réflexe d’identification : car, en état de réceptivité maximale sous son empire, ils recueillent sa parole religieusement et s’adonnent volontiers à son imitation. Une recommandation d’un produit par une star suffit donc à l’auréoler de son prestige et de sa distinction pour être aussitôt adopté par ses fans.
Or, ici, le visage de la statue, sauf erreur, est anonyme. Aucune intericonicité précise n’est même perceptible dans la tenue : le maillot bleu de l’équipe de France aurait sans doute nécessité le versement de droits d’image.

La métonymie de la Coupe d’Europe de football


Le supermarché, qui n’en a peut-être pas les moyens, n’a pas renoncé pour autant à se servir du football à des fins publicitaires. Il use donc de cette statue comme d’une métonymie offrant la partie (un joueur) pour le tout (le football). Et en période de Coupe d’Europe de football, il n’en faut pas plus pour symboliser cette compétition elle-même.

Mais, est-on en droit de se demander, pourquoi donc cette statue les pieds dans les aulx et les oignons ? On ne sache pas que le football use de ces légumes-condiments à quelques fins que ce soit. Ce ne sont pas, si l’on ose dire, ses oignons, sauf à imaginer des pratiques de sorcellerie pour écarter par des gousses d’ail les vampires de la défaite et faire pleurer l’adversaire en lui épluchant des oignons sous le nez.

La stimulation d’un réflexe conditionné

Non, cette association incongrue vise en fait d’abord à capter l’attention puisqu’on ne s’y attend pas. Et pour qu’elle ne passe pas inaperçue, la statue a même été dressée sur l’autel d’un étal. Sa vue seule, en effet, doit suffire aux fans du football à leur rappeler la compétition qui chaque soir les enfièvre et les scotche à leur téléviseur. On n’ose pas soupçonner que l’odeur d’ail et d’oignon soit aussi recherchée à cette fin.

Mais dans quel but, à la fin ? Il s’agit seulement de stimuler un réflexe conditionné comme Pavlov l’a fait avec son chien. Celui-ci salivait à la sonnerie qui avait accompagné sa pâtée pendant plusieurs mois, même quand cette pâtée n’y était plus associée. Pareillement, même éloigné de son écran, à la seule vue d’une statue de footballeur, le fan de football doit soudainement se sentir envahi par l’euphorie de fête qui le transporte chaque soir devant le spectacle de son sport favori.

De cet état psycho-physiologique artificiellement provoqué est attendu qu’il tende à détendre le client, à le rendre moins regardant sur la dépense et plus réceptif à ce qui lui est proposé : il doit donc être plus enclin à acheter par plaisir plus qu’il ne le faudrait, puisque c’est fête.


Ainsi comprend-on aisément qu’un supermarché adhère à l’esthétique surréaliste et que la rencontre fortuite d’un footballeur sur un étal de gousses d’ail et de bottes d’oignons recèle pour lui un charme insoupçonné puisqu’elle peut inciter les fans du football si nombreux aux largesses de la fête et les pousser à desserrer les cordons de leur bourse.
Du coup, la posture dominatrice du footballeur statufié ne paraît plus aussi absurde. Une intericonicité inattendue vient même à l’esprit : n’est-on pas devant une image inversée du fameux Atlas qui soutenait l’univers sur ses épaules ? Ce pied de footballeur posé sur le ballon du monde n’est-il pas l’image de la domination planétaire des esprits par cette industrie du spectacle ? Paul Villach






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