L’école élémentaire de hier à aujourd’hui

par zoreol
mardi 3 octobre 2023

Le désastre dans le système scolaire : beaucoup l’analysent et en énumèrent les défauts actuels, d’autres proposent des solutions[i]. Ma contribution est une petite illustration de ce sujet tirée de mes lectures, contribuant à comparer le présent avec le passé plus ou moins récent.

 

[i][i] Bibliographie succincte : « Pour l’école », 1996, de Roger Fauroux ; « Rebâtir l’école, 2016, de Jean-Baptiste Noé ; « Requiem pour l’éducation nationale », 2021, de Patrice Romain ; …

 

Tableau : il était une fois, une école communale en Alsace du nord en 1903, certes sous régime impérial allemand, mais l’instituteur était un homme du pays, né avant l’annexion des Prussiens de 1971, et peut donc être considéré comme « un hussard noir de la République ». Il s’appelait Albert, né en 1866, son père Joseph né en 1844 dans le département du Bas-Rhin, était aussi un instituteur, un vrai « hussard noir de la République ».

(François Igersheim, La politique scolaire allemande en Alsace-Lorraine (1870-1871), collections Recherches germaniques (1975))

Souvenirs d’un écolier d’une commune rurale d’Alsace en 1955-1958. Extraits du livre paru en 2022 sous le numéro ISBN 978-2-8083-1665-1, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

« J’ai un excellent souvenir de l’enseignement de Monsieur Mazerand. Il était rigoureux dans l’emploi du temps, et compétent dans toute la gamme des matières scolaires. En arithmétique, comme en géométrie, il usait du tableau noir avec une parfaite maîtrise dans les dessins et les schémas. En « leçon de choses », il n’hésitait pas à présenter quelques expériences concrètes, comme le jour où il nous expliqua le fonctionnement d’une pompe aspirante et foulante en nous regroupant autour de lui et du dispositif en verre comprenant tuyaux, pistons et soupapes, la pompe plongée dans une cuvette remplie d’eau. Au moment où nous étions le plus attentifs à ses explications, il se mit à pomper et, sans prévenir, dirigea vers nous le déversoir et nous éclaboussa en riant.

Le bâton n’était pas que pour les bavards ou les faiseurs de bêtises. Au cours d’une séance de lecture à haute voix, je me suis laissé distraire par le passage de l’autocar Citroën qui faisait la navette entre Lauterbourg et Wissembourg et qui avait un arrêt sur la route principale juste en face de l’école. Mazerand, lui, avait les yeux fixés sur sa classe et ma distraction ne lui a pas échappé. « Gérard ! continue (la lecture) ! » Bien sûr, n’ayant pas suivi, je n’ai pas su à quel endroit il fallait continuer. « Viens ici mon gaillard ! » Et alors ? Panpan cucu ! Je retourne à ma place, « honteux et confus, jurant, mais un peu tard, qu’on ne m’y prendrait plus ». »

Il ne faut pas croire que les écoliers des années cinquante étaient des anges, comme le montrent les anecdotes suivantes :

« Monsieur Mazerand était aussi secrétaire de mairie. Comme dans beaucoup de petites communes, un unique bâtiment abritait l’école, la mairie et le logement de l’instituteur. L’unique salle de classe était au rez-de-chaussée, l’étage comprenait la salle de la mairie et le logement de la famille Mazerand. Le grenier que nous fréquenterons une fois l’an pour y ranger le bois de chauffage fourni par la commune me semblait immense en comparaison du petit grenier de notre petite maison alsacienne de la rue Arrière. Cette disposition des lieux explique les absences ponctuelles du maître pour régler en quelques minutes une affaire liée à la gestion de la commune. Si cela arrivait pendant une séance de compte-rendu de lecture, l’un de nous en profitait pour aller vite au bureau laissé sans surveillance et consulter le livre du maître qui était resté ouvert à la page de la lecture dont il fallait faire le compte-rendu : une aubaine pour celui qui avait écouté la lecture d’une oreille distraite, puisque le livre du maître contenait aussi un corrigé-type du travail demandé. »

