Que c’est triste Venise

par L’enfoiré
jeudi 9 juillet 2009

Le monde entier connaît Venise. Parfois un pélerinage est nécessaire pour voir ce qui y a changé. Alors, en route, à pieds ou à rames, mais pas en voiture. Période de vacances oblige. Même si ce n’est pas l’habitude de ce site citoyen.

Que c’est triste Venise
Au temps des visites mortes
Que c’est triste Venise
Quand on n’y pense plus

 

 On cherche encore des mots
Mais l’oubli les emporte
On voudrais bien rêver
Mais on ne le peut plus

 

Que c’est triste Venise
Lorsque les barcarolles
Ne viennent souligner
Que des souvenirs creux

 

Et que le cœur se serre
En pensant aux gondoles
Abriter le bonheur
Des couples amoureux

 

Que c’est triste Venise
Au temps des visites mortes
Que c’est triste Venise
Quand on n’y pense plus

 

 

Les musées, les églises
Ouvrent en vain leurs portes
Subtile beauté


Devant nos yeux repus

 

 

Que c’est triste Venise
Le soir sur la lagune
Quand on cherche une main
Que l’on ne prend pas


Et que l’on ironise
Devant le clair de lune
Pour tenter de se rappeler
Ce qu’on ne rêve pas

 

 

Bonjour tout les pigeons
Qui nous ont fait escorte
Bonjour Pont des Soupirs
Bonjour passés perdus


 

C’est trop triste Venise
Au temps des visites mortes
C’est trop triste Venise
Quand on n’y pense plus

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Que dire de plus, après cette chanson qui date déjà de 1964 avec des paroles de Françoise Dorin ? Ne cherchez pas, ce n’est plus l’original. Je me suis attaché à lui changer quelques mots.

Après un long weekend épique du 15 août, il y a déjà 30 ans, je me devais de retourner à Venise qui a eu tant d’heures de gloires dans son histoire. 

Comment choisir les photos parmi tant de vues prises sur place, tant d’images, tant de vies qui ont déambulé dans ses ruelles, navigué sur ses canaux et traversé ses ponts ?

Pas de soleil, ce jour-là. Pas de voitures pour nous rappeler à l’ordre, ici. Tout se passe au fil de l’eau, de la naissance de l’homme, en passant par sa vie active, commerciale et jusqu’à son dernier voyage.

Venise sait qu’elle est belle. Elle sait se faire aimer et payer à sa juste valeur. Il faut seulement du temps au visiteur. Des Palais à ne plus savoir qu’en faire : Ca’ d’Oro, Ca’ Foscari, Ca’ Dario... se prélassent, au soleil, le long du Grand Canal.

Pas question de se perdre à Venise, grâce à lui. Son "S" inversé est un guide, tout à fait efficace. La voie est d’ailleurs usée par les pas, entre la gare et la place Saint Marc. "Dritto" est la réponse standard, à toutes questions sur la direction à suivre. Une véritable ornière s’est creusée. Il n’y a qu’à la suivre dans le flot incessant des touristes, en gardant bien sa droite pour suivre un règlement implicite du piéton fair play.

Ravissements, une fois, arrivé à destination. La place s’offre, grande, au sortir d’une ruelle étroite. Le son de violon du Caffè Florian ajoute au cérémonial de l’accueil. Nous sommes chez Vivaldi, autant s’en rappeler.

Sous l’impulsion vigilante de la Torre dell’Orologio, les deux Maures, eux, scandent, imperturbables, les heures d’un coup de gong, depuis plus de cinq cents ans.

En été, la distraction est de mise. Elle est même conseillée. Des publicités pour les spectacles s’étallent à la vue de chacun. On s’affère, dès lors, pour installer les tréteaux d’une énorme scène sur la place. Il faut s’y habituer, on a l’habitude de voir grand par ici. 

