Après la COP27, la coupe au Qatar : le double scandale...

par Sylvain Rakotoarison
lundi 21 novembre 2022

« Je ne sais pas comment nos contemporains font pour arriver à comprendre quelque chose, à supporter de marcher la tête en bas, les pieds en l’air. On est dans un asile géant. C’est incroyable. La même année, il y a des jeux d’hiver dans un pays où il n’y a pas de neige, et après, il y a des jeux d’été dans un pays où il fait 60°C à l’ombre, où ils ont construit dix, douze stades réfrigérés. C’est non seulement une aberration climatique mais une aberration écologique, et en plus, il y a un non-respect de l’idéologie des droits de l’homme. C’est incroyable. » (Vincent Lindon, le 29 août 2022 sur France 5).

Deux événements, ou plutôt, deux actualités se télescopaient ce dimanche 20 novembre 2022. Dans la nuit, la COP27, c'est-à-dire, la Conférence de Charm el-Cheikh de 2022 sur les changements climatiques, s'est achevée après près de quatorze jours de négociations, sur un accord historique par lequel un principe général a été adopté : les pays qui seraient victimes des bouleversements climatiques seraient indemnisés par un fonds spécial qui serait financé par les pays riches. Et quelques heures plus tard, s'ouvrait la 22e coupe du monde de football au Qatar dans des conditions environnementales et humaines très contestables.

C'est probablement la complexité de notre époque qui montre un tel écart encore le "il faut" et "il ne faut pas". La présidente du groupe FI à l'Assemblée Nationale, Mathilde Panot, a regretté sur BFMTV le 20 novembre 2022 qu'il n'y avait dans l'accord final de la COP27 que des engagements et aucune interdiction. C'est très symptomatique des écologauchistes de notre classe politique qui ne connaissent que l'écologie punitive alors que l'objectif, que tente le Président Emmanuel Macron, avec un certain équilibre, c'est de pouvoir convaincre l'ensemble des Français qu'il faut faire quelque chose, sans se retrouver dans une sorte de système totalitaire qui limiterait tant les libertés que l'économie.

Mathilde Panot a été de ces députés qui ont demandé que la Fifa, la fédération sportive de football chargée d'organiser cette coupe du monde, finance un fonds d'indemnisation des familles des travailleurs morts à la tâche. Mais la France a refusé de boycotter la manifestation sportive car le gouvernement veut d'abord soutenir ses joueurs, ses sportifs.

Dans l'hémicycle, Alexis Corbière a tempêté : « La protestation contre l’oubli, l’ignorance et le mépris des droits de l’homme ne doit pas varier en fonction du parcours sportif d’une équipe. C’est pourquoi nous vous demandons le boycott diplomatique de cette coupe du monde de la honte. ». Répondant à la question de ce député FI, la Ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques Amélie Oudéa-Castéra a déclaré le 15 novembre 2022 : « La décision de la Fifa d’attribuer la Coupe du monde 2022 au Qatar a été prise il y a douze ans, quand Kylian Mbappé avait lui-même 12 ans. Le Mondial de foot démarre dimanche, et nos joueurs, avec lesquels j’étais hier soir, se préparent de longue date pour le réussir. La France, pas plus qu’aucun de ses partenaires, ne boycottera cette coupe du monde. J’irai, en effet, soutenir l’équipe de France si elle avance dans la compétition. C’est mon rôle de ministre des sports. ».

La ministre s'est contentée d'affirmer sans rassurer : « Nous croyons à la force de l’action diplomatique. La France œuvre de façon constante pour que, tant en matière de droits humains que sur le terrain écologique, le Qatar non seulement consolide ses progrès, reconnus par Amnesty International et Human Rights Watch, mais les accélère. S’agissant de la question des travailleurs migrants, que vous avez raison de soulever, le Qatar a indiqué qu’un fonds d’indemnisation existait déjà et qu’il était ouvert à sa mobilisation. (…) Dans leur lettre parue ce midi, les Bleus rappellent leur attachement au respect des droits humains et s’engagent à soutenir les ONG qui œuvrent pour leur protection, grâce à leur fonds de dotation Génération 2018. La Fédération française de football elle-même, suivant mes demandes d’exemplarité, a pris des mesures pour s’assurer du respect des conditions de travail et des droits sociaux sur le camp de base de l’équipe de France. Vous le voyez, chacun prend sa part dans ce nécessaire effort collectif. Nos Bleus partent demain. Souhaitons-leur bonne chance ! ».



