Claude Malhuret s’en prend à « la pression permanente et déprimante des extrêmes » !

par Sylvain Rakotoarison
mardi 19 mars 2024

« La France échappe encore à la vague de populisme qui frappe les démocraties. Si le populisme n'est ailleurs que d'extrême droite, chez nous, où l'on apprend dès l'école qu'il faut préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux. La fin de cette exception est proche. » (Claude Malhuret, le 31 janvier 2024 au Sénat).

Le sénateur Claude Malhuret n'est peut-être pas l'un des responsables politiques les plus charismatiques de France, probablement parce qu'il lit de manière trop monotone ses textes ; en revanche, il les rédige excellemment et son sens de la formule fait merveille. Bien sûr, il ne plaira pas à ses opposants, qui sont souvent habitués à des simplifications politiques. Aussi, le médecin et ancien ministre, ancien président de Médecins sans frontières, qui va avoir 74 ans dans un mois, est souvent attendu pour ses tirades savoureuses.

Ses collègues sénateurs n'ont donc pas été déçus ce mercredi 31 janvier 2024 dans l'hémicycle du Sénat. Cette après-midi-là, le nouveau Premier Ministre Gabriel Attal se donnait au Sénat pour sa déclaration de politique générale. Il l'avait prononcée la veille devant les députés, texte lu par Bruno Le Maire simultanément devant les sénateurs, et le lendemain, le Premier Ministre venait s'exprimer spécifiquement devant les sénateurs, avec une déclaration un peu modifiée.

Comme à l'Assemblée Nationale, cette déclaration a été conclue par les déclarations de chaque groupe politique du Sénat. Claude Malhuret a ainsi participé au débat public, en sa qualité de président du groupe Les Indépendants, République et Territoires (LIRT), qui rassemble des sénateurs anciennement de LR, proches de l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe et faisant partie de la majorité présidentielle. Inutile de dire que ceux qui détestent Emmanuel Macron ne vont pas apprécier les propos de Claude Malhuret !

Dans son intervention d'environ huit minutes à la tribune du Sénat, Claude Malhuret a fait ce qu'on appelle de la politique politicienne en donnant un aperçu général de la situation. Il a d'abord fustigé les deux extrémismes qui sévissent dans la politique française, en prenant acte, en premier lieu, de la mort de la Nupes.

Il a expliqué en effet que l'exception française allait s'achever, cette exception qui voudrait que le pays soit la proie de deux extrémismes, un de droite et un de gauche (dans les autres pays, sauf en Grèce, ils sont tous de droite), car il pressent la fin prochaine du mélenchonisme : « Parce qu'il faisait le plus de bruit, parce qu'il avait réussi à embrigader une gauche en perdition, parce qu'il transformait l'Assemblée en zone à délirer, le danger d'extrême gauche paraissait le plus dangereux, exacerbé par une caisse de résonance médiatique qui confirme que rien n'est plus sonore que ce qui est creux. La Nupes, attelage improbable de la gauche woke, de la gauche Vélib', de la gauche caviar, de la gauche stalinienne, de la gauche trotskiste et de la gauche Hamas, s'est effondrée sous le poids de ses incohérences. Le Che Guevara des calanques, en cédant la direction des Insoumis et la présidence du groupe parlementaire à des comparses, choisis non pas en dépit, mais en raison de leurs insuffisances, a compris tardivement qu'il avait pris le train dans la mauvaise direction. Il court depuis en sens inverse dans le couloir, à grands gestes des bras et du menton, lançant ses imprécations à ses alliés comme à ses ennemis, mais ne parvenant qu'à démontrer que sa vie est devenue une interminable rage de dents. La France insoumise, c'était une surprise-partie. La surprise, c'est qu'il n'y avait pas de parti, pas de statuts, pas de vote, pas d'élections : juste une secte gérée par un couple omnipotent, comme les Thénardier tenaient le bouge de Montfermeil… Le mouvement s'est fait hara-kiri le 7 octobre dernier, avec l'ignominie de trop : le refus de condamner le massacre du Hamas, ce dernier étant qualifié de mouvement de résistance. Les partenaires enrôlés dans cette pantalonnade en ont profité pour filer à l'anglaise, après que tout le monde eut dessaoulé. Ils resteront dans la postérité comme ceux qui ont bradé à un apprenti dictateur les valeurs de la gauche, qu'ils ont fracturée pour un plat de lentilles électoral… ».



Mais Claude Malhuret ne s'est pas, pour autant, réjoui de la fin de la Nupes : « Cet échec n'est pas qu'une bonne nouvelle. Le danger s'est déplacé vers une extrême droite qui se renforce en proportion du déclin de son rival, porosité qui prouve que ce qui les rapproche est infiniment plus fort que ce qui les sépare. ».



