La gravité quantique et la crise de la physique dans les années 2020

par Bernard Dugué
jeudi 14 avril 2022

 Depuis au moins deux décennies, les scientifiques parlent d’une crise de la physique sans que l’on ne sache quelle est la signification exacte de cette crise hormis le fait que les physiciens ont modélisé toutes les choses à portée de main et que les calculs font apparaître des anomalies ou des absences. La gravité quantique a vocation à devenir un point focal vers lequel pourraient converger les énigmes constitutives de cette crise présente en physique quantique des hautes énergies et en cosmologie. Cette présentation n’a qu’une prétention philosophique, elle propose un regard sur le basculement des sciences. Je progresse vers une compréhension métaphysique de la gravité quantique sans pouvoir en faire une transcription mathématique, pour autant que cela soit possible et souhaitable. Je m’en remets au destin et à la providence. 

 

 1) Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Cette question métaphysique fut posée par Leibniz puis commentée par Heidegger. Les physiciens contemporains se posent une autre question ; pourquoi et comment les choses de la nature (nous) apparaissent-elles ainsi ? Natalie Wolchover a publié en mars 2022 une mise au point sur la science en crise en interrogeant des spécialistes de la physique des hautes énergies et de la cosmologie (Quanta magazine). La science moderne a été principalement basée sur le réductionnisme avec comme principe l’idée que les choses de grande taille sont composées de choses de petite dimension allant jusqu’à l’infinitésimal. Ce postulat réductionniste ne pourrait plus être maintenu. La physique contemporaine est en crise, dans un de ces moments de bascule conformes à l’analyse livrée par Thomas Kuhn dans son ouvrage sur les révolutions scientifiques. Sommes-nous au bord d’une crise majeure comme à la fin du XIXe, avant l’invention de la cosmologie relativiste et de la mécanique quantique ? Peut-être mais en ce cas, il faut analyser sur quels points la physique ne répond plus aux exigences que l’on attend d’elle et notamment le pourquoi des choses. La gravité quantique est en position centrale dans ce questionnement. Et la question de la Nature revient sur le devant de la scène épistémologique. Un détail qui en dit long ; dans le papier de Wolchover, la racine « natur » est employée à 71 reprises dont 23 occurrences pour le substantif « naturalness » (naturalité) qui signifie ce qui est propre à la nature ou bien ce qui se manifeste naturellement. La naturalité a une signification précise dans le contexte du modèle standard des particules (Voir l’article du théoricien de la physique au CERN Gian Francesco Giudice consacré à la place du concept de « naturalité » dans la pensée scientifique et son application aux phénomènes observés dans les collisionneurs de hadrons à très hautes énergies avec en ligne de mire la quête d’une théorie unitaire, GUT)

 

 2) La gravité quantique représente un graal pour les physiciens les plus avertis de notre époque. La conciliation entre la physique quantique et la cosmologie relativiste a pour l’instant échoué. On peut en tirer au moins deux conséquences. Il se peut que cet horizon n’ait aucun sens en admettant que la théorie quantique et la cosmologie décrivent deux choses interreliées certes, mais étrangères l’une à l’autre. La théorie quantique décrit la manifestation de choses qui apparaissent dans le monde visible, étendu, et qui sont observées grâce à l’interaction électromagnétique, alors que la cosmologie est gouvernée par une tout autre interaction, la Gravité. Ce principe est maintenant connu pour sa contribution à un ordre macroscopique et ne se réduit plus à sa contrepartie mécanique héritée de Newton. Quelques physiciens avertis envisagent alors qu’un des deux piliers de la physique contemporaine puisse s’effondrer ; mais lequel, la mécanique quantique ou la gravité ? Je pense pour ma part qu’il faut revoir au minimum la cosmologie relativiste, modèle dont le défaut majeur est d’être élaboré en suivant le principe d’une théorie du champ en méconnaissant les sources matérielle. L’étendue géométrodynamique courbe de la cosmologie relativiste est conçue comme un champ dont on ignore la nature du signal ou du quantum qui s’y propage. En revanche, l’interaction électrique n’a pas ce défaut ; sa quantification a été un succès ; elle est véhiculée par un champ électromagnétique se propageant avec comme médiateur le photon, réel ou virtuel.

