Un noyau dur européen ?
par Nicolas Cadène
jeudi 16 février 2006
La crise que vit l’Union européenne depuis la victoire du non, ainsi que les désaccords persistants (cf. la directive « Services ») entre des
Européens qui demandent plus de social et d’autres plus de libéralisme, invitent à repenser l’idée d’un noyau dur réunissant
seulement quelques États membres de l’Union prêts à aller vers plus
d’intégration.
Rappelons que la non-création d’un noyau d’Europe fédérale, entre les six pays
originels de la CEE - Communauté économique européenne - (France, Allemagne,
Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Italie : premiers signataires du Traité de Rome
de 1957), a eu des conséquences considérables.
La France, sous l’influence de la droite gaulliste alliée aux communistes, en
porte une lourde responsabilité.
Depuis son entrée dans les institutions européennes, l’action du Royaume-Uni
a objectivement favorisé l’affaiblissement politique de l’Union. Celui-ci a pu être
accéléré par l’élargissement à d’autres États avant un approfondissement
politique.
Aussi, certains pays se sont parfois clairement opposés aux progrès de la
construction d’une Europe forte, pour que celle-ci se dissolve progressivement
dans la mondialisation.
Avant l’élargissement de 2004, Mme É. Guigou, alors députée européenne, disait : «
Si l’Union européenne n’est pas renforcée avant l’élargissement aux pays de
l’Est (Pologne, Estonie, Lettonie, Lituanie, République Tchèque, Slovaquie,
Slovénie, Hongrie, Malte, Chypre), elle se désintégrera dans une zone de
libre-échange qui privera pour toujours les Européens de la capacité de
maîtriser leurs destinées et de peser sur l’évolution du monde ». Cela se confirme
de plus en plus, avec l’échec de la Constitution européenne qui tentait de
corriger cet approfondissement manqué. Pour autant, l’Union a également de quoi
se réjouir : enfin, ses citoyens s’approprient l’Europe. Enfin, ils comprennent
qu’ils peuvent infléchir son cours ; enfin, ils remarquent que les eurodéputés
détiennent le pouvoir de légiférer. On l’a constaté lors de la campagne
référendaire, on le constate encore lors des manifestations à Strasbourg
concernant la directive « Services ».
Mais faute d’un ciment suffisant et d’un quelconque projet fédérateur, certains des nouveaux États membres ont renforcé le groupe des États membres de l’UE qui sont décidés à en reprendre les éléments de puissance au profit d’un vaste marché commun et d’une zone de libre-échange.
C’est pourquoi il ne semble guère possible de construire l’Europe puissance à 25, et bientôt à 27. Sans doute trop de disparités idéologiques, trop peu d’ambitions communes, et une absence d’esprit européen véritablement commun.
Ce projet ne paraît pouvoir commencer qu’à quelques-uns.
Et seuls ceux aspirant à une Europe autonome et unie politiquement peuvent construire autre chose qu’ « une grande Suisse ».
Car il faut organiser une Europe-puissance, une communauté volontariste et ambitieuse de destins pour le bien des Européens et un monde multipolaire.
Et si cela n’est pas possible à 25, il faut affirmer le droit des peuples lucides à créer un noyau fédéral.
Au sein même de l’Union, tel semblait être le projet de l’Allemagne et de son ministre des Affaires étrangères, M. J. Fischer, en mai 2000.
Il s’agissait de commencer par une coopération renforcée généralisée entre les États qui veulent coopérer de manière plus étroite que les autres, et qui pourrait concerner la transformation de l’eurogroupe en une union politico-économique, avec la protection de l’environnement, la lutte contre la criminalité, le développement d’une politique commune d’asile et d’immigration, et naturellement, aussi, la politique étrangère et de sécurité.
Bien que les coopérations renforcées ne fassent qu’accompagner un espace de libre-échange par des alliances diverses, l’Allemagne a précisé que la « coopération renforcée ne doit pas être comprise comme un éloignement de l’intégration. Un pas intermédiaire vers la réalisation de l’Union politique pourrait être la création, plus tard, d’un centre de gravitation. Un tel groupe d’États signerait un nouveau traité fondamental européen, qui constituerait le noyau de la fédération. Et, sur la base de ce traité, il y aurait des institutions propres, un gouvernement qui devrait parler au sein de l’Union européenne d’une seule voix sur le plus grand nombre de questions possibles, un Parlement fort, un président élu directement. Un tel centre de gravitation devrait être l’avant-garde, la locomotive pour l’achèvement de l’intégration politique, et contenir déjà tous les éléments de la fédération future (...). Le dernier pas serait l’achèvement de l’intégration dans une fédération européenne ».
Parachevant l’édifice, M. J. Rau, ancien président de la République d’Allemagne et aujourd’hui décédé, proposa, le 4 avril 2001, un processus authentiquement démocratique pour construire cette fédération des Etats-nations.
Pour créer une opinion publique européenne et renforcer la démocratie à cette échelle, il avait déjà proposé l’élaboration d’une constitution, dont il avait brossé les grands traits.
À de telles perspectives, la France n’avait pas vraiment répondu, en rappelant que le terme de « fédération » n’a pas la même signification dans les deux pays, et surtout en réaffirmant inconsciemment qu’elle souhaitait une Europe forte avec des institutions faibles !
Elle a ainsi privé les Français d’un avenir enfin mobilisateur.
Quant à la constitution adoptée par les États membres en juin 2004 et refusée en 2005 en France et aux Pays-Bas : bien que très en-deçà d’une véritable Europe politique et démocratique, elle laissait entrevoir une union politique et démocratique plus étroite.
Ce texte étant donc mis de côté, et bien que l’Autriche veuille aujourd’hui le ressusciter, il faut désormais plus que réfléchir à ce noyau dur.