Bâiller de la semelle

par C’est Nabum
samedi 18 novembre 2023

Saute-mouton avec les pieds éponymes.

Il advint qu'un mycologue d'opérette décida par un jour de pluie d'aller battre les sous-bois à la recherche de pieds de moutons. La saison était propice même si les conditions l'obligeaient à se munir d'un harnachement conséquent. Qu'importe, dans la forêt les critères d'élégance et les canons esthétiques sont de bien peu d'importance.

De grosses chaussures de marche à longs lacets montants avec œillets et crochets pour parachever l'installation du pied dans sa gaine protectrice, des guêtres pour ne pas mouiller le bas du pantalon, un vêtement de pluie assez résistant et une casquette, le cueilleur était paré pour une récolte d'exception.

Le panier d'osier et le bâton de marche parachevait la panoplie tandis que dans la poche, une boussole veillait sur lui au cas, tout à fait probable, où il perdrait le nord (direction recommandée pour s'enfoncer dans la forêt d'Orléans). Rien ne pouvait plus lui arriver puisque pour une fois, il avait tenu compte des expériences précédentes… C'est du moins ce qu'il escomptait.

L'entrée en matière fut assez décevante. Les champignons répondaient certes à l'appel mais se plurent à n'exposer que ceux de leur espèce qui n'étaient pas comestibles. Les bons étaient sans doute passés à la casserole d'autant plus sûrement que nous étions un lundi, le jour le moins conseillé pour escompter une réussite.

Rapidement, le cueilleur se surprit à devoir lever la jambe alors qu'il n'était pas en galante compagnie. Certes, il s'était décidé au pied levé en dépit d'une météo des moins favorables mais de là à pratiquer une course d'obstacle, il y avait un pas qu'il franchissait allègrement. Il avait l'impression d'effectuer un exercice physique, montant sans cesse les genoux pour ne pas trébucher.

Il est vrai que le sol était jonché de branchages que les récentes tempêtes avaient semés de manière fort aléatoire. Ajoutons-y les ronces, les souches, les fossés, les creux et les bosses et ce sous-bois relevait de l'exercice militaire d'autant plus du reste qu'à peu de distance de là, résonnaient les détonations incessantes et frénétiques du champ de tir militaire.

Est-ce cet environnement anxiogène qui ne le fit pas regarder où il mettait les pieds et pourquoi il devait ainsi les lever plus que de raison ? C'est fort possible à moins qu'une fois encore, ce curieux personnage avait la tête ailleurs, ce qui justifiait qu'il resta bredouille en matière de champignon. Il s'enfonça suffisamment profondément dans le bois pour commencer à trouver le temps long, faute du plaisir de remplir son panier.

C'est alors qu'il vit que sa chaussure droite baillait d'ennui. Elle ouvrait grande la gueule sous la forme d'une semelle qui ne collait plus à ses basques. Voilà donc la raison de cette marche aérienne quelque peu épuisante. Il prit la seule disposition qui s'imposait puisqu'il bénéficiait de lacets à la longueur disproportionnée. Le couteau n'étant d'aucune utilité mycologique, il allait couper dans le vif afin de permettre de lier la semelle réfractaire.

La ligature effectuée, la marche sembla plus facile durant quelques pas avant que de redevenir pénible. La réparation de fortune s'était dénouée tandis que comble de malchance, l'autre semelle venait de se faire la malle. Le pauvre marcheur se trouvait ainsi en chausson dans un environnement hostile et qui plus est gorgé d'eau.

Les lacets furent de nouveau mis à contribution pour ligaturer des semelles qui sous les trombes d'eau n'avaient plus qu'une envie : se faire la belle. On ne s'attache guère à ses petits détails dans la vie courante mais une paire de semelles qui s'émancipent de la chaussure au cœur de la forêt, ce n'est ni banal ni commode. C'est ainsi que le malheureux revint à son véhicule avec une démarche des plus grotesques, son bâton donnant à penser qu'il se prenait pour une majorette. La sortie s'achevait dans le plus complet ridicule quand les deux semelles churent lamentablement à ses pieds, la réparation de fortune s'étant distendue sous l'effet de l'humidité.

À contre-pied

 

Godillot

 

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Un godillot battait d'la semelle

Ayant l'intention d'aller d'un bon pas

Afin de quérir des chanterelles

Dans l'espoir d'un délicieux repas

La forêt lui proposa son couvert

Bien qu'il n'fut pas dans son assiette

Tout dans ce sous bois, trop de devers

Refrénait son allure guillerette

Se découvrant devant un champignon

La godasse libéra son pied

Tout en culbutant contre un chapeau

Le voilà dans un sacré gué-pied !

C'est ainsi que ce pied de mouton

Se fit obstacle infranchissable

Pour qui ne joue pas à saute mouton

Son épopée devint détestable

Baillant soudain de ses deux semelles

La chaussure désarçonna son marcheur

Croque en jambe d'une coulemelle

Se faisant passer pour un démarcheur

Des trompettes résonnèrent aux oreilles

Du ramasseur qui dut se ramasser

Celui qui venait de frôler la mort

Subit la perte de son panier

Soudain devenu traîne savate

Il lui fallut rentrer la queue basse

Tout en nouant avec sa cravate

Une semelle de guerre lasse

Pour la seconde, il prit un lacet

Pour fixer cette récalcitrante

Il s'en revint sans le moindre bolet

De sa promenade atterrante

Il frisait ainsi le ridicule

Puisqu'il rentra vraiment bredouille

Pas la plus misérable russule

Pour ce malheureux coquefredouille

Afin de sauver la face mit en vers

Cette misérable aventure

Avec des pieds, souvent de travers

Son poème tombait en platitude

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