Soyons clair : malgré les appels au boycott notamment d'Éric Cantona et de Vincent Lindon, la France ne pourra jamais boycotter une telle manifestation internationale dès lors que dans dix-huit mois, elle accueillera elle-même les jeux olympiques et paralympiques dans sa capitale (Paris 2024). On a bien vu que lors des jeux olympiques de Moscou en 1980 que le boycott a engendré d'autres boycotts pour les jeux olympiques d'Atlanta en 1984. L'idée, certes assez hypocrite, est donc de séparer sport et politique, sport et diplomatique, sport et prise en compte des dérèglements climatiques.

C'est clair que ce qui compte pour les autorités françaises, c'est que les joueurs puissent jouer dans les meilleures conditions, et cela pour gagner, comme en 2018. La France leur délègue son image de gagnante. Mais les conditions dans lesquelles le Qatar a organisé cette événement sportif sont effectivement ahurissantes.

Certains ont déjà évoqué des malversations dans le simple fait que le Qatar fût désigné comme la puissance organisatrice le 2 décembre 2010 face notamment aux États-Unis, au Japon et à la Corée du Sud. Il a fallu aussi changer de saison, que la coupe du monde se déroulât à la fin de l'automne (elle se terminera le dimanche 18 décembre 2022, jour de la fête national au Qatar et à une semaine exactement de Noël) car "on" avait pensé que jouer à 50°C en été n'apportait pas les meilleures garanties pour une performance sportive !



De ce qu'on peut reprocher au Qatar, certaines choses sont récurrentes dans l'organisation de jeux sportifs, en particulier sur la démocratie, les droits de l'homme, le respect des femmes, etc. La Chine pouvait aussi avoir ce type de critique et les réponses ne sont jamais vraiment très convaincantes : conduire des nations dans le jeu régulier des activités internationales aurait pour but de les amener à s'améliorer sur ce sujet si sensible des libertés et de la démocratie, c'était d'ailleurs le contenu des propos d'Amélie Oudéa-Castéra. On peut cependant penser que l'État hôte s'en moque cyniquement malgré certains bénéfices provenant de son nouveau rayonnement international et malgré quelques belles déclarations de principe. L'hypocrisie a probablement plus de poids sur les enjeux financiers colossaux (on parle de 3 milliards de téléspectateurs attendus : en serez-vous ?).

En revanche, on peut spécifiquement reprocher au Qatar deux scandales que toutes les belles déclarations du monde des pays participants ne pourront jamais faire oublier.

Le premier scandale est les conditions dans lesquelles les ouvriers souvent étrangers (provenant de l'Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh, et du Sri Lanka) ont travaillé pour construire les stades et les infrastructures. Dans son édition du 23 février 2021, "The Guardian" a estimé à plus de 6 750 le nombre de victimes, mortes à la tâche : « More than 6,500 migrant workers from India, Pakistan, Nepal, Bangladesh and Sri Lanka have died in Qatar since it won the right to host the World Cup 10 years ago, the Guardian can reveal. ». Lola Schulmann, une spécialiste des droits économiques et sociaux à Amnesty International, a précisé sur FranceInfo : « On parle de personnes qui peuvent travailler en extérieur quatorze heures par jour, sept jours sur sept, sous de très fortes chaleurs. ». Pour comparer avec la France qui a vingt-quatre fois plus d'habitants, le nombre de morts par accident du travail sur la période de 2011 à 2020 est d'un peu plus de 6 000, soit moins que pour les seuls travaux pour la coupe du monde 2022 au Qatar.



Le second scandale est l'empreinte écologique du tournoi, estimé à plus de 3,6 millions de tonnes de carbone (plus probablement au-dessus de 6 millions de tonnes). D'un coût dépassant tous les records (200 milliards de dollars, près de vingt fois le coût de la coupe en Russie en 2018, cent cinquante fois plus que le coût de la coupe en France en 1998), avec la construction de plusieurs stades en les équipant de climatisation qui va consommer énormément d'énergie. Si la distance la plus grande entre deux stades est seulement de 55 kilomètres (en 2018 en Russie, elle était de 2 500 km), elle n'aura pas un impact positif sur l'empreinte carbone car la capacité hôtelière du Qatar étant trop faible pour accueillir 1,2 million de supporters, ceux-ci sont hébergés également dans les États voisins, si bien qu'environ 200 vols aériens sont prévus chaque jour du tournoi pour les transporter.

Au fait, savez-vous où sera organisée la prochaine COP28 en novembre 2023 ?
À Dubaï...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2022)
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Pour aller plus loin :
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