Le retour de la circulaire Bolkestein

par Sylvain Reboul
lundi 13 février 2006

Le refus français du TCE (traité pour une constitution européenne) a été en partie lié au refus de la circulaire sur les services, dite circulaire Bolkestein ; or, à la lecture de cette circulaire, on peut légitimement douter que celle-ci soit ce qu’on en a dit. Que dit-elle, en effet ?

Ceci : "Le principe du pays d’origine s’applique uniquement en cas de fourniture transfrontalière de services sans établissement (si un fournisseur de services dispose d’une infrastructure fixe, ex : laboratoire, il est entièrement soumis à la loi de ce pays). Cela signifie que lorsqu’un fournisseur veut fournir ses services dans un autre EM (Etat membre) sans y établir une présence permanente, il doit se conformer uniquement aux exigences administratives et juridiques de son pays d’établissement. Le principe se combine avec un certain nombre de dérogations. Un fournisseur de service aura la certitude qu’en dehors des dérogations prévues, il doit respecter ses propres lois. Cela sera le cas pour de nombreuses activités entre professionnels.

Les dérogations concernent en particulier la directive sur le détachement des travailleurs (96/71/EC). Toutes les matières couvertes par cette directive (telles que le salaire minimum, le temps de travail, la sécurité, les standards d’hygiène et de sécurité...) sont exclues du principe du pays d’origine. Cela concerne les conditions de travail prévues par la loi et les conventions collectives. Les fournisseurs de services doivent respecter les conditions de travail de l’EM (Etat membre) dans lequel ils détachent leurs travailleurs et les autorités de ces EM doivent en contrôler le respect (Art. 17(5), 24(1))."

La fameuse circulaire Bolkestein a donc été instrumentalisée sans vergogne, alors même que son contenu n’a jamais été intégralement publié et expliqué, seulement cité en des extraits tronqués qui en dénaturent le sens.

1) Remarquons que le fameux "principe de pays d’origine" est toujours appliqué par la France losqu’elle exporte des salariés en Pologne ou ailleurs. Nul doute que ce principe, si principe il y a, a vocation à devenir réciproque, sauf à préserver cette différence de traitement entre les différents pays européens indéfiniment. Si l’on veut supprimer ce principe, alors il faut interdire son usage par la France ; or, je doute que les salariés français qui travaillent en Pologne soient d’accord, comme on l’a vu dans les quelques tentatives mort-nées de certaines entreprises, qui proposaient de délocaliser leur salariés en Roumanie ou en Tchéquie aux conditions de ces pays.

2) Ce principe est donc une nécessité à terme si l’on veut développer le marché commun dans le domaine des services (duquel les services dits "publics monopoles d’Etats" et non marchands, je le rappelle, sont explicitement exclus ; ces services non-marchands restant de la compétence exclusive des Etats) ; mais compte tenu des écarts économiques et sociaux actuels entre les pays européens, il est nécessaire d’introduire des dérogations temporaires à ce principe ; ce que faisait, et fait encore, la fameuse circulaire qui reconnaît que ce principe du pays d’origine ne s’applique qu’aux travailleurs dont la mission dans le pays d’accueil socialement plus favorisé n’excède pas 8 jours.

3) Le principe du pays d’accueil posé comme éternel et qui ne tiendrait pas compte d’une homogénéisation progressive des conditions économiques et sociales (comme on l’a vu dans le cas de l’Irlande, de l’Espagne, etc.) ne serait donc rien d’autre que le refus de voir que cette homogénéisation est aussi la conséquence d’un réel marché commun des services. Il revient à refuser la logique même du marché commun et de la construction européenne pour en revenir au principe du protectionnisme au profit des pays plus favorisés, aux dépens des travailleurs des autres pays qu’on appelle les nouveaux entrants. Il ne signifie rien d’autre que ceci : les salariés des pays moins favorisés seraient assez débiles pour ne rien faire afin que leurs conditions sociales et de travail s’améliorent chez eux et chez nous, et seraient indéfiniment d’accord pour maintenir les écarts actuels. Ce qui est, pour le moins, une vision droitière, car nartionaliste, des conflits sociaux. Je suggère pour ma part une tout autre démarche authentiquement de gauche : celle qui fait de la solidarité active entre salariés français et étrangers, dans les pays d’accueil favorisés, le ressort d’un traitement égal pour tous, comme cela s’est vu dans les luttes des "Chantiers de l’Atlantique" à Saint-Nazaire.

4) C’est bien entre les adversaires de l’intégration européenne et ceux qui veulent son développement que s’est joué le référendum sur le TCE, amalgamé à une circulaire mal lue et mal expliquée. Celle-ci et le TCE posent le problème des règles des échanges dans le cadre hétérogène actuel, tout en inscrivant comme but à l’Europe des services son homogénéisation sous le contrôle d’un Parlement européen aux pouvoirs renforcés. Mais dire non au référendum a tout à la fois affaibli la position de la France vis-à-vis de ses partenaires, qui majoritairement ont ratifié le TCE, et le pouvoir du Parlement européen ; ce qui fait que les adversaires de la circulaire ont précisément affaibli leur position. Peut-être parce que certains d’entre eux ont voulu démagogiquement jouer de la fibre protectionniste et nationaliste pour parvenir au pouvoir tout en prenant le risque délibéré de casser la dynamique européenne.

Conclusion : ces adversaires masqués de la construction européenne auront du mal à expliquer en quoi leur appel à voter non au référendum, sous prétexte de refuser la directive Bolkestein, a favorisé les plus libéraux des Européens qui ne voient que le seul marché commun, sans souci d’harmonisation sociale. Je tiens donc à le faire à leur place, pour qu’on ne s’étonne pas que la directive en question reste d’actualité, et je vous délivre un scoop, le TCE aussi... On en reparlera après 2007...

[De la concurrence en Europe->http://sylvainreboul.free.fr/Concurrence.html/]

[Le rasoir philosophique->http://sylvainreboul.free.fr/]


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