Humilité et fierté dans les communautés polythéistes et plus largement païennes, mais aussi dans le monde occidental

par Jérémy Cigognier
vendredi 15 mars 2024

Dans cet article, nous traiterons de choses démentielles, en ce sens qu'elles dépassent de beaucoup le quotidien, et qu'il faut peut-être en prendre la mesure, si possible, pour apprécier sa teneur. « Tout » part d'un constat au sein de la, ou plutôt des, communautés polythéistes, plus largement païennes, qui s'expriment online, mais qui existent aussi IRL (in real life, dans la vie réelle) – les unes recoupant parfois les autres, sans nécessité, et réciproquement. Ce constat, c'est l'observation des valeurs à l'oeuvre, prises dans une dialectique de l'humilité et de la fierté.

Mais d'emblée, il faut dire que cette dialectique ne concerne pas que les communautés évoquées : les communautés évoquées en sont, en quelque sorte, un genre de baromètre. En effet, ces communautés, en tant qu'elles se placent doublement « à faux » par rapport à l'héritage monothéiste et par rapport au devenir-laïc de cet héritage, présentent l'avantage d'en être des réceptacles originaux.

Ainsi, tout comme en médecine les phénomènes originaux permettent de comprendre rétroactivement les phénomènes normaux, ces communautés permettent de comprendre rétroactivement la société normale – si seulement elle existe.


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Les pièges de l'humilité

Les pièges de l'humilité ? Quiconque un peu sincère en sa démarche, mais d'ailleurs aussi hypocrite à jouer les bonnes mœurs, demandera ou feindra de demander, comment est-il possible d'entamer ainsi par l'expression de pièges de l'humilité. Le monothéiste, naturellement, est déjà en train d'y sentir « une ruse du Malin », toutefois même le polythéiste – et plus largement le païen, ou encore le New Ager – peut se retrouver gêné devant cette expression de pièges de l'humilité, à se préfigurer un mauvais esprit. Et, « pire » encore : l'humilité peut sembler tout sauf piégeuse : même à un « expérimental pur » (c'est-à-dire quelqu'un qui ne jurerait que par l'expérimentation sonnante et trébuchante).

Je parle de cet « expérimental pur », avant tout pour lui demander, au passage (avec tous les religieux et autres spirituels d'ailleurs) si « l'expérience religieuse » (pour personnelle et culturelle qu'elle soit) n'en est pas moins de l'ordre, justement, de l'expérience ? Et vraie comme telle : expérimentée, vécue ?... à supposer que le religieux voire le spirituel soient faux, leur fausseté n'est-elle pas néanmoins - - - une expérience, vraie comme telle ? Et cette vérité, pour biochimique qu'on la fera, n'en reste-t-elle pas moins - - - une vérité ? La vérité de « l'expérimental pur » n'est-elle pas, elle aussi, biochimique ?

Mais revenons-en à l'humilité et ses pièges.

L'humilité, c'est étymologiquement la qualité de l'humus, c'est-à-dire du sol, de la terre. Est dit humble, la personne qui, dans sa démarche, resterait (excusez les expressions) terre-à-terre, sur le plancher des vaches, au raz-des-pâquerettes. Vraiment, et c'est bizarre, mais il faut bien observer que l'humilité consiste à s'atterrer, voire se terrasser, et c'est d'ailleurs bien pour cela, que les monothéistes n'arrêtent pas de parler de « trembler devant Dieu » à ce sujet. Toutefois, on songe moins à quelqu'un de « bien bâti » voire « à l'esprit étroit » à propos de l'humilité.

Car l'humble, c'est toujours la personne qui se fait plus basse que moi, ou bien tu me diras humble, si je me fais plus bas que toi. Il y a là des petits jeux qui peuvent être très, très bas, jusqu'aux coups bas, en vérité. Et, quand l'un et l'autre « se sont couchés » jusqu'à s'écraser autant que possible, que reste-t-il ?... Il reste à se faire plus bas que terre, en-dessous de tout, ce qui est tout de même curieux et (pour être tout à fait franc) laisse à désirer...