 La gravité a une signification physique dans le monde macroscopique et l’univers mégascopique alors que l’électrodynamique quantique a une signification physique dans l’univers infrascopique, lorsque la distance n’a plus de sens physique et que les processus deviennent quantiques et indéterministes. Enfin, la propagation du champ électromagnétique a une signification physique dans l’univers macro et mégascopique. Les rayons émis depuis les lointaines galaxies nous parviennent et nous les observons. Pour résumer, notre univers observable a une explication physique fondée sur deux piliers, d’un côté la gravité et de l’autre un ensemble composé de la mécanique quantique et de la théorie du champ radiatif. Mais comme le diable est logé dans les détails, ces deux piliers ne suffisent pas pour une explication complète. La physique des hautes énergies livre les détails les plus infimes de la matière et décrit les deux autres interactions nécessaires pour une description complète de la phénoménologie matérielle ; la « force » faible est censée expliquer la radioactivité, la fission des atomes instables ; la « force » forte rend compte de la cohésion et la stabilité incroyable des noyaux atomiques avec leurs nucléons.

 

 3) Les spécialistes de la gravité quantique ont choisi depuis des décennies la méthode du bulldozer mathématique pour inventer une équation ultime unifiant les deux théories, quantique et cosmologique. Ils ont hélas oublié l’étymologie du mot physique qui vient du grec, physis, signifiant nature. Un « bon physicien » doit avoir en tête la signification physique des choses décrites par les modèles. Einstein était un « bon physicien », il a su comprendre comment il pouvait utiliser les modèles de Lorentz et Poincaré (qui étaient alors des fictions mathématiques) pour établir la relativité restreinte en décrivant un espace-temps dans lequel la propagation de la lumière à une vitesse constante, tout en se passant de l’éther luminifère remisé dans le compte pertes et profits des idées scientifique au même titre que le phlogistique, ce fluide calorique imaginé pour expliquer la conduction thermique. Actuellement, les publications en physique sont parsemées de fictions mathématiques.

 

 Le résultat le plus remarquable en gravité quantique est la correspondance AdS/CFT établie par le physicien argentin Juan Maldacena en 1996. Ce résultat n’a cessé d’intriguer les physiciens avec ce constat publié en 2006 : « L’entrelacs formé entre la gravité quantique et une théorie ordinaire de jauge est un résultat remarquable autant que le signe d’une propriété inattendue des structures mathématiques à la racine des théories physiques. Il est impensable d’imaginer que la Nature soit étrangère à ce résultat et ne puisse utiliser les propriétés décrites par ces mathématiques. Néanmoins, la manière dont la Nature se « sert » de ces propriétés reste à élucider ». (Horowitz, 2006).  

 

 Expliquer et décrire la gravité quantique nécessite l’accès à une image physique des choses dans le cosmos et une formulation mathématique élégante permettant de faire les calculs relativistes. La gravité quantique devrait inclure une description alternative aux tenseurs impulsion et énergie T introduits par Einstein. Ce tenseur est classique dans son expression, il décrit la répartition des masses et des énergies dans un espace-temps. Classique certes mais étranger à représentation des masses avec des points matériels en mécanique rationnelle. La cosmologie relativiste est construite comme une théorie classique des champs et son tenseur T est également utilisé en mécanique des fluides. L’équation d’Einstein permet de concevoir une infinité d’univers et notamment, un espace-temps dépourvu de matière que l’on doit au physicien Willem de Sitter. Ce modèle d’univers est une fiction physique décrivant un espace pourvu d’une géométrie mais vide de matière (de masse)

 

(Récemment, quelques théoriciens ont utilisé l’intrication pour élaborer une cosmologie relativiste compatible avec la physique quantique. Cette piste est consistante avec le fait que la gravité est une instance physique gouvernant le cosmos et produisant un ordre à grande échelle, depuis notre terre jusqu’au cosmos. Et c’est bien un ordre à notre échelle que gouverne cette intrication théorisée par Bell et observée par de surprenantes expériences ; deux particules liées se comportent comme des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. La matière-masse semble être réglée en jouant sur un mystérieux accord universel que l’on nomme gravité quantique, un accord non apparent disait Héraclite qui sans doute, faisait allusion à cet énigmatique ordre cosmique en nommant Logos le « régisseur » de cet ordre).

 

Références

 

G.T. Horowitz et J. Polchinski, Gauge/gravity duality, arXiv (2006)

 https://doi.org/10.48550/arXiv.gr-qc/0602037

 

Wolchover, N. ; A Deepening Crisis Forces Physicists to Rethink Structure of Nature’s Laws ; Quanta magazine, 03/2022.

 https://www.quantamagazine.org/crisis-in-particle-physics-forces-a-rethink-of-what-is-natural-20220301/

 


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