Petite histoire du droit d’auteur : le pognon, le public et l’art

par Jiache
jeudi 16 avril 2009

Je suis étonné de la tournure que prend le débat sur les droits d’auteurs aujourd’hui. En effet, tout se passe comme si ces droits étaient des acquis depuis toujours. On nous présente également la protection de l’œuvre comme étant l’universelle panacée, protégeant nos artistes et leur garantissant de quoi vivre. Il me semble intéressant de se pencher sur l’histoire et de se poser les questions suivantes :

Les droits d’auteurs ont-ils toujours existé ? (vous vous doutez que non, sinon, je ne poserais pas cette question).

Comment cela se passait avant ?

Se poser ces questions en amène une autre, un peu plus complexe : quel a été et quel est le statut de l’artiste dans notre société ? Quel a été et quel est le statut de la création et de l’œuvre ?

Avant le XIX° siècle

Comme vous le savez déjà, la SACEM a été créée en 1851 pour protéger les droits d’auteur. Cela signifie qu’auparavant, ces droits n’existaient pas ou existaient autrement. En effet, remontons au XVII° siècle par exemple. Non seulement les droits d’auteurs n’existaient pas, mais le « plagiat » était monnaie courante. Je mets plagiat entre guillemet car à l’époque, personne n’aurait songé à intenter un procès pour plagiat. En musique, chacun piochait allègrement dans les idées de ses contemporains sans que cela ne choque personne. Écoutez et comparez certaines œuvres de Bach, Telemann, Corelli, Vivaldi, vous serez surpris. Si Vivaldi avait « breveté » le concerto pour soliste, l’histoire de la musique en eut drôlement été modifiée.

Autre exemple, Bach est l’héritier de Buxtehude. Heureusement que le droit d’auteur n’existait pas. Je vous laisse comparer l’œuvre pour orgue de ces deux-là.

Il faut bien comprendre que le statut de l’artiste était bien différent. En effet, la plupart des œuvres étaient des commandes. Le commanditaire devenait propriétaire de l’œuvre une fois celle-ci payée. L’artiste n’était payé qu’une seule fois pour le travail accompli, le propriétaire (le commanditaire) jouissait donc pleinement de son achat.

Autre chose, la notion d’art et d’artiste n’existait pas. En effet, Bach, par exemple, se vivait comme un artisan et pensait son œuvre comme de l’artisanat. La langue Allemande, à ce titre, est beaucoup plus précise que le Français. Das Kunst der Fugue est souvent traduit par l’art de la fugue. Le mot Kunst est à comprendre comme art en tant que technique, c’est-à-dire artisanat. Il faudrait comprendre la technique de la fugue. Un autre exemple est la préface du clavier bien tempéré :


" Das Wohltemperierte Klavier oder Praeludia, und Fugen durch alle Tone und Semitonia, Sowohl tertiam majorem oder Ut Re Mi anlangend, als auch tertiam minorem oder Re Mi Fa betreffend- Zum Nutzen und Gebrauch der Lehr-Begierigen Musicalischen Jugend, als auch derer in diesem Studio schon habil seyenden Besonderem Zeitvertreib aufgesetzet und verfertiget von Johann Sebastian Bach p.t. Hochf. Anhalt-Côthenschen Capel-Melster und Directore derer Cammer Musiquen. Anno 1722. "


" Le Clavier bien Tempéré, ou Préludes et Fugues dans tous les tons et demi-tons, aussi bien dans les tierces majeures Ut Ré Mi que dans les tierces mineures Ré Mi Fa, composés et préparés à l’usage de la jeunesse musicale désireuse de s’instruire , mais aussi pour le passe-temps particulier de ceux devenus déjà habiles dans cet art, par Jean-Sébastien Bach, actuellement Maître de Chapelle du Prince d’Anhalt-Coethen et Directeur de sa Musique de Chambre. Anno 1722.


Il est évident à lire cette introduction que Bach ne se considère pas comme un artiste mais comme un artisan qui possède un « tour de main », une technique qu’il met à profit pour ces compositions. Concernant cette introduction du clavier bien tempéré, il s’agit bien plus d’un manuel technique que de poésie.

Cette situation perdure jusqu’à la fin du XVIII° siècle. La situation commence à changer avec Mozart et Beethoven. Le compositeur ne travaille plus que pour des commandes mais il travaille aussi pour lui. Cette pratique de la composition se généralise durant le XIX° siècle sans pour autant voir apparaître la notion réelle de droit d’auteur. Par contre, le compositeur commence à se vivre comme un artiste et non plus comme un artisan.


La fin du XIX° siècle : la transformation

Comme je le disais plus haut la SACEM a été créée au milieu du XIX° siècle. La création de cette institution est à mettre en relation avec le bouleversement profond de l’époque. La SACEM rémunère les auteurs compositeurs mais aussi les éditeurs (tiens tiens) en fonction de la durée de l’œuvre. L’origine de cette institution est dû au fait que d’illustres inconnus (populaires à l’époque, comme quoi …) aient voulu que l’on rémunère leur travail.

Il faut se rendre compte qu’à la fin du XIX° siècle, l’argent du mécénat se raréfie et la condition de l’artiste se dégrade.

