Simple comme un vélo !

par Jean-Paul Chapon
lundi 11 juillet 2005


Depuis deux semaines, j’ai à nouveau le courage et le temps, ou le courage de trouver le temps, pour tourner avec mon vélo au bois de Vincennes. Il y a là un anneau, une piste cyclable d’un peu plus de trois kilomètres, réservée aux cyclistes et aux rollers. C’est un des équipements sportifs de la ville de Paris, puisque le bois appartient à Paris intra-muros, qui nous a même fait la grâce de rénover le revêtement, oh, pas sur les 3,2 km de l’anneau, mais dans les parties les plus endommagées. Et puis, j’ai changé de vélo, je me suis fait un cadeau. J’étais très attaché à l’ancien, mais je dois reconnaître que le nouveau est encore mieux ! Il ne faut pas hésiter à prendre un bon vélo, ce qui ne veut pas dire cher, mais dont les équipements sont solides, pas trop lourd, avec un bon développement.

Ce matin, il ne faisait pas très beau, la brume avait du mal à se lever, et le soleil ne perçait pas, conditions idéales mais un petit vent sensible sur deux des trois côtés du triangle (en fait l’anneau est triangulaire ;-) demandait un petit surcroît d’effort. Il y avait du monde comme un dimanche matin. J’aime me fondre dans cette masse de gens qui bougent, courent, roulent, dans un désordre plutôt organisé. Les vélos dans un sens, et les joggers dans l’autre sur le bord interne de l’anneau. Au centre de l’anneau, les terrains de rugby et de foot. Il y avait déjà deux ou trois formations en peloton quand je suis arrivé, dont le traditionnel « gros peloton » qui compte parfois plusieurs dizaines de cyclistes, et qui effraie tellement la première fois que l’on se risque sur le circuit. Depuis, je l’aime bien ; se laisser prendre dans le peloton, c’est comme prendre l’ascenseur. On est aspiré par l’appel d’air créé par les coureurs, et on file avec beaucoup moins de résistance et de difficulté.


Il faut dire que c’est un équipement sportif, et pas une promenade, même si les cyclistes sont bien obligés de le partager. Le dimanche après-midi, mieux vaut s’abstenir si on souhaite faire une petite moyenne : trop de promeneurs, d’intellos à vélo hollandais ou de novices mal à l’aise avec leurs vélos RATP, de rollers et promeneurs en tout genre. Paris et le gouvernement annoncent que malgré l’échec de la candidature parisienne aux Jeux Olympiques, un certain nombre d’équipements sportifs seront construits. Souhaitons le, car on ne peut pas dire que Paris et la région soient saturés dans ce domaine. L’anneau de Vincennes est d’ailleurs le seul en site protégé. C’est vraiment extraordinaire de pouvoir rouler, s’entraîner sans avoir à s’inquiéter de voitures ou de motos, concentré sur le plaisir de l’effort.

Je ne suis pas sportif, dans le sens compétition, et en particulier pour les sports collectifs ou non, à base de ballons ou balles après lesquelles il faut courir : je crois que j’ai une trop mauvaise vue et que cela m’empêche d’apprécier les distances ? Ou tout simplement ça m’ennuie. En revanche, je suis sportif au sens de l’exercice physique, du plaisir de l’effort, de l’utilisation de ses muscles et de sa force : porter des meubles ou des caisses, faire une randonnée surtout si elle est en terrain accidenté, grimper à un arbre et par dessus tout faire du vélo.


Au début, il fallait un peu que je me force, trouver un leurre pour tromper un ennui qui naissait de l’effort trop grand à fournir. Il vaut mieux commencer doucement. De toute façon, le corps ne suit pas et risque de le faire savoir douloureusement. Le leurre ce fut la musique. Et c’est là que j’ai commencé à tout comprendre. Le choix de la musique est essentiel, dans mon cas, Janis Joplin et Jimmy Sommerville, période Bronski Beat. Du rythme et de l’énergie, et on tourne, on appuie, on avance, on s’évade, on s’envole. On atteint une indifférence à l’effort, emporté par le rythme et le plaisir de la vitesse, un enthousiasme et un sentiment de plénitude de soi, physique, qui finit en une forme d’ivresse et de bonheur entre la transe et l’orgasme. Petit à petit, ce plaisir devient une nécessité, et le leurre n’est plus utile. On le veut tous les jours, bouger, faire cet effort, jusqu’à ressentir un manque, une absence quand on ne peut pas le faire. Pour moi, j’essaie de pallier à cela en utilisant le vélo pour me déplacer en ville, mais rien à voir. La dépense n’est pas la même et surtout le plaisir n’est jamais là.

Paris n’aura pas les Jeux en 2012, bon. Mais le plus important pour moi, c’est qu’il y ait en France des gens qui bougent, ou plutôt qui se bougent et des endroits pour le faire. Après trois ans plus ou moins assidus sur cette piste du bois de Vincennes, j’ai découvert beaucoup de choses, sur le sport et sur l’effort physique. J’aime « tourner » avec les autres et surtout faire partie de ces gens qui courent, qui pédalent, qui font du rollers. D’une vision et d’un a priori intellectuels j’ai aujourd’hui une expérience humaine qui m’a surpris par une certaine camaraderie et un esprit d’entraide, de celui qui un jour me dit que ma selle est trop haute ou de l’autre qui attend pour faire équipe et s’entraîner à deux. Un jour, un roller s’est collé derrière moi pour se faire aspirer, et pendant une dizaine de tours, les « vram vram » énergiques de ses roues sur le goudron marquaient le rythme et sonnaient comme un encouragement me disant, continue, il faut y aller, tu peux le faire, on peut le faire ensemble !

Et même si je ne regarde toujours pas le tour de France, quand je rentre à travers le bois, le long du lac des Minimes et que je finis avec mon col « première catégorie »pour atteindre la maison, je me dis toujours que le bonheur, c’est simple comme un vélo ;-)


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