Difficile de lui dire non

par Mihai Crasneanu
mercredi 27 juillet 2005

L’affiche de cette belle pirate blonde est visible partout dans Caracas, sur les principaux boulevards et sur l’arrière des bus. « Bien qu’elle paraisse attractive, ne te laisse pas tromper », clame le ministère de l’Economie. Je me souviens pourtant d’un discours de l’ultra-populiste Chavez il y a un an ou deux qui invitait les gens à pirater librement sous prétexte qu’il n’y a aucune raison à engraisser les multinationales impérialistes du disque et du film alors que tant de vénézuéliens vivent dans la misère. Oubliait-il sans doute l’industrie locale, pourtant très active.

Un sandwich dans la rue coûte 0,50 dollars, un ticket de métro 0,15 dollars, un billet de cinéma entre 2 et 5 dollars, mais un DVD légal d’un film coûte plus de 20 dollars (plus cher qu’en France !), soit 1/8 du salaire d’un ouvrier. C’est comme si les DVD en France coûtaient 100 euros. Totalement absurde, même pour des gens plus aisés. Ce n’est pas surprenant donc de trouver des DVD pirates à tous les coins de rue, mais aussi paradoxalement dans les centres commerciaux et dans des magasins avec pignon sur rue. On y rencontre une collection pléthorique d’oeuvres (et de musique aussi bien sur), avec des titres allant des films à peine sortis au cinéma aux Etats-Unis jusqu’aux classiques tels Les Temps Modernes (édité par MK2 d’ailleurs) en passant par toutes les séries TV et des épisodes à peine diffusés aux US. Leur prix : 2 dollars. Le packaging est impeccable et la garantie incluse - si le DVD a un problème ou l’image est mauvaise, on vous l’échange dans discuter, même une semaine plus tard.

Voici donc encore un exemple criant où l’industrie du film et du disque n’a strictement rien compris au phénomène. Sans doute préfèrent-ils générer zéro revenus au Venezuela et laisser le marché leur échapper totalement des mains au bénéfice des pirates, plutôt que d’adapter leurs prix aux réalités locales tout en continuant à générer des revenus sur un marché assaini des pirates.

Un exécutif de la Warner Amérique Latine me parlait avant-hier du cas Argentin. Je n’ai pas vérifié, mais il semble que dans ce pays la piraterie musicale a été presque totalement éradiquée en moins de 8 mois, avec beaucoup d’intelligence et sans dépenser les budgets de la police. Un album sort à présent en trois versions : une à 50 dollars, avec un packaging prestige, un fascicule, des photos, des vidéos. Une autre à 20 dollars, dans un très joli coffret avec livret et bonus. Et enfin, une à 3 dollars, sommaire et basique, avec juste le disque dans une pochette en carton. Les clients ont instantanément rempli les magasins, et les pirates se sont retrouvés du jour au lendemain sur la paille.

Voilà encore une démonstration de ce que je clame haut et fort : personne n’a envie de pirater ou d’acheter du pirate s’il existe une solution légale et cohérente en termes de prix, de choix et de disponibilité. Tirons-en les leçons pour la VoD, tout en ayant à l’esprit que pendant qu’on réfléchit, KaZaa fonctionne jour et nuit.


Lire l'article complet, et les commentaires