Un mariage et pas d’emmerdements... du moins pas pour l’instant
par Bernard Dugué
lundi 4 février 2008
Un mariage annoncé de la manière la plus sobre. Léon Zitrone en aurait été abasourdi. Lui qui se souvient des fastes en d’autres temps, le prince Rainier, le chah d’Iran, le prince Charles. La presse n’avait pas été invitée et le mariage a été célébré dans la plus stricte intimité à l’Elysée. Du coup, les journaux n’ont eu qu’à mettre en ligne sur leur site internet. Et Le Nouvel Obs de proposer une bonne dizaine de capture d’écran en France et en Europe, pour donner un peu de substance à cet événement, alignant les annonces web comme on collectionne les pin’s, mais le compte n’y est pas et les journaux ont dû se contenter de deux annonces, l’une presque officielle émanant du maire Lebel qui les a mariés, l’autre carrément officielle, un communiqué de l’Elysée aussi sobre qu’un faire-part de décès. Mais une célébration moins sobre eut lieu le soir à la Lanterne, seconde résidence présidentielle dont l’accès est encore plus contrôlé que celui du Pentagone. Quant à une célébration religieuse, eu égard aux prises de positions du président, il est possible qu’elle ait eu lieu en privé, avec un prêtre qui, lui aussi, se déplaça comme le maire du 8e pour éviter qu’une église ou une cathédrale ne se transforme en capharnaüm médiatique, entre service d’ordre débordé de badauds, sous les flashs crépitants des cinq cents photographes à l’affût. Quoique d’autres arguments puissent laisser penser que le mariage ne fut que civil. Place aux dépêches :
L’Elysée a confirmé, samedi 2 février dans l’après-midi, le mariage dans la matinée du président de la République avec Carla Bruni dans un communiqué d’une phrase : "Mme Carla Bruni-Tedeschi et M. Nicolas Sarkozy annoncent qu’ils se sont mariés ce matin en présence de leur famille dans la plus stricte intimité." C’est François Lebel, le maire du 8e arrondissement de Paris qui les a mariés, qui avait confirmé un peu plus tôt l’information.
"La mariée était en blanc et le président en costume cravate comme il se doit dans n’importe quel mariage civil, a-t-il raconté M. Lebel, précisant les avoir mariés à 11 heures. Il y a eu un échange d’alliances et la traditionnelle bise. Il n’y a rien d’exceptionnel, si ce n’est que ça s’est passé au premier étage de l’Elysée."
Voilà un summum d’originalité et, pour une fois, on ne va pas s’en plaindre. Les mariés ont réussi à déjouer la presse en obtenant du procureur une dérogation (en cas de situation grave dit les textes) pour la publication des bans, mesure du reste inscrite dans le droit ; puis, deux leurres ont été envoyés à la presse. Le premier il y a un mois, Le JDD annonçant l’événement pour le 9 février et le second plus tard, L’Est républicain annonçant que le couple était déjà marié le 10 janvier. Et la presse de se calmer, évitant de se ridiculiser en reprenant ce pastiche de scoop. Comme le dit Daniel Cohn-Bendit, Nicolas Sarkozy a fustigé Mai-68 non sans en emprunter les « bonnes manières » et ce mariage, célébré dans la plus stricte sobriété, désacralisé, banalisé, évoquera sans doute un autre mariage, celui de Jacques Higelin et Marthe Keller, jean et baskets, descendant les escaliers de la mairie après une cérémonie des plus spartiates, deux mariés et deux témoins, dans le film Elle court, elle court la banlieue. Enfin, disons que c’est une face, l’autre face n’étant pas trop prolo, même si la Lanterne c’est un peu la banlieue de Paris, mais pas sous les feux de la rampe. Un moment médiatique qui ne restera pas dans l’Histoire, mais qui traduit la légèreté d’une époque pourtant lourde d’un malaise de civilisation. Soyons fou en ces années folles. Une époque ambiguë car si l’on scrute le déroulement des faits, on aura remarqué qu’aucune information n’aura filtré avant le mariage alors que la cérémonie festive prévue à la Lanterne suppose que les invités, triés sur le volet, aient été prévenus quelques temps avant pour réserver la date sur leur agenda surbooké. Quel respect, quelle abnégation. Une fois on nous dit tout, la presse se veut transparente, une autre fois on garde le secret et tout le monde se tient à carreau, rien ne filtre. On reconnaît bien là la marque de l’autorité d’un président qui contrôle tout.
