Esprit d’équipe et jeu de ligne ?
par C’est Nabum
vendredi 4 avril 2025
Jouez groupés.
Le Rugby et ses valeurs ! Que n'ai-je entendu cette antienne à laquelle j'ai longtemps cru en m'impliquant pleinement dans cette aventure. J'y ai gagné des amitiés durables, des souvenirs impérissables et quelques faiblesses corporelles qui se sont imposées au fil du temps. Mais le jeu en valait la chandelle, du moins c'est ce que nous nous disons entre vieux crampons, autour d'un comptoir.
Nous ressassons alors interminablement les heures de gloire même si elles n'étaient pas les plus nombreuses comme les mauvais moments, les déceptions, les blessures et les défaites lourdes de conséquences. Nous ne manquons jamais de nous remémorer ces fêtes magnifiques, ces orgies de bière et de chants, ces folies inénarrables qui ont parsemé nos extravagances.
Il n'y avait ni à en être fier ni à en rougir. Il fallait bien alors que jeunesse se passe dans une saine et virile ambiance de confraternité, tous liés par l'amour du maillot, la fierté d'appartenir à cette vaste confrérie qui au-delà des querelles de clocher, nous liait avec ceux qui avaient été l'espace d'un match nos redoutables adversaires.
Une fois ôté l'habit du guerrier, nous nous retrouvions en une belle cérémonie païenne, un rituel gourmand, une liturgie codifiée qui nous entraînait fort tard dans ce qu'il est de coutume de nommer dans cet univers si particulier : « La troisième mi-temps ! ». Pour prouver que ce n'était pas qu'une légende, nous ne tardions jamais, une fois la douche prise et après avoir remis les habits du quotidien à entonner la première chanson, suivie de beaucoup d'autres ce qui nous donnait toujours grand soif.
Dans le car, il n'était pas rare, pour peu que la victoire fût de notre côté, de poursuivre la célébration dans une avalanche de rires et de propos qui n'étaient pas tous du meilleur goût. C'était ainsi et il n'y a pas à en rougir, nous ne faisions de mal à personne.
Je pensais naïvement que rien n'avait changé et que les plus jeunes avaient soigneusement empruntés nos traces. Même si sur le pré, il convient de leur accorder ce mérite, ils courent, plaquent, se font des passes avec plus de vigueur et d'adresse que nous en démontrions alors - les fioritures de la mémoire imposent de faire ce constat -, ils n'excellent pas dans la pratique des débordements d'après match.
Avec quelques anciens venus effectuer une cure de jouvence dans un club house nous avons assisté à un spectacle qui nous a laissé sans voix, de nature même à ne pas finir nos bières. C'est vous dire à quel point nous étions sous le choc d'un spectacle qui eut été inimaginable en notre époque. La chose est tellement incroyable que je ne sais si vous allez accorder le moindre crédit à mon témoignage. Au risque d'être traité de menteur, j'ose vous en faire part.
Une vingtaine de jeunes hommes, tous attablés comme il est de coutume après un match de Rugby, avec sur les tables quelques pichets de houblon pour ne pas déroger à la coutume et à la nécessaire récupération, étaient parfaitement silencieux. Pas un mot, pas une conversation ni encore moins un chant n'émanait de ce groupe.
Nous faisions tous part de notre interrogation quand de plus curieux s'approchèrent de cette équipe pour s'enquérir d'un comportement qui nous semblait pour le moins étrange voire totalement irréel. Ils avaient tous le buste plié, la tête penchée non pas sur leur assiette mais sur un curieux petit appareil qui focalisait leurs attentions.
Voulant connaître les raisons de cette messe silencieuse, nous poussâmes l'investigation jusqu'à épier ces petits écrans tout aussi diaboliques qu'envoûtants. Les uns conversaient avec de lointains correspondants, d'autres jouaient, certains écoutaient de la musique par oreillettes interposées. Ils étaient tous centrés sur la même activité et curieusement ils ne formaient plus un groupe, une équipe, une bande mais un triste conglomérat de solitudes pathétiques. Les valeurs du Rugby se fracassaient contre l’odieuse hégémonie du portable...