Création du collectif « coulons la recherche ! »

par Bernard Dugué
vendredi 7 mars 2008

Suite aux annonces de la ministre Pécresse concernant l’avenir du CNRS, nous, chercheurs français de moyen rang, en attente d’une reconnaissance de nos talents moyens dans des structures à grande visibilité, des super pôles bling bling associant l’Université, le CNRS, sous la bienveillance des autorités en place ayant délégué des structures d’évaluations pour diligenter des missions de réorganisation et de réforme, en conformité avec la feuille de route de Madame la ministre, déclarons être en total accord avec les positions du gouvernement. Pour prouver notre collaboration sans faille, le collectif « coulons la recherche » est créé ce 7 mars 2008. Afin de prouver nos compétences en la matière, nous avons rédigé ce document offrant quelques précieux conseils aux instances supérieures pour mener à bien leur mission. Notre action vise tout spécialement à contrer les manœuvres gauchistes du collectif « sauvons la recherche », groupuscule influent et s’opposant aux desseins du gouvernement.

Texte fondateur du collectif : « comment couler une recherche de pointe »

Veuillez prendre note de ces quelques conseils aux responsables de la recherche scientifique pour couler un champ d’investigation prometteur. Quel intérêt me direz-vous ? Je n’en sais rien, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, nous devons accepter que des gens aient comme objectif de saborder une recherche alors que d’autres se complaisent à faire leur propre malheur, comme l’exposa le célèbre sociologue de Palo Alto, Watzlawick, auteur d’un ouvrage au titre fort explicite, Faite-vous-mêmes votre malheur !

Imaginez une recherche qui marche bien, sur les prions, sur les ulcères, sur la myopathie, sur la biologie intégrative, sur les maladies dégénératives, sur les mécanismes de réparation d’ADN mis au service de la redifférenciation des cellules tumorales, sur l’interaction biologie et ondes magnétiques, sur le langage des oiseaux, sur le sida. Prenons un exemple parmi ceux qui viennent d’être cités. Excluons d’emblée la recherche sur les oiseaux. Pour une raison simple, cela n’intéresse personne et quand on peut pourrir une recherche en tirant quelque satisfaction, autant le faire dans un domaine qui intéresse de près la population et qui, de plus, brasse de l’argent, car vous devez être exigeant en terme de rémunération pour ce genre de mission. Excluons aussi les autres champs scientifiques, la France ne brille guère, sauf, à une époque, dans la compréhension du sida, avec et nul n’ignore ce nom, les travaux réalisés à l’Institut Pasteur par le Pr Montagnier et toute une équipe fort compétente. On pourrait prendre d’autres exemples mais la plupart les ignorent. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque les saboteurs de la recherche ont été très efficaces, ayant su éteindre des innovations scientifiques avant qu’elles ne tombent dans la sphère publique et médiatique.

Pour ne pas vexer les troupes, je préfère inventer un domaine scientifique, la recherche sur le DADA, maladie dont l’origine fut longtemps inconnue avant qu’une équipe du CNRS n’en découvre les mécanismes. Fort de cette avance, les laboratoires ont essaimé, les doctorants ont été formés et des équipes, à l’Inserm, dans les facs et au CNRS, se sont constituées. C’est le moment de mettre en œuvre le sabotage. Première étape, indispensable, créez, à partir d’une cellule à Matignon, ou maintenant à l’Elysée, puisque tout se décide dans le palais présidentiel ; décrétez une mission qui débouche, rapidement, sur la création d’une agence. Cela prend du temps me direz-vous ? Eh bien non, il ne s’agit pas de construire une école, un hôpital, une maison de retraite ou une crèche, mais simplement pourrir une recherche prometteuse en mettant les moyens suffisants à partir de structures dirigées par les plus hautes sphères. Donc, vous créez l’Agence nationale de recherche contre le DADA, l’ANRDADA, retenez bien le sigle, c’est essentiel.

La marche à suivre est simple. Dotez l’ANRDADA de moyens importants. Au besoin, appliquez le principe de péréquation mais à l’envers. Pour compenser cette dépense, vous fermerez quelques maternités, dans le Gers ou en Corrèze par exemple. N’ayez aucune crainte, les Chirac n’y vont plus, leur destin est ailleurs. En plus, ça fera bisquer François Hollande. Et quand François s’énerve, ça amuse les Français et ça permet de fournir quelques images au zapping de Canal+. Une fois les moyens attribués, sachez les utiliser avec le principe d’efficacité et de pragmatisme.