Lors d’un beau dimanche de printemps, après la grand-messe, lorsque les pères étaient attablés pour l’apéro dans l’un des bistrots du village, un groupe de jeunes lurons s’étaient rassemblés dans un pré à la sortie du village pour se fumer une petite cigarette volée sans doute dans la réserve de papa. Cela vint aux oreilles de Mazerand et, dès le lendemain lundi, les quelques petits « voyous » furent consignés pour un pensum après la classe. (Souvenir personnel)

L’enseignement reçu durant ces trois années était très complet. L’emploi du temps affiché sur un mur de la classe était soigneusement respecté. Comme prévu par le Concordat encore en application en Alsace, la journée débutait par une demi-heure d’instruction religieuse, demi-heure très contestée par les syndicats d’enseignants en raison de la laïcité en vigueur en France. Il est vrai que certains enseignants en profitaient pour faire plutôt du catéchisme que de l’instruction. Chez Monsieur Mazerand, la demi-heure consistait à lire un passage de « l’Histoire Sainte », qui était un recueil de passages choisis de la Bible, encore considérée à cette époque comme un récit historique. Il a fallu attendre quelques décennies pour que la Bible du christianisme soit considérée comme une légende sacrée destinée à soutenir la foi des croyants, au même titre que l’Avesta des zoroastriens ou la Bhagavad-Gita des hindouistes.

Le dessin et la musique occupaient les débuts d’après-midi trois fois par semaine. En dessin je brillais par ma maladresse, en particulier quand il fallait reproduire l’image d’un lapin que le maître sortait de son clapier et posait sur son bureau. La brave bête avait du mérite de rester calmement perchée à cet endroit pendant une bonne demi-heure, peut-être que Màtzerànnd lui avait administré un calmant ! Les seuls dessins qui me réussissaient étaient les frises géométriques : une prémonition de mes activités futures ? Le samedi après-midi, Mazerand se mettait à l’harmonium et nous apprenait des chansons françaises traditionnelles.

Une place était réservée aussi aux activités plus physiques. Pendant les récréations quotidiennes, la plupart des garçons jouaient au foot dans la cour. Maman m’avait interdit de jouer au football, pour ne pas abîmer mes chaussures, si chères à l’achat. Sans être dans la misère, nous n’étions pas riches et on nous avait habitués à ne rien gaspiller et à prendre grand soin de nos affaires. Avec deux autres camarades, nous passions alors les récréations à jouer à « gendarmes et voleurs ». Une fois dans l’année, quelques récréations étaient occupées par le rangement du bois, coupé en petites bûches, dans le grenier du bâtiment scolaire, bois qui était bien utile en hiver pour alimenter le poêle qui chauffait la classe. Deux fois dans l’année, le maître nous demandait de ramener de chez nous qui une bêche, qui un râteau, et nous passions une après-midi à la « pépinière » (d’Baam-Schoul) de l’école.

Autre souvenir personnel : les dictées étaient fréquentes autrefois, et j’avais le défaut incorrigible d’écrire le mot œil ainsi : œuil. L’instituteur m’a alors retenu après la sortie des autres élèves pour me faire recopier « mille fois » le mot œil. Bien sûr, après une dizaine de minutes et quelques lignes, il me contrôla et me laissa partir. Je nai plus jamais refait la même faute.

On peut se demander avec nostalgie où sont passées aujourd’hui les bonnes habitudes de rigueur et de responsabilité de la part des maîtres, et plus souvent, dans l’élémentaire, des maîtresses, qui ont du mal à trouver la bonne voie dans le dédale des instructions ministérielles qui non seulement ont la « changeote » mais sont plus préoccupées des dadas d’actualité tels que le « genrisme », la bataille « contre le changement climatique » (et pourquoi pas contre les séismes, contre les volcans, etc.)

Pendant ce temps, de nombreux nouveaux « hussards noirs de la République » se démènent tout au long des années scolaires pour essayer, envers et contre tout, de maintenir à flot l’entreprise qui les emploie. Bon courage à eux !


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