Philippe Tesson, le polémiste toujours au Combat

par Sylvain Rakotoarison
samedi 4 février 2023

« Ne lui dites pas qu’il ressemble à Voltaire, ça lui déplaît souverainement. Comme Musset, il trouve hideux son sourire. Il n’empêche qu’il a du patriarche de Ferney l’ironie et aussi la suractivité. (…) C’est le Zorro d’Henri Salvador : pas moyen d’y échapper. » (Jacques Nerson, le 10 décembre 2009).

Eh oui, comment ne pas le prendre pour un Voltaire moderne ? Le journaliste très connu Philippe Tesson s'est éteint ce mercredi 1er février 2023 à un mois de ses 95 ans (il est né le 1er mars 1928). Il a été hospitalisé pendant un mois. Peu avant, il avait lâché sa dernière insolence face au monde en confiant à ses proches : « Je ne suis pas né pour mourir ! ». Il avait perdu sa femme il y a neuf ans et laisse ainsi ses trois enfants dont certains sont connus : l'écrivain Sylvain Tesson, la metteuse en scène Stéphanie Tesson et la journaliste Daphné Tesson.

C'est même assez étonnant de voir que les trois enfants révèlent les trois passions de Philippe Tesson : celle du journalisme, celle du théâtre et celle de l'écriture, même si on regrettera qu'il n'a pas voulu écrire ses mémoires ou ses souvenirs (et finalement, très peu d'essais dont les rares ne lui convenaient plus). Dans "Valeurs actuelles", il expliquait pourquoi il ne s'ennuyait pas à rédiger des livres : « À moins d’être un écrivain rare, un livre, c’est finalement aussi périssable qu’un article. Et beaucoup plus dur à faire. À quoi bon ? Et puis, convenez-en, je ne manque pas d’endroits où m’exprimer… ».

Pourtant, ce n'était pas faute d'être au travail jusqu'à ces derniers mois, malgré le grand âge. J'ai toujours été fasciné par l'esprit très alerte et toujours passionné de Philippe Tesson dans les médias, qu'il s'agît de radio ou de télévision, malgré ce qu'il aurait convenu de dire son âge de vieillard. Pourtant, il ne se ménageait pas vraiment : grand bouffeur, grand fumeur, buveur pas seulement d'eau, dormeur tardif, pas de sport (seulement sur les plateaux de télévision)...

J'ai toujours apprécié l'écouter ou le lire sur des sujets politiques, sans forcément être toujours d'accord avec lui. Éditorialiste de droite, de droite ultra même parfois, il ne s'en cachait pas, au point que sa verve passionnée a pu lui jouer des tours, il aimait provoquer et polémiquer, mais il n'était pas comme Éric Zemmour, il était désintéressé, il était ce qu'étaient les chevaliers, prêts au combat pour partager plus que départager des idées. Surtout, il était honnête intellectuellement. On pourrait le comparer avec un autre intellectuel, pourtant très différent : Philippe Tesson était à la droite (républicaine) ce qu'était Jean Daniel à la gauche (morale).

Le Philippe Tesson nonagénaire était encore au boulot (vous avez dit retraite ?) pour des chroniques à Radio Classique, dans l'hebdomadaire "Le Point" et il présidait toujours le jury du Prix Interallié. Dans "Le Point", il prêchait encore pour la droite, analysait le 7 juillet 2021 la précampagne de l'élection présidentielle de 2022 en imaginant encore Les Républicains favoris, mais en donnant aussi beaucoup de crédit à Emmanuel Macron, qu'il a considéré vainqueur des élections européennes de 2019, dont il a soutenu la politique de Gérard Collomb à l'Intérieur, en colère contre les gilets jaunes en colère. À la première élection d'Emmanuel Macron, Philippe Tesson avait écrit : « En élisant cet homme neuf, la France s'est donné la chance de se revitaliser. ».

À l'origine, amoureux de Shakespeare, Stendhal, Gide et Cocteau, Philippe Tesson, très affecté par l'Occupation (il était à peine ado), voulait se consacrer à des activités culturelles. Passionné par le théâtre, il a longtemps fait des chroniques sur le sujet (sur France Inter, dans "Le Figaro Magazine", dans le bimensuel qu'il a racheté en 2001 "L'Avant-Scène théâtre", etc.), jusqu'à acheter en 2011 le Théâtre de Poche à Montparnasse. Mais le journalisme politique a pris rapidement le dessus.