On rétorquerait que cette argumentation des pièges de l'humilité serait basée uniquement sur des jeux de mots, de l'étymologie aux associations d'idées ? Je voudrais, s'il ne m'avait pas été donné d'expérimenter tout purement l'humilité à l'oeuvre, à travers divers mouvements dans lesquels j'ai été impliqué par le passé, bon gré mal gré : monothéistes, gauchistes et new age notamment.

Les mêmes phénomènes, évidemment, sont à l'oeuvre parmi les polythéistes contemporains, et plus largement les païens. Et bien sûr parmi les droitistes : les gauchistes se voulant tous plus égalitaires les uns que les autres, jusqu'à s'en faire gloire et devenir absolutistes, et les droitistes se voulant tous plus « individualitaires » les uns que les autres, c'est-à-dire économiquement et juridiquement laxistes.

Tout le monde prétend libérer tout le monde à travers l'humilité. Vivre et laisser vivre : une maxime humble, à bon compte, pour notre temps. Enfin c'est du même ordre que la charité.

Or surtout, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'au fond égalité et individualité sont des notions nécessaires l'une à l'autre, sur une base monothéiste : chaque individu égal de chaque individu, que ce soit devant le Dieu exclusif ou – hérité par réflexe – à l'égard de la société. Le sociologue Pierre Bourdieu disait là : « Dieu c'est la société ».

 

Les pièges de la fierté

Ah là c'est rassurant, tout le monde est d'accord pour dire que la fierté peut être piégeuse, entre orgueil et arrogance, il y en a pour toutes les nuances de vaniteux, de suffisant, de prétentieux, de hautain, de présomptueux, d'altier, etc.

« Naturellement », celui qui est tombé dans un voire plusieurs pièges de la fierté, c'est toujours toi, là, en face de moi, toi qui n'est pas assez humble à mon goût – c'est-à-dire pas assez bas, ou du moins pas assez nivelé.
« Naturellement », si tu sembles (ne serait-ce que sembler, même pas être)... si tu sembles plus haut, plus élevé, plus distingué, meilleur en quelque façon, gare à toi ! Tu mérites que l'on ne te reconnaisse aucun mérite, et tu mérites que l'on te rappelle au « devoir d'humilité » ! C'est l'humilité-même qui inspire le monde à t'humilier, tu l'as mérité !

Hem. Bon. Kof-kof. Pardon. Hum... Nous voyons bien qu'un tel laïus est lui-même victime d'un ou de plusieurs pièges de la fierté, et qu'en conséquence il existe une fierté méritée, puisque basée sur le mérite. Or, qu'est-ce que le mérite ? Eh bien, il n'y a pas de mérite en soi, par contre il y a des mérites relatifs à des opportunités saisies, des compétences entraînées, des connaissances approfondies, des beautés réalisées et des objectifs atteints.


Hélas certes, souvent les gens confondent chance, hasard, bonne et mauvaise fortune avec mérite. Et néanmoins, quand on a une chance immédiate dans la vie, la honte serait de ne pas l'exploiter pour aller au-delà, c'est-à-dire vers des mérites.

M'enfin voilà : il faut bien observer que la lutte contre la fierté est bien plus développée que le soupçon devant l'humilité dans nos contrées, et c'est tout à fait normal puisque nous héritons, bon an mal an, d'un passif monothéiste (d'ailleurs toujours actif dans le monde et parmi nous).
Ce n'est pas parce que vous vous réclamez du « paganisme » que ça change automatiquement les choses. Où le plus satyrique (oui, satyrique) correspond à cette espèce de fierté humiliée ou humiliation fière, qui se présente comme une force des opprimés : on nous rejoue littéralement le Christ, là.
(C'est pitié, d'une pitié supérieure – nietzschéenne. Entende qui peut...)

