Le clavier compulsif

par C’est Nabum
vendredi 17 mai 2024

 

L'écrit vain.

 

Je vous prie de bien vouloir pardonner cette pénible assuétude qui me pousse chaque jour, depuis près de quinze ans à glisser un titre en haut d'un écran, espérant alors qu'une suite naîtra de cet appel à la prose. C'est ainsi qu'il suffit de ce bien peu pour que des mots s'enchaînent, tentant de former des phrases en une écriture presque automatique qui n'aurait pas déplu à André Breton.

Je sens bien poindre la terrible concurrence de l'intelligence artificielle qui entend me condamner à l'inaction, se donnant l'ambition de me clouer le bec afin de laisser la place à une sorte de compilation universelle des plumes fines gâchettes de la cartouche d'encre. Même si mes mots ne valent pas ceux qui figurent désormais au Panthéon des algorithmes, laissez-moi l'illusion de préférer les miens à tous ceux des autres.

Non pas que je prétende, contrairement à ce que prétend ma gargouille préférée, être à leur hauteur et vouloir tutoyer les anges et les vieux démons, mais plus humblement, qu'il y va de la seule expression qui me convienne. Qu'importe si les résultats ne sont pas au niveau des possibilités offertes par le pouvoir numérique triomphant, mon clavier, en dépit d'une souris un peu folle, n'en fait pas tout à fait à sa guise.

Je laisse aller mes doigts, faisant ainsi preuve de la rare activité manuelle qui me soit accessible même si je n'utilise pas tous les doigts des deux mains. Je laisse de côté l'index pour que la censure ne vienne pas sournoisement s'insinuer ici tandis que je mets rarement les pouces à contribution, histoire là encore de ne pas renoncer à ce bonheur ineffable.

Je joue des associations d'idées pour de saut de puce en saut de puce, passer d'un petit paragraphe à l'autre en donnant l'illusion d'une cohérence pensée d'avance. Ne vous y trompez pas, tout cela est le fruit du hasard, du télescopage d'idées, des champs lexicaux qui font pousser parfois des mauvais verbes. Je ne m'interdis rien puisqu'un mot entraîne l'autre en tentant vainement de s'accrocher à la syntaxe.

Le clavier a ses limites, il entend ne pas déborder du cadre fixé tandis que la police veille à ne pas dépasser le corps 12 pour maintenir la manifestation dans le cadre strict et rigoureux d'une page. S'il y a exception, c'est pour les contes qui recherchent le recto-verso pour se donner bonne figure. Des caprices de pythagoriciens diront les rares érudits qui savent encore de quoi il retourne.

La forme permet de tenir le cap. C'est là prudence d'écrivaillon qui ne sait pas où le mène une navigation qui fait fi du moindre plan. Une sorte d'errance à la carte, la tête dans les étoiles sans prendre soin de surveiller l'écran. C'est ainsi que comme le pèlerin du petit matin, je traîne mon lot de coquilles et de fautes sans même les percevoir.

L'essentiel est ailleurs. Une forme de drogue inoffensive qui m'assure, en dépit des apparences souvent en ma défaveur, un relatif équilibre mental. Je sais que beaucoup en doutent, laissez-moi au moins cette illusion. Si virus il y a, il ne détruit pas pour l'heure mes connections cérébrales même s'il peut expliquer cette souris qui n'en fait qu'à sa tête, sautant d'une page à l'autre ou balayant un écran pour m'en imposer un autre.

C'est sans nul doute un message subliminal m'avertissant que tôt ou tard, il conviendra de tourner la page et d'offrir au néant cette vaine collection d'écrits aussi vains les uns que les autres. Il sera temps alors de tout détruire afin qu'il ne reste rien de cette hystérie scripturale que certains me font l'honneur de parcourir de temps à autre.

Pour l'heure, le point fatal n'est pas encore de mise tandis que demain produira son nouveau billet et que celui-ci s'achève, comme il convient, par trois points de suspension, faute d'avoir anticipé une chute...


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