Le bitcoin : une bulle en pleine exubérance irrationnelle
par Aimé FAY
mardi 10 décembre 2024
Le cheminement d'une bulle 1 est bien connu. Rarement la valeur d'une chose - actif, matériel ou immatériel - sur son marché, n'a été multipliée considérablement sans qu’elle ne revienne, un jour, à sa valeur de départ, de manière extrêmement brutale.
Le marché du bitcoin devrait faire le même parcours. Seule la date nous manque. Elle devrait être proche, même s'il faut reconnaître que nous et bien d’autres, disons cela depuis presque 15 ans.
Le bitcoin est encore aujourd'hui, et une nouvelle fois, dans sa phase "d'exubérance irrationnelle" 2. Il valait quelques centimes peu de temps après sa création, le 3 janvier 2009. Il valait 16 000 € le 29/11/2022. Il valait quelque 100 000 $, ces jours derniers !
Le bitcoin d'aujourd'hui a quand même, selon nous, tout de l'oignon de la tulipe hollandaise, de septembre 1636.
La bulle de ce banal oignon est si renommée qu'elle est connue mondialement sous le nom de Tulipomania 3. Elle est aussi le symbole de ce qui peut arriver à un marché quand il est d'une grande opacité. Exactement comme celui du bitcoin depuis sa création !
Les fameux oignons hollandais n'étaient pas visibles en fleurs. Au plus fort de la bulle, chaque oignon valait le prix d'une très très belle maison, en Hollande, soit 5 500 florins (2.5 millions d’euros actuels). Puis, en février 1637, la bulle éclata. Crise économique, ruines et suicides s'en suivirent… comme souvent lors de l'éclatement de toute grosse bulle, essentiellement spéculative !
Quel est le déroulé d’une bulle ?
Le phénomène de bulle, une fois amorcé, s'autoalimente de manière spéculative 4 et, par effet de cliquet, continue de grossir, alimenté par des achats incessants, généralement soutenus par du crédit au taux inférieur à celui de la rentabilité attendue. Aucun acteur ne veut sortir de la spirale haussière. C'est l'"exubérance irrationnelle", une contagion psychologique. Chacun espère, plus ou moins inconsciemment, profiter encore de la hausse et pouvoir sortir juste avant les autres. Juste avant que tout s'écroule. "Tant que la hausse persiste, on échange les produits, personne ne perd, mais malheur au dernier détenteur ! La baisse est si rapide que, les moyens de crédit qui l'ont engagé et soutenu jusque-là lui faisant défaut, la ruine est inévitable [...]." Écrivait le Français Clément Juglar (1819-1905, médecin et économiste) 5.
De fait, la tendance haussière et euphorique des volumes et/ou des valeurs se poursuit jusqu'au jour où, au plus fort de la bulle, le marché ne fonctionne plus aussi bien et des incidents et autres malversations, commencent à alerter certains participants. Ces derniers communiquent leurs doutes et font savoir − ou plutôt essaient de faire savoir − au marché qu'il est dans l'irrationnel le plus complet et qu'il serait temps de faire un point raisonné sur sa viabilité à terme, voire à très court terme. Le marché est alors pris d'inquiétude ! Il se retourne brutalement sous l'impulsion de ventes plus ou moins massives. Par effet moutonnier et émotionnel, le retournement du marché s'accélère. La bulle éclate ! Après l'euphorie, c'est la panique. Le marché reproduit, à l'inverse, les comportements qui avaient créé sa bulle, son extrême surdimensionnement… hors de toute raison.
Les origines d'une bulle sont toujours les mêmes, notamment :
- d'abord l'adage courant qui veut que "le marché ait toujours raison", quitte à être irrationnel ;
- l'excès d'optimisme et de confiance dans un avenir afin favorable ;
- le manque de transparence et d'information sur l'actif concerné ;
- la cupidité de la demande ;
- le crédit pas cher… par rapport à la rentabilité attendue à court terme ;
- le mimétisme comportemental, "[...] l'instinct grégaire des foules." 6, souvent alimenté par les médias. Beaucoup d'agents économiques, compétents ou pas, veulent être de la fête et empocher la bonne affaire !
Cela ne ressemble-t-il pas à ce qui se passe actuellement sur le bitcoin et ses ersatz, notamment depuis l’élection du futur président des États-Unis, Donald Trump ?
Une bulle, par construction, n'est constatée qu'ex post. Quand il est trop tard !
Ex ante, il est souvent reproché à ceux qui avertissent, plus ou moins maladroitement – peut-être nous : de manquer de confiance, d'être des oiseaux de mauvais augure, d'être contre le divin marché, de vouloir trop réglementer et donc de freiner la création de richesse de tel ou tel secteur ambitieux, innovateur et plein de vitalité économique et entrepreneuriale porteuse d’avenir.
Pour la chose qu'est le bitcoin, c'est-à-dire un parfait actif numérique, immatériel, spéculatif, et non pas une monnaie - bien que des pays exotiques l’ont reconnue comme telle (le Salvador, la République centrafricaine, et quelles villes ici ou là) - il faut l’avouer, le compte à rebours semble faire de la résistance. Beaucoup de résistance ! Une résistance encore incompréhensible pour une chose qui n’a aucune autorité de tutelle, aucun gendarme pour l’empêcher de faire tout et n’importe quoi. Comme si ses promoteurs, tous anonymes, occultes, voulaient poser la première pierre d’un ordre économique et financier… libertarien ?
Bref, le sujet reste très volatile. Tout comme le cours de cette chose !
1. Pour en savoir plus sur les bulles (boursière, économique, financière, immobilière, Internet et spéculative) voir : La crise en quelques mots, Édition L'Harmattan, Paris, 2015.
2. Terme d'Alan Greenspan (président de la Fed de 1987 à 2006) dans son discours du 5 décembre 1996 : "But how do we know when irrational exuberance has unduly escalated asset values, which then become subject to unexpected and prolonged […]." (Source : federalreserve.gov/boarddocs/speeches/1996).
3. C. P Kindleberger et R.Z Aliber in Manias, Panics, and Crashes (Édition Wiley, Hoboken New Jersey, 2005), chapter : The Tulipmania, p. 115 et suivante.
4. La spéculation ne crée pas la hausse ni la baisse, mais elle l'accentue. En effet, acheter un actif alors que son marché est haussier renforce cette tendance. La spéculation est autoréalisatrice, c'est-à-dire qu'elle se nourrit d'elle-même. Mais, tout en ayant une fin, les derniers spéculateurs en seront plus leurs frais… au profit d'autres ayant anticipé, avant eux, le retournement du marché.
5. Des crises commerciales et de leur retour périodiques (Éd. Hachette livre BNF, 1862), p. 14.
6. Robert James Shiller (Nobel 2013) : Exubérance irrationnelle , Chap. 4, p. 125 (Valor Éditions, Hendaye, 2000)
Rappel de l'histoire : le matin du mardi 29 octobre 1929 (le fameux mardi noir), les journaux américains publiés leur optimiste à l'instar du président Herbert Clark Hoover (1895-1972) et Le Wall Street Journal rapporta que "l'économie ne marque aucun signe de désintégration." Id. Shiller, Chap. 4, p. 115.
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