Alors que Philippe Tesson était secrétaire des débats parlementaires au Palais-Bourbon (après Science Po), il a été repéré par Roger Stéphane et Henry Chapier. L'homme qui lui a mis le pied à l'étrier du journalisme n'était paradoxalement pas un journaliste et, pire, ne savait pas s'exprimer : « Avant moi, il avait eu Louis Pauwels pour scribe. » se souvenait Philippe Tesson le 10 décembre 2009. C'était un homme d'affaires, un médecin, un homme politique tunisien Henri Smadja (1897-1974) qui, à la demande de Claude Bourdet, a racheté le journal "Combat" à l'équipe mise en place par Albert Camus, et il cherchait une plume. Philippe Tesson l'a raconté à Elsa Boublil le 17 février 2019 sur France Musique : « Il cherchait un rédacteur-en-chef dont le profil correspondait à peu près au mien, c'est-à-dire un beau jeune homme, occidental, gentil, bien élevé, bien soumis, etc., sachant un peu écrire, un peu cultivé, le journaliste qu'il fallait, quoi, à peu près. Et ça a bien marché entre nous, j'ai aimé ce métier très rapidement, parce que j'y ai trouvé certainement les réponses à mes attentes intellectuelles, la gourmandise, la curiosité, un peu de tout, voilà (…). Je me suis attaché à ce métier et je ne l'ai plus quitté. ». Henri Smadja, qui s'est suicidé en juillet 1974, était un oncle d'Isabelle Balkany.

Philippe Tesson a dirigé la rédaction de "Combat" pendant quatorze ans, de 1960 à 1974. Parallèlement, son épouse médecin Marie-Claude Tesson-Millet s'est prêtée aussi au jeu du journalisme en créant avec Philippe Tesson "Le Quotidien du médecin" en 1971, journal qui a tout de suite bien fonctionné (il y avait une attente), qui ciblait les médecins pour des informations médicales et générales (dès la première année, 60% des médecins le consultaient).

Ce succès l'a convaincu de quitter "Combat" en mars 1974 pour créer son propre journal, "Le Quotidien de Paris" (premier numéro le 4 avril 1974) qu'il a dirigé jusqu'à sa liquidation judiciaire le 19 octobre 1994 (le dernier numéro le 14 novembre 1996). Toute l'équipe de journalistes de "Combat" l'a suivi, ce qui a achevé ce journal. Explication : « Au retour de Smadja, je lui propose des réformes, il refuse. Finalement ce vieil Oriental et moi sommes de la même espèce : lui aussi veut rester seul maître à bord. Je quitte "Combat" pour fonder "Le Quotidien de Paris", six mois après, "Combat" disparaît. J’ai coulé "Combat" et assassiné Smadja. Pas de rancune de sa part, aucun scrupule de la mienne, nous sommes quittes. » (10 décembre 2009).





"Le Quotidien de Paris" était un journal qui se voulait polémiste, préférant le débat contradictoire à la "pensée unique", puis fermement opposé à la gauche lors de son arrivée au pouvoir, il a recruté jusqu'à 550 collaborateurs dans les meilleures années. Philippe Tesson a notamment recruté Dominique Bona, Dominique Jamet, Laurent Mauduit, Patrice Carmouze, Jean-Marie Rouart, Jean-Marie Benoist, Jean Montaldo, Paul Wermus, Alain Duhamel, Bernard Mabille, Catherine Pégard, Éric Yung, Jean-Marc Sylvestre, Henry Chapier, Georges-Marc Benamou, Éric Neuhoff, Jean-Dominique Bauby, Claire Chazal, Stéphane Denis, Pierre Daix, entre autres, furent parmi les plumes de Philippe Tesson, dont, pour certaines de ces personnalités, ce fut la première expérience.

En même temps, directeur des "Nouvelles Littéraires" (qu'il avait rachetées) de 1975 à 1983 et directeur de collection aux éditions de La Table Ronde de 1962 à 1972, Philippe Tesson a collaboré au "Canard enchaîné" de 1970 à 1983, et à de nombreux journaux et médias ("Valeurs actuelles", "Le Figaro Magazine", "Le Point", France 2, France 3, Paris Première, France 24, Europe 1, Direct 8, etc.). Il a aussi créé d'autres journaux comme "Le Quotidien du pharmacien", "Le Quotidien du maire", etc.