La basilique est toujours auréolée de mosaïques sur la façade. Elle demande une patience infinie pour être abordée par l’intérieur. Une longue file, à l’entrée, figée, avant de passer à la visite en cortège dans ses dédales de couloirs fait peur. Je sais, il faut se faire désirer, mais, quand le temps est compté, c’est risqué de passer à côté de beaucoup d’autres choses. Je resterai donc sur mes souvenirs d’antan.

Le Palais des Doges reste la visite rituelle des touristes. Pas question de partir et ne pas s’y être intéressé d’une façon ou d’une autre. Tout s’y prête à l’invitation : les souvenirs, l’histoire, la littérature... Les salles du Palazzo Ducale avec des toiles illustres vont défiler devant nos yeux. Les prisons font froid dans le dos. Pas étonnant que Casanova ait fait la belle pour retrouver les beaux yeux d’une autre belle. 

Sur la place, les pigeons sont au rendez-vous. Sans eux, Venise ne serait pas ce qu’elle est. Ce n’est pas le lion de pierres, l’emblème de la ville, qui les empêcherait de prendre cette place et de laisser quelques fientes sous leurs pattes en guise de rémunération à leurs promenades. Car, "à Venise, les pigeons marchent et les lions volent", disait Cocteau. 

Plus loin, le Pont des Soupirs se préparait, cette fois, une cure de jeunesse, caché derrière une publicité trop actuelle. Etre sponsor donne-t-il tous les droits ?, me demandais-je. Les pubs envahissantes ont d’ailleurs pris place sur d’autres monuments à des endroits très stratégiques qui ne méritaient pas ce déluge de modernités. 

Elle est aussi secrète, cette ville. Il suffit de passer dans un autre quartier moins fréquenté pour s’en apercevoir. Des ruelles étroites, de petits ponts, permettent, alors, de flâner dans un autre temps, dans le silence revenu, tout en ne s’écartant pas du Grand Canal. Havres de paix, bien cachés, où les oiseaux perdent encore le temps à l’ombre des places et des arbres. Autre monde, presque autre époque, aussi.

Son histoire est pourtant fébrile et remonte bien avant notre ère. Mais, elle a vraiment commencé lorsque vers 450, les Barbares lombards ont fait fuir les Vénitiens sur les îles de la lagune et tout s’est enchaîné. Devenus insulaires, réfugiés des temps jadis. L’influence de la Vénétie n’allait ensuite que s’affirmer et se confirmer comme un véritable monopole du monde commercial de l’époque. La 4ème croisade apportait richesses et renommée dans toute la Méditerranée. Le voyage de Marco Polo, sur la route de la soie, étendait la connaissance du monde asiatique pour sa ville.

Du premier Doge, Paolo Lucio Anafesto au dernier, Ludovico Manin, le 120ème, la Sérénissime République de Venise connut les fastes les plus brillants. Grâce à sa suprématie maritime, le commerce des épices exotiques, de soies, du sel, de tissus orientaux a été surprenant d’efficacité. Les vestiges de l’autorité vénitiennne se retrouvent partout sur les rives de l’Adriatique.

Les campaniles des églises se retrouvent dans tous les horizons bien au delà de la Vénétie. Une population stable que ne dépassa guère les 160.000 habitants.

Son déclin n’est dû qu’aux coups de boutoir ottomans. Le rouleau compresseur turc lui a fait perdre la Crète, Chypre et, plus grave, l’autorité sur la Méditerranée. La peste noire décimera aussi une partie de sa population. De banquière, la ville s’est vue contrainte d’emprunter pour maintenir son train de vie fastueux. Bonaparte mit un terme à cette tradition de succès et de maîtres incontestés, les Doges.

Des personnages célèbres dans tous les domaines artistiques font parler d’eux avec Venise comme filtre ou toile de fond. Tous chantent sa gloire avec leurs moyens d’expression propres : Vivaldi, Albinoni, Casanova, Monteverdi, Shakespeare, Mann, Musset, Byron, Titien ... Jusqu’au cinéma avec son festival, mais aussi de Bond en Bond par 3 fois (en 1963, 1979, 2004). 