Quelques mots sur les réactions de la presse. Le jour du mariage, Le Nouvel Obs met en ligne quelques documents relatifs à Carla Bruni, notamment des extraits d’un roman de Justine Lévy où l’on reconnaît implicitement Carla en prédatrice venue croquer le chéri Raphaël de Justine. On mesure l’élégance. C’est comme si le jour de votre mariage avec une dame connue des médias, la presse raconte qu’elle fut une garce ou une salope. Bref, pas très élégant et du reste, l’info a été supprimée du site. Le journal Marianne fait dans la subtilité, allant déterrer un vieil entretien de Carla accordé à Psychologie, daté de 2002, où elle affirme que les ego démesurés la plongent dans l’ennui (sous-entendu, Nicolas et son ego). Du coup, c’est une manière d’attaquer Sarkozy à travers son épouse. Pas très élégant non plus. Mais on apprend que Carla n’a aucune accointances avec le divin, mais plutôt avec le divan, étant férue de psychanalyse, bref, une apparente contradiction avec son président de mari louant les bienfaits de la religion. Mais sans importance, car nul ne peut lire les convictions de ceux dont le rôle est de gouverner, mais aussi d’afficher des convictions.
On retiendra que c’est le troisième mariage de Sarkozy qui, par une étrange coïncidence des dates, se marie l’année suivant l’élection d’un président. Ainsi, en 1982, il épouse Marie-Dominique Culioli, nièce d’Achille Peretti qui décédera un an plus tard et auquel il succède à la mairie de Neuilly. L’année précédant son mariage, François Mitterrand était élu président. Sarkozy entame ainsi sa première phase politique, mais, en 1988, il a déjà quitté son épouse alors que ses deux fils sont encore à la maternelle. Aucun jugement de valeur, juste l’occasion de souligner la modernité de Sarkozy dans la vie privée et sentimentale.
En 1996, un an après une autre élection, celle de Jacques Chirac, Sarkozy épouse en seconde noce Cécilia Ciganer-Albeniz, une femme semble-t-il de plus d’envergure que la précédente. A noter qu’à cette époque Sarkozy entame une traversée du désert après avoir été hué lors d’un meeting de Jacques Chirac... Ah, ce soutien à Edouard Balladur. Ensuite, de 1997 à 2002, Sarkozy n’ayant pas de responsabilité ministérielle, se paye un fiasco monumental aux Européennes de 1999, conduisant une liste qui arrive troisième derrière celle conduite par un certain Charles Pasqua, qui devait savourer ce moment de victoire contre le petit Nicolas qui lui avait ravi à la hussarde la mairie de Neuilly en 1983. En 2002, Sarkozy entame un retour en grâce auprès de la chiraquie. Les médias témoignent par ailleurs du rôle déterminant que joue Cécilia au ministère de l’Intérieur, sorte de directrice officieuse de cabinet, femme d’influence, de caractère, ordonnatrice, régulatrice, bref, un sacré soutien pour satelliser Nicolas à la tête de l’UMP, puis l’investiture présidentielle et, au bout, la victoire finale en 2007.
Le mariage avec Carla Bruni arrive ainsi comme les deux précédents un an après l’élection d’un président de la République. Et ici, c’est de sa propre élection dont il s’agit. Voilà Sarkozy à nouveau bien entouré affectivement et qui sait s’il n’y a pas matière à voir une sécurisation ou bien une belle histoire d’amour. Nous n’avons pas à entrer dans cette affaire. Juste reconnaître que Sarkozy sait rester un serviteur de l’Etat, ayant su trouver une épouse rapidement pour l’accompagner dans ses visites diplomatiques. C’est cela le pragmatisme. Plus pro que le prince Albert ! C’est sûr. Qui n’a jamais eu l’occasion de se retrouver en célibataire dans une soirée où les convives sont en couple ne peut comprendre à quel point il fallait que Sarkozy se trouve une épouse. De cœur ou de raison, cela ne nous concerne pas. Et l’on ne fera pas de comparaison avec Danielle Mitterrand ou Raïssa Gorbatchev, cette grande dame qui parlait aux dieux et se nourrissait d’authentiques aspirations spirituelles, voilées derrière un athéisme de façade. Alors que, s’agissant de Sarkozy, nous savons maintenant qu’il affiche d’authentiques aspirations matérialistes et bourgeoises, malgré une religiosité de façade. Ce n’est pas important. Le destin de Sarkozy se situe entre matière et esprit, entre croissance et éthique. Les emmerdements sont pour plus tard. Wait and see et restons fous, amusons-nous de cette farce politico-médiatique !