Politiquement, Philippe Tesson était très éloigné des gaullistes en raison de ses positons sur l'Algérie. En revanche, il gardait beaucoup de sympathie chez des responsables de gauche, comme François Mitterrand avec qui il était très lié dans les années 1960, ou encore Pierre Mauroy dont il fut le camarade de classe au lycée du Cateau-Cambrésis (dans le Nord). Il s'est droitisé quand la gauche était susceptible d'arriver au pouvoir : « Je m’inscris pour la première fois de ma vie dans une ligne idéologique. On est en 1979, la gauche va arriver au pouvoir, on le sait, je consolide mon journal avec des journalistes venus de "L’Aurore" comme Bernard Morrot. Je fais un journal moins léger, moins dilettante, je me droitise encore. Quand la gauche arrive, toutes les espérances sont dépassées, je deviens un grand patron de presse.Un leader de l’opposition. J’ai droit au respect et à la considération. J’étais sur un nuage. » (10 décembre 2009).

Trop heureux, il était sur ses lauriers et se dispersait trop. Il s'est trop désintéressé du journal, le laissant sous la direction de Bernard Morrot qui l'a beaucoup trop droitisé : « "Le Quotidien" était devenu radoteur, inintéressant. Ce n’était plus mon journal. Quand je l’ai repris, c’était foutu. ». Il a coulé en 1994 mais a pu renaître dans la presse et les médias français pour donner sa bonne parole politique et culturelle. Jean-Pierre Elkabbach l'a tout de suite repêché, mais c'était une erreur : si Philippe Tesson aimait faire des chroniques, il détestait passer les plats, comme présentateur d'émission. Il resta donc surtout dans le rôle de l'électron libre qui donnait son grain de sel.

Philippe Tesson se considérait comme un grand enfant, oui, pas vraiment achevé : « Un jour, Françoise Giroud m'a dit : "Je ne vous aime pas parce que je n'aime pas les hommes inachevés". Je lui ai répondu : "Je n'aime pas les femmes achevées". Parce que je l'avais attaquée dans "Le Canard enchaîné". Je l'avais attaquée parce qu'elle avait écrit dans un livre qui s'appelait "La Comédie du pouvoir", elle avait raconté ses impressions qui la gouvernaient, qui l'habitaient lorsqu'elle était au conseil des ministres (…). Elle avait raconté dans ce livre que pendant les conseils des ministres, elle regardait les mains de Chirac, il avait des mains de bouchers-charcutiers. J'avais trouvé cela tellement inélégant de la part de cette femme que (…) j'avais livré mon impression dans "Le Canard enchaîné". Elle m'avait convoqué. Elle m'avait dit : "Pourquoi m'avez-vous insulté de cette façon ?". Alors je lui avais répondu un peu insolemment. » (17 février 2019). Un grand enfant, mais avec l'esprit de répartie !

Dans un communiqué, le Président Emmanuel Macron lui a ainsi rendu hommage : « Il était un bretteur gourmand, un éclectique étincelant, un homme dont le nom même signifiait le foisonnement de vies multiples. (…) Avec une curiosité, une tendresse et une liberté constantes, il était, depuis plus de six décennies, un artiste de la presse et un acteur, à tous égards, de la vie publique française. (…) Enfant, il avait appris à se construire un ordre intérieur quand tout volait en éclats autour de lui. (…) Monument de la presse à la française, Philippe Tesson (…) était devenu l’une des grandes mémoires du métier, lui qui refusait d’écrire les siennes. Sa carrière durant, il a interprété dans la vie de notre pays, un rôle qui mêlait le jeu et l’engagement, le panache et la réflexion, et se distinguait par le refus des convenances autant que de l’esprit de sérieux. » (2 février 2023).

De même, Jean-Pierre Chevènement a été, lui aussi, très touché par sa disparition : « La mort de Philippe Tesson me bouleverse. C'était un homme exceptionnel. Je l'ai connu dans les années 1960, à l'époque où il dirigeait la collection Combat dans laquelle a paru "L'énarchie". ».

Mélomane, pianiste, adorateur de Debussy, Philippe Tesson était l'invité d'Elsa Boublil le 17 février 2019 et cet entretien est rediffusé en son hommage sur France Musique ce dimanche 5 février 2023 de 11 heures à 12 heures 30.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Philippe Tesson, le verbe fait homme", portrait par Jacques Nerson paru dans "Valeurs actuelles" le 10 décembre 2009.
Philippe Tesson.
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.


 


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