En ce qui concerne l’esthétique et la création les bouleversements sont multiples. Bach, Mozart ou beaucoup d’autres avant le XIX° ne se sont pas posés la question de la création artistique comme on l’envisage aujourd’hui. En effet, les compositeurs étaient dans la continuation d’un héritage esthétique légué par leurs maitres et pairs. Autrement dit, la question de l’originalité ou des courants musicaux ne se posait pas. On pourrait parler d’évolution dans la continuité.

L’artiste du XIX° siècle se retrouve seul face à lui-même. Il prend conscience du poids de l’histoire et commence à s’en démarquer : redécouverte des musiques anciennes, découverte des « musiques du monde ». L’artiste alors se pose la question de sa position dans l’histoire, le renouvellement de son art et sur sa place dans la société. Dans le même temps, la distance se crée avec le public. Outre les œuvres lyriques ou symphoniques appartenant au passé, la musique savante s’installe dans les salons et devient de plus en plus élitiste : le compositeur cherche la rupture avec la tradition, il cherche à inventer quelque chose de vraiment nouveau. Debussy est, à ce titre, vraiment inscrit dans son époque.

La création de la SACEM est bien un signe des temps, un signe de bouleversement de la société. L’un compose pour l’argent et la notoriété immédiate, l’autre pour la postérité. On peut encore aujourd’hui percevoir ce clivage. L’artiste cherche à être considéré comme tel et non plus comme un artisan faiseur de divertissement. L’artiste ne travaille presque plus pour des commandes, mais pour lui-même, pour faire avancer l’art, pour créer et non pour recréer comme le faisaient ses prédécesseurs.

 

L’entrée dans l’ère technologique

Le dernier virage subi par la création musicale est dû à l’arrivée des nouveaux médias. En effet, depuis très longtemps, la transmission de la musique était soit orale, soit écrite. Pour commencer, l’imprimerie a démocratisé l’échange de la musique, mais ceci supposait une initiation pour déchiffrer ce langage. Avant la radio, la musique populaire était aussi transmise par ces feuillets qui comportaient la mélodie, pour certains les accords au dessus de la portée et les paroles. Je n’ai pas de scanner sinon, j’en vous aurai volontiers fait profiter d’une de ces petites merveilles. Les chansonniers médiatisaient ainsi ces œuvres et s’échangeaient leurs répertoires, les éditeurs et compositeurs récupéraient les droits versés par la SACEM contre le paiement des partitions.

Depuis, nous avons vu apparaître plusieurs révolutions technologiques concernant la musique (dans le désordre) : radio, télévision, phonogramme, cassette audio, compact disc (puis DVD), clé USB et enfin internet. On pourrait penser que seul internet a déchainé les passions des ayants droit. Il n’en est rien. Rappelez-vous du foin déclenché par l’arrivée des lecteurs / enregistreur double K7 ou encore des graveurs de CD de salon. Bien avant, la diffusion radio ou phono avait déclenché l’ire des éditeurs de ces petites partitions et à juste titre, ceux-ci ont disparu ne laissant en place que les grandes maisons spécialisées en partitions de musique classique. L’apparition du compact disque au profit du vinyle ou des cassettes n’a pas fait de tort au monde de l’édition, par contre, au même moment, la finance a avalé les petits éditeurs et producteurs, les créateurs passant subrepticement au second plan, l’art devenant une marchandise.

Dans le même temps, le comportement des artistes s’est vraiment clivé. Nous avons vu plus haut que le XIX° siècle a fait apparaître des artistes qui cherchent la postérité et d’autres le profit immédiat. On peut constater qu’aujourd’hui rien n’a changé.

Entre un Franck ZAPPA et un Patrick BRUEL, il y a un monde. ZAPPA s’autofinançait (sinon personne n’aurait jamais entendu parler de lui) et s’autoproduisait. Méprisé par ses contemporains, il restera certainement à la postérité. BRUEL profite de ce qui le nourrit actuellement. Il ne marquera certainement pas l’histoire de l’humanité, ni même l’histoire de la musique. Bon, j’ai parlé de Bruel, je peux prendre d’autres exemples si on me demande.


 

Tout ceci pour un constat simple :

La protection des droits d’auteur n’a jamais servi les intérêts des vrais talents. Les droits d’auteurs ne servent qu’à ceux qui recherchent le profit : artistes bidons, maisons de disques, éditeurs, commerçants. Les droits d’auteurs nourrissent les parasites de la création artistique, jamais les vrais artistes.

D’une manière générale, le principe du droit d’auteur sous sa forme actuelle est mort. Le courage politique aurait voulu que soit lancé un vrai débat sur le statut de l’artiste et de son œuvre, ou comment réinventer le droit d’auteur. Les SACEM, SACD, SPADEM et autres usines à gaz du genre ne sont plus du tout adaptées au monde actuel.

Hadopi passera certainement, ce n’est pas très grave. Cette loi est morte dans l’œuf, à cela, ni Albanel, ni les ayants droit, ni les pseudos artistes n’y feront quoi que ce soit. La création n’attendra pas les imbéciles.

 


Bibliographie

En général

Au sujet de la SACEM

 

Note : si quelqu’un a une meilleure traduction à proposer quant à la préface du clavier bien tempéré, ça sera avec plaisir.


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