D'où ce portrait caustique de l'extrême droite brossé par le patron des sénateurs indépendants : « Comme Orban est devenu l'ami de Poutine, comme l'extrême gauche italienne vote pour Meloni, le Rassemblement national fait ses meilleurs scores aussi bien dans les anciens bastions du parti communiste que dans ceux de la droite. Les gauchistes sont bruyants, débraillés et réclament tout, tout de suite. Les marinistes, quant à eux, sont silencieux, cravatés et attendent leur heure. Ils savent que, face aux Insoumis, il suffit de se taire pour paraître intelligents. Ils n'ont aucun programme. Ils affichent des convictions absolues, mais n'ont aucun problème pour en changer si elles ne plaisent pas, comme on l'a constaté sur la sortie de l'euro ou sur le Frexit. Ils affirment que nous dansons sur le pont du Titanic, mais l'iceberg, c'est eux ! Ils ont enfourché tous les délires complotistes. Ils ont été antivax et VRP de l'hydroxychloroquine ; ils font aujourd'hui le sale boulot de chiens de garde de Poutine, et ils le font salement, ce qui n'est pas étonnant dans ce parti fondé largement par d'anciens collabos. Ils dénoncent la corruption, mais leurs parlementaires européens sont mis en examen pour avoir détourné des millions d'euros. Ce parti opaque est une sorte de traboule, ces arrière-cours obscures des immeubles lyonnais à la façade bien propre. Les anciens du GUD sont toujours là, dans l'ombre, tout comme les comptes racistes anonymes sur les réseaux sociaux. Les deux campagnes présidentielles de "Marine Poutine", arrivée à son poste par népotisme, comme Kim Jong-Un, ont fourni la preuve de sa parfaite inaptitude à la fonction. Pourtant, le reflux du populisme d'extrême gauche lui ouvre un boulevard. La photo, en 2027, d'un Emmanuel Macron raccompagné par elle sur le perron de l'Élysée comme Obama avait cédé sa place à Trump, n'est plus invraisemblable. La fonction que vous exercez aujourd'hui, monsieur le Premier Ministre, vous a aussi été confiée pour faire obstacle à la réalisation de cette hypothèse lugubre. ».

Cette mission, confiée à Gabriel Attal par Emmanuel Macron, celle d'empêcher l'élection de Marine Le Pen à l'Élysée en 2027, requiert deux conditions, selon l'ancien maire de Vichy, pour être menée à bien.



La première condition, c'est de « réussir les douze travaux d'Hercule », selon une sémantique rocardienne, à savoir, l'école, la santé, l'emploi, la transition écologique, etc., mais c'était le contenu des interventions du Premier Ministre et de ses contradicteurs.

Il n'en a énuméré en fait que onze, car il a réservé le douzième pour le développer : « Le douzième est capital, mais c'est le moins compris. Le chef de l'État a évoqué le réarmement moral, économique, civique ; il reste le réarmement au sens propre, car nous sommes en guerre. Voilà une très mauvaise idée européenne que d'affirmer chaque jour que l'on ne veut pas la guerre, que l'on n'est pas en guerre, lorsque nos ennemis le sont. L'internationale des dictateurs ne s'en cache pas : Russie, Chine, Iran, Corée du Nord proclament qu'ils veulent abattre l'Otan, l'Europe et l'Occident, et ils font ce qu'ils disent. La guerre en Ukraine se voit à cause des tanks et des missiles, mais celle qu'ils nous livrent, cyberattaques, désinformation, création de milliers de comptes sur les réseaux antisociaux pour fausser les élections ou abrutissement de nos enfants sur TikTok pendant que la Chine protège les siens, est tout aussi violente. Elle mine nos démocraties de l'intérieur. La Russie s'est mise en économie de guerre. Notre Président parle d'économie de guerre, mais aucun pays d'Europe n'est capable, deux ans après le 24 février 2022, de livrer à l'Ukraine ne serait-ce que les munitions promises. Si l'Ukraine perd la guerre, c'est l'Europe qui la perd. Par peur d'annoncer de mauvaises nouvelles, les gouvernements démocratiques ne préparent pas leurs opinions publiques à cette réalité. Lorsque j'écoute certains d'entre eux, j'ai l'impression d'entendre le toc-toc du parapluie de Daladier sur les pavés de Munich. Monsieur le Premier Ministre, vous serez certes jugé sur vos résultats dans notre pays, mais à l'échelle de l'histoire, votre gouvernement et tous les gouvernements d'Europe seront jugés à l'aune de la victoire ou de la défaite des démocraties face à l'internationale reconstituée des dictateurs. ».

La seconde condition, qui n'est pas de la seule responsabilité du gouvernement de Gabriel Attal, c'est le rassemblement de toutes les forces raisonnables du pays : « La deuxième condition pour qu'en 2027, au soir de l'élection présidentielle, le visage qui apparaîtra sur nos écrans à vingt heures ne nous fasse pas honte comme ceux de Trump, d'Orban ou de Bolsonaro, ne dépend pas seulement de vous. Il est grand temps que ceux qui se revendiquent du camp de la raison comprennent que le temps leur est compté. S'ils ne sont pas capables de s'unir face à des extrêmes qui nagent comme des poissons dans l'eau des réseaux antisociaux, des fake news et de l'injure, il ne faudra pas qu'ils se plaignent d'une défaite qu'ils n'auront su empêcher. Il est temps que les raisonnables se rassemblent, qu'ils construisent une majorité ou des alliances, seule façon de gouverner la France avec succès. Ce souhait sera peut-être considéré aujourd'hui avec indifférence ou ironie. Dans quelques mois, lorsque s'affichera le résultat des élections européennes, ceux qui, dans la majorité comme dans les oppositions républicaines, se complaisent dans des querelles de cour d'école, comprendront, je l'espère, que le temps des anathèmes est terminé. Le général Mac Arthur disait que les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard. Réfléchissons à cette phrase tant qu'il est encore temps. ».

Comme on le voit, ce court texte de Claude Malhuret, très dense et bien léché, n'hésite pas à égratigner l'opposition mais aussi une partie de la majorité. Il s'adresse très vivement à ses collègues socialistes et à ses collègues LR, pour qu'ils se rassemblent autour de la majorité afin de construire la France de manière adulte et responsable. Sans quoi, c'est laisser négligemment les clefs à un mouvement d'extrême droite qui serait une catastrophe morale mais aussi économique, politique et diplomatique pour les Français. En ce sens, Claude Malhuret joue le rôle de Cassandre, et, à l'instar d'Edgar Faure qui avait publié en 1982 ses mémoires sous le titre "Avoir toujours raison, c'est un grand tort" (éd. Plon), il espère ne pas être le seul à avoir raison trop tôt.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 février 2024)
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