Capitale du plaisir à l’extrême. Le plaisir trouvait écho par son Carnaval unique au 18ème siècle. Celui-ci pouvait durer jusqu’à 6 mois sans discontinuer. Il se perpétue de manière très aristocratique, aujourd’hui. La richesse des parures en témoigne.

Le plaisir charnel, aussi, pour les riches et les pauvres donnait du travail à 11.600 courtisanes, parfaitement enregistrées, obligées d’exhiber leurs poitrines pour attirer le maximum d’"âmes sensibles et charitables". Le Rio Terra Rampani près du Pont delle Tette les abritait. La Calle del Paradiso complétait le tableau avec le nom prédestiné.

Sirène endormie, Venise a trouvé son Prince Charmant après les travaux de salubrité et grâce au train qui la relie au continent : le tourisme triomphant. Le patrimoine culturel se retrouve en bonne place dans celui de l’Unesco se vénère comme il se doit.

La crise récente a probablement effleurée les habitudes, mais pas vraiment touchée vu le nombre de ses visiteurs. La ville reste riche de son passé. Visiteurs bourgeois ou, plus simplement amateurs de culture sous toutes ses formes. 

Triste Venise ? Si, elle incite à la nostalgie, c’est une nostalgie par séquences, avec des minutes qui sont comptées, pourtant, entrecoupées de stress, d’urgences comme partout ailleurs. Impressions sans véritables réalités, donc.

La région, la Vénétie, très conservatrice, très religieuse, sous contrôle de la Ligue du Nord comprend Padova, Treviso et Vicenza, en véritables émules aristocratiques de Venise. La région renferme un nombre très important de palais prestigieux occupé par des familles vénitiennes.

En hiver, Venise mériterait plus la version originale de cette chanson que chantait Charles Aznavour. Nimbée d’irréalité, sous une chape de brouillards, portée par les brumes marines, la Cité des Doges devient alors, mystérieuse et fantasmagorique. La période du Carnaval, avec ses revenants de la lagune, tente seulement d’émerveiller, de surprendre, pendant une période plus courte que par le passé.

Triste Venise ? Question de point de vue. Ce sera sous les fentes des masques inquiétants ou avec l’esprit plus intimiste sous les voiles.

La cité a un don pour jouer à s’aimer sur les gondoles, aidées par les prouesses chantantes du gondolier. Ce sera parfois avec le téléphone portable dans une main. Tout se modernise. Le métier de gondolier ne fait pas exception.

Le 15ème siècle a tellement magnifié ces embarcations de 11 mètres de long, asymétriques, noires par décret, que la facture pour les assembler s’élève au bas mot à 25.000 euros. Alors, on amortit la dépense au mieux des courses.

Oui, Venise joue son va-tout, sans casino, sur la corde sensible de nos sentiments et de nos euros. 

« Venise est une ville de passion : c’est une ville pour les lunes de miel ou pour les ruptures. », disait Alfred Capus.

Le vaporetto, lui, restera toujours plus anonyme, plus standard, plus utilisé car moins cher. 

Venise, une cité d’exceptions, un passage obligé, la Mecque du tourisme à l’italienne ? 

Tous ces pseudonymes lui conviennent, très certainement. 

Bruges, notre Venise du Nord, ne fait pas le poids vis-à-vis de l’originale. On n’a que les prétentions que l’on peut.

Mais Venise est, aussi, contre nature, car la lagune garde sa loi qui n’est pas celle des hommes.

L’Acqua Alta continue à faire peur. L’élévation relative du niveau des mers conjuguée avec l’affaissement dû à la tectonique des plaques n’est pas faite pour calmer les esprits. Pas la peine de rappeler le réchauffement climatique. 

Sombrer, elle ne le pourrait, théoriquement, pas, dit-on, pour rassurer. 

Si, André Suares disait que « Venise : quelle ville pour les marins ! Tout flotte et rien ne roule. Un silence divin ! », Pavel Vejonov ne manquait d’ajouter « En ce monde, la moitié des théories n’ont pas d’autre raison que celle de justifier nos actes. ».

Rien n’est décidément parfait en ce bas monde.

 

L’Enfoiré,

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