Enfin, ces derniers temps s'est développée « une fierté du troisième type », qui fait de certaines caractéristiques identitaires personnelles un mérite en soi, jusqu'à faire de la diversité un mérite en soi : c'est ubuesque. Et, au contraire, qui fait de certaines caractéristiques identitaires collectives une autre espèce de mérite en soi : là c'est dramatique, puisque l'identité collective se diversifie toujours.

Et tenez-vous bien : les revendications collectives sont autant de gauche (manifestations idéologiquement identifiées, déployant leur culture de masse) que de droite (manifestations identitairement idéologiques, affirmant leur masse de culture) ; de même, les revendications personnelles sont autant de gauche (sexuelles, notamment) que de droite (« successuelles », notamment).

 

L'humilité et la fierté dans l'impasse

Le tout n'est pas d'être humble ou fier, mais modeste. Du latin modestia, depuis modus, mesuré. Les Hellènes le savaient bien, qui cherchaient à éviter l'excès, dans une belle harmonie de leur créativité et de leur intellectualité.

Mais prenez le Hávamál germano-scandinave : pas de doute, c'est la même démarche : « Les rois doivent se taire et observer / ce que l'on dit, car c'est ainsi qu'il doit être ; / s'ils entendent une chose qui ne leur plaît pas, / qu'ils se retiennent, car ils auront une grande récompense. » Or, il n'est pas du tout ici question d'humilité ni de fierté : il est question de mesure. Car manifestement, un roi est un roi : il est au-dessus du commun, et le dire humble est une erreur de traitement. S'il est fier, c'est aussi trop facile pour lui.

Ni humble, ni fier : il faut être modeste.

Où la fausse modestie possible n'est pas un contre-argument, car l'humilité et la fierté peuvent, elles aussi, être feintes. Toutefois, à la différence de la fausse modestie, l'humilité et la fierté feintes n'ont aucun effet propre à l'humilité ni à la fierté : l'humilité et la fierté feintes rendent malheureux, au fond. La fausse modestie ne rend pas plus heureux, mais elle ne rend pas malheureux et, surtout, elle a l'effet social de la modestie. Il faut voir les choses sans jugement de moralité monothéiste.

Néanmoins, si la question de la fausse modestie vous taraude, rappelez-vous du dicton : « chasse le naturel, il revient au galop ». On n'est jamais longtemps faux dans la modestie, et d'ailleurs si l'expression de fausse modestie est si connue contrairement à d'autres simulacres, c'est justement parce qu'elle se voit. La fausse modestie n'est donc jamais un problème durable.

 

Quid des communautés polythéistes, et plus largement païennes ?

Nous distinguons les communautés polythéistes et païennes, en ce sens que les communautés polythéistes peuvent certes être jugées païennes par les monothéistes ou les laïcs (qui reprennent ce vocable de païen hérité) que ces communautés polythéistes gardent un caractère plus traditionnel que les communautés païennes au sens large. Communautés païennes qui dérivent souvent vers des formes de New Age et autres fallaces voire politicardises – même quand elles contiennent, facultativement, du polythéisme.

Mais enfin ces communautés, quelles qu'elles soient, ont permis de quintessencier la dialectique de l'humilité et de la fierté, car elles sont traversées par ces attitudes. D'une part, par héritage monothéiste subconscient ; d'autre part, par revendication antimonothéiste-propolythéiste-propaïenne consciente... cette revendication serait-elle caricaturalement sommaire (or, elle l'est, caricaturalement sommaire) car elle agit dans le sens monothéiste de sa diabolisation.

 

Un moratoire sur la fierté...

D'un côté, vous allez trouver toute une frange dans ces milieux, qui donc clame combattre l'ego, ce dernier étant régulièrement mis en parallèle paronomastique avec l'égout. Ça commence (très) mal, car l'ego n'est peut-être « que » l'ego, qu'il n'en reste pas moins un aiguillon et un point d'appui pour aller au-delà : je n'ai jamais vu de petit homme qui, en grandissant, ne passait pas par ce que les psychologues du développement nomment des phases égocentriques, afin de s'approprier leur existence. L'ego est la fonction adaptative du psychisme et, comme tel, il ne saurait être ni dégoûtant, ni fourgué au tout-à-l'égout.