Une agence comme l’ANRDADA doit en premier lieu se doter d’une équipe dirigeante, avec un président, un directeur, au moins trois adjoints et quelques conseillers. C’est là que l’énarque inexpérimenté commettra l’erreur classique. Il donnera ces postes à quelques confrères mal à l’aise dans leur ministère, ou alors un copain qui vient de se faire virer de chez Rachida, ou encore un démissionné d’une grande entreprise qu’il a contribué à couler. Non, ce n’est pas ainsi qu’on gère une mission de service public essentielle comme le sabotage d’un domaine de recherche. Il faut laisser les copains et savoir être éthique en la matière. La meilleure des stratégies consiste à débaucher deux, trois, quatre... sommités scientifiques reconnues dans le domaine. Avec les moyens dont vous disposez, vous n’avez plus qu’à les nommer, moyennant un bon salaire, membres de la direction de l’ANRDADA. Jouez sur l’ego, flattez-les, au besoin, invitez-les aux Seychelles pour une réunion de travail. Dès que la direction est en poste, vous avez l’assurance d’avoir éloigné une bonne partie des grosses pointures du domaine qui, de réception en réunion, de parties dans les couloirs ministériels aux invitations à Cannes, Roland-Garros et la tribune VIP du PSG, avec quelques hôtesses bienveillantes, auront vite fait de s’éloigner des préoccupations scientifiques. La partie est bien engagée, vous avez débauché quelques éléments de la colonne vertébrale de la recherche sur le DADA. Les voilà prêts pour leur nouveau job. Gérer des crédits et se présenter dans des manifestations dès qu’il y a lieu, y compris quand les médias sont présents. Car, le cas échéant, vous pouvez augmenter les moyens en sollicitant les citoyens.

Mais si vous ne le sentez pas, faites plutôt appel à des people. Prenez Monica Belluci et Patrick Bruel, ils sont faciles à convaincre, ils n’y connaissent rien, surtout Bruel, qui récolta des fonds pour l’Arc pendant que Crozemarie faisait la bamboula. Direction JP Foucault, qui veut gagner le premier palier des 40 000 euros pour une association avec des questions qui sont adaptées. Après, faites confiance à cette belle équipe, le fils Leconte, le fils Jugnot, Steevy, etc., pour une belle partie de Boyard et plein de pognon sous réserve que Steevy ne soit pas désigné pour les énigmes du père Fourasse. Les idées de manquent pas, y compris Danielle Gilbert à qui on doit pouvoir confier une mission.

Seconde étape, l’assèchement des moyens ou, plutôt, la stratégie de contournement des crédits. Si vous voulez saboter une recherche rapidement, il suffit de réduire ses moyens. C’est simple, il suffit de créer une structure de pilotage destinée à ventiler les crédits dans les différentes équipes de recherche sur le DADA. Là, ne vous trompez pas. Contrairement à l’étape précédente où il fallait débaucher les meilleurs vers la direction, pour gérer administrativement les crédits et les distribuer, recrutez les plus médiocres, les tâcherons qui, grâce à la stabilité de l’emploi scientifique voulue par le socialisme jacobin, figurent encore dans l’organigramme des équipes de recherche, font semblant de travailler, ont raté leur carrière. C’est du pain béni pour votre objectif. Il n’y a pratiquement aucun effort à faire. Proposez-leur un poste de gestionnaire, pour évaluer les travaux des laboratoires, fignoler les détails dans la paperasse, multiplier les formulaires. Ils se feront un plaisir d’accomplir cette tâche. Payez-les correctement, un peu plus que leur salaire de fin de carrière. Ils sauront accomplir leur travail avec le plus de sérieux possible, mobilisant leur incompétence jusque dans les détails les moins importants. En plus, les aigris se feront un plaisir de saquer leurs anciens collègues, jaloux de leurs succès scientifiques, ils auront enfin leur revanche en saignant les fonds nécessaires pour réaliser les expériences indispensables pour que la recherche sur le DADA avance.

Et voilà, maintenant, sans le crier sur les toits, vous pouvez enfin mourir tranquille, serein d’avoir réussi votre vie et d’avoir sabordé l’un des domaines de recherche où la France était en pointe. Vous n’avez pas de honte à avoir ni de regret. La thérapie contre le DADA a été trouvée par une équipe américaine. La France a acheté les médicaments. Le trou de la Sécu augmente. Mais, un jour, vous pourrez dîner avec celui qui avait en charge de plomber l’Assurance maladie et vous allez pouvoir rigoler un bon coup.


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