Blāme olympique

par Argo
mardi 8 avril 2008

Les Chinois, il y en a tellement que forcément, on les connaît pas tous très bien, mais vu la taille du wok sur la photo, ils n’ont pas l’air de faire les choses à moitié. Lundi, j’étais bloqué dans Paris. Reportage sur le vif.

Lundi 7 avril 13 heures. Paris bloqué, la flamme passe, nos économies trépassent : hélicoptère, vedettes fluviales et 3 000 flics armés jusqu’aux dents. Si on avait traversé le 93, ils auraient posté des chars Leclerc et mis le porte-avion Charles de Gaulle dans le bassin de la Villette ?

3 000 poulets et un seul mec en jogging pour tenir la chandelle ! Il porte une épidémie, la grippe aviaire ? C’est un cordon sanitaire ? Je préfère pas demander aux infirmiers habillés en bleu. C’est mon côté méfiant.

3 000 flics armés jusqu’aux dents. Et, en plus, il court cet idiot... Il a peur de quoi ? Des flics, peut-être.

Sur la Seine, il y a des vedettes, des zodiacs, des militaires. Je ne sais pas s’il reste des pirates sur la Seine, mais ils vont avoir du mal à faire un mauvais coup. On aurait pu la faire passer par la Somalie la flamme. Ah, mais j’écris n’importe quoi, je ferais mieux d’aller prendre mes cachets.

Lundi 7 avril 17 heures. P... quel souk, cette flamme olympique.

On se croirait en Mai-68, plus moyen de bouger dans Paris... 3 000 policiers français et des policiers chinois (des vrais). Des manifestants partout... des pro, des contre... Des bleus, des rouges, des verts... Des jaunes aussi, beaucoup... Forcément ! La flamme est éteinte... Soufflée comme une bougie d’anniversaire... des CRS courent partout... on a perdu le porteur... Il court aussi, mais pas dans le même sens que les CRS.

Une averse de neige... Ma parole, même le temps s’est détraqué. Dans la rue on se croirait à la féria, c’est la course à la cocarde... Les forces de l’ordre sont débordées. Partout des cris, des slogans. J’ai même entendu un Chinois hurler « Liberté à la Corse »... Véridique ! La torche passe devant l’Hôtel de Ville, Delanoé l’attend... mais la flamme s’arrête pas... Stupéfaction !

Beaucoup au bord de la route aboient et la caravane passe. La torche prend le bus jusqu’à Charlety. Elle file comme une savonnette le long des rues mouillées, dans un kaléidoscope infernal de gyrophares et de sirènes. Une course poursuite s’engage... C’est 3 h 10 to Lhassa !

Arrivés à Charlety, le dernier relayeur n’est pas là. Tant pis, Christine Caron s’y colle, elle s’engouffre précipitamment dans le stade sous les huées de la foule.

Au dehors, les manifestants pro-tibétains se mettent sur le nez avec les manifestants pro-chinois... Vraoum ! Et les flics qui tapent sur tout le monde... Bling ! Bling ! Des drapeaux, des banderoles (rien sur les Ch’tis rassurez-vous), des matraques et des injures qui fusent de tous côtés... « Terroristes à la solde du Dalaï-Lama et sa clique » qu’ils crient les célestes... « Liberté au Tibet » qu’on leur renvoie de l’autre côté... « Connard laqué » même... et j’en passe... et Badaboum ! À coup de bourre-pifs que ça se règle, cette affaire. Les CRS entrent dans la mêlée difforme. Tout ce petit monde s’enjambe, culbute, se trébuche dessus... Quelle féroce pagaille ! Et le ciel, si gris, et la neige qui retombe. C’est un chaos... une apocalypse !

Les CRS je connaissais leurs marottes, mais les autres... Moi qui croyais qu’ils vivaient en harmonie, brûlaient des cierges et faisaient tourner leurs moulins à prières, je suis un peu déçu. D’un autre côté, ça faisait longtemps qu’il ne m’avait pas été donné de voir une aussi réjouissante corrida.

Lundi 7 avril 20 h 30. Abasourdi, j’écoute les infos pour savoir ce qui se passe.

D’un côté, on trouve ça scandaleux... Les athlètes pris en otages... Le badge suffisait... Trop c’est trop, on porte atteinte à l’olympisme... Aux valeurs du sport. Et puis d’abord, en Chine, on y est déjà : Carrefour, Total, Danone, Airbus... Et qu’on est tous habillés en Chinois. Et que le Tibet, c’est chinois. Et que bientôt, nous aussi on sera tous Chinois.

De l’autre, on crie au totalitarisme, à la répression féroce, aux droits de l’homme assassinés. A Berlin en 36. Que manifester en force, c’est la seule façon de se faire entendre (c’est vrai qu’en silence c’est moins efficace)... Que c’est une honte pour le gouvernement français d’avoir tenté de museler la liberté d’expression avec une telle armada policière... Du jamais vu... Qu’on va recommencer en Californie. Qu’on va tout boycotter, et jusqu’à la lune s’il le faut.

On s’entend un peu sur les injures, mais pas du tout sur les arguments. C’est pire que le virage Boulogne du PSG un soir de match contre l’OM. Personne ne convaincra personne. On est juste dans la modernité, dans nos fables, on trépigne, fulmine, on s’empoigne... A croire qu’on en a besoin pour exister. Peut-être.

Lundi 7 avril 23 h 30. Je vais me coucher. C’est pas que j’y entrave grand-chose à cette histoire. Moi des Lama, j’en connais que deux : Serge le chanteur et Bernard le gardien de but. Dalaï lui j’lai jamais vu. Je crois que je vais quand même un peu boycotter le resto chinois en bas de chez moi. Au cas où... Mais pas trop longtemps parce que c’est un pote... Depuis le temps que j’y vais.


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