L'attitude qui consiste à acquérir une conscience supérieure à la seule adaptation, ne peut provenir que d'une éducation où, justement, il s'agit d'élever la conscience à d'autres « objets » que le seule adaptation. Et, pour être vraiment juste, où il s'agit d'adapter la conscience à d'autres « objets » que la seule présentation des « choses ». Lutter contre l'ego, revient donc à créer des handicaps. L'erreur originaire ayant été, de confondre l'ego avec la fierté – comme font les monothéistes, qui luttent lamentablement contre l'amour-propre.

C'est fondamentalement sectaire, même à propos des « sectes qui ont réussi ».

 

... et un moratoire sur l'humilité...

De l'autre côté vous avez, au contraire, toutes ces affirmations de « fierté païenne » franchement ridicules. Pourquoi ? Eh bien, mérite-t-on d'être païen ?... Le choix du polythéisme, et plus largement de quelque paganisme dans la démarche, de nos jours laïcs – en France – et du moins séculiers – dans le reste de l'Occident, – s'avère comme tel : choisi.

Bien sûr, comme toute religiosité ou spiritualité, celui qui l'expérimente n'est pas si sûr qu'il s'agisse d'un choix : il a plutôt le sentiment d'une direction que prend sa vie, par la force des choses. Quoiqu'il en soit, à la fin, il faut bien en assumer la responsabilité – de la direction qu'a prise notre vie. Auquel titre, toutes les « fiertés » semblent des façons de se voiler la face, parce qu'on n'assume pas ou qu'on ne prend pas vraiment la mesure (la mesure, la modestie) de ce qu'implique notre trajectoire ; alors, pour se donner du courage, on « s'affirme » « fier d'être ci et ça »...

Ça fait penser, ces dernières années, à ce slogan américain au milieu du wokisme, disant « it's OK to be White »« il n'y a aucun mal à être Blanc » : à force d'entendre des âneries wokistes (du type complètement contradictoire : « la blanchité nous racise » où les prétendus « racisés » « racisent » en fait « les Blancs »)... il se trouve que certains entrèrent dans des angoisses folles, au point de devoir dire, sur le mode thérapeutique : « it's OK to be White ». Paye ta fierté ! Mais les uns comme les autres n'ont aucun mérite dans la démarche.

Comme disait Michel de Montaigne : « on naît comme on est avec le nez qu'on a » et, faut-il ajouter : « on devient ce qu'on est » c'est-à-dire qu'il y a toujours des prédispositions – faiblesses, tendances ou intérêts – par lesquelles nous évoluons dans l'existence.

 

... aboutissent à une modestie

Seule la modestie devant la fierté et l'humilité, c'est-à-dire la mesure, permettent de déjouer les pièges qu'elles nous tendent. Et nous pouvons progresser dans notre milieu, précisément de façon naturelle, et pour tout dire écologique. Ici, l'écologie est d'insertion harmonieuse dans le milieu : chacun fait ce qu'il veut avec ce qu'il peut, eut égard à ce qu'on lui accorde, mais aussi ce qu'il s'accorde à lui-même !

Ni humilité, ni fierté, il s'agit d'avoir la modestie de se situer - - - à sa juste mesure : sans égalité ni individualité, par-delà égalité et individualité.

Car l'égalité et l'individualité s'impliquent l'une l'autre, et cette implication mobilise aussitôt les problématiques de l'humilité et de la fierté.

Affranchies de ces problématiques, les personnes s'organisent « écologiquement ».

Ce qui est un idéal polythéiste, quoi que pas forcément païen au sens moderne du terme païen (parce que le paganisme contemporain, regroupe aussi des égalitaires-individualitaires, comme on a compris) : c'est l'antique fonctionnement en clans, en gentes, en « races » au sens non-raciste – c'est-à-dire en bonnes engeances.

(Et donc en engeances, tout de même, pour le meilleur et pour le pire.)

 


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