Stéphane Bourgoin est cerné : ses affabulations mises au grand jour par Arrêt sur images, Le Monde, France Inter, So Foot...

par Vera Mikhaïlichenko
vendredi 24 avril 2020

Depuis le 9 mars, où nous évoquions l'affaire Stéphane Bourgoin pour la première fois, celle-ci a pris de l'ampleur. L'enquête du collectif "4ème Oeil Corporation" a été relayée et parfois validée par plusieurs grands médias : Arrêt sur images, RTBF, Le Monde, France Inter, et même So Foot. Stéphane Bourgoin, dont on peut aisément imaginer le désarroi, lui qui voit sa vie de mensonges dévoilée au grand jour après plusieurs décennies de gloire, auprès de ses "fans", et d'expertise jamais mise en doute sur tous les plateaux de télévision, se mure dans le silence et tente vainement de faire censurer sur les réseaux sociaux les preuves de ses nombreuses tromperies.

Un Wikipédien inspiré : "Il n'y a pas d'affaire Bourgoin ! C'est du conspirationnisme !"

Le journalisme citoyen n'a pas la cote... chez certains modérateurs de Wikipédia. Alors que les amateurs de "4ème Oeil Corporation" avaient fait paraître sur YouTube une dizaine de vidéos rendant compte de leur enquête, et qu'aucun grand média ne l'avait encore approuvée, voici ce qu'un certain Kirtap, plein de morgue et de mépris, osait écrire (entre le 29 mars et le 2 avril) dans la partie "Discussion" de la page Wikipédia de Stéphane Bourgoin :

« Sur la découverte de sa compagne morte, cette information est elle mise en doute par une source sérieuse ? Visiblement non, au contraire elle est relayée par plusieurs source de presse. Si on me dit que c'est faux, alors qu'on me le démontre avec source de référence. Ces vidéos Youtube, par la méthode employée, se disqualifient d'elles même (collectif anonyme, analyses à partir des textes de Bourgoin, ou sources primaire...). (...) Nous avons une règle de neutralité qui exclue les points de vues ultra minoritaire et une règle concernant les sources qui rejette les blogs et autres travaux personnels. Moi je ne sors pas de cela, rien de ce que ces sources affirment ne se base sur des éléments solides, on est dans du conspirationnisme et des spéculations. L'identité de la compagne de Bourgoin, permet à l'auteur du blog des conjectures qui ne repose que sur ses recherches personnelles. On ne va pas prendre cela comme base, c'est pas sérieux (...). Donc au regard des sources de référence (les grands médias), il n'y a pas de mise en doute qui tienne. C'est l'état du savoir actuel sur Bourgoin. Kirtapmémé sage 29 mars 2020 à 00:33 (CET) »

« Le problème avec Bourgoin, c'est que ceux qui mettent en doutes les faits qu'il raconte ne sont pas sérieux et ne sont pas valables comme sources, on peut tout aussi bien colporter des fake news, c'est courant dans ce type de source. Donc pour moi, il faut en rester au basique, les faits simplement les faits, et les sources qui vont avec. Quand une source sérieuse mettra en doute, si elle le fait, alors ce sera recevable, mais pas avant. Pour le moment les allégations des blogs et de youtube et autres forums ne peuvent pas être pris en compte. Kirtapmémé sage 29 mars 2020 à 13:52 (CEST) »

« Bonjour Alchemica : Je suis opposé à ce qu'on alimente cette controverse tant que celle-ci est colportée par des réseaux sociaux des blogs et autres forums et sources du même acabit. Je ne sais pas ce qui motive ceux qui ont décidé de se payer la tête de Bourgoin, mais en l'état la démarche n'est pas de l'investigation. Ce n'est pas médiapart, ce sont des gens inconnus et amateurs qui s'improvisent enquêteurs sans en avoir de légitimité. On est plus dans le bashing ou le harcèlement, voire la diffamation. Rien ne reposant sur des éléments tangibles et solides. Donc sans sources de référence que l'on attend, il n'y a pas d'affaire Bourgoin. Si je me risquait à une comparaison, les sites d’extrême droites avaient signalé les dessins antisémites de Yann Moix, mais il a fallu attendre que la presse nationale s'en fasse l'écho pour le mentionner dans l'article. Kirtapmémé sage 2 avril 2020 à 22:13 (CEST) »

Entendons-nous bien : il est tout à fait normal de ne pas prendre comme sources, pour alimenter une encyclopédie, des vidéos YouTube d'auteurs anonymes, des articles de blogs ou même de médias citoyens, du moins si l'auteur est inconnu au bataillon. Mais il ne fallait pas avoir peur du ridicule pour disqualifier de la sorte, non sur la seule forme, mais sur le fond, le sérieux de l'enquête de "4ème Oeil Corporation". D'autant que notre Wikipédien ne manquait pas de contradicteurs qui, eux, avaient un avis tout à fait favorable sur ce travail.

En effet, quelques jours plus tard, des journalistes professionnels se penchaient sur cette enquête et n'y trouvaient ni "conspirationnisme", ni "diffamation", mais bien de "l'investigation" et du "sérieux". Il y avait bel et bien, n'en déplaise à Kirtap, une affaire Bourgoin.

L'enquête de 4OC certifiée de qualité par Arrêt sur images

Le 13 avril, un article du site Arrêt sur images, dirigé par Daniel Schneidermann, titre : "La vie inventée de Stéphane Bourgoin". Et confirme nombre des allégations de "4ème Oeil Corporation" :

« Bourgoin s'est inventé une rencontre avec Charles Manson, une carrière de footballeur professionnel, et s'est attribué des expériences racontées par d'anciens "profilers" et agents du FBI. »

Le journaliste d'ASI, Tony Le Pennec, loue le sérieux de l'enquête (même si la forme laisse à désirer), tranchant avec l'analyse du modérateur wikipédien :

« Dans une série de dix vidéos (à l'heure actuelle), la chaîne dissèque longuement, précisément et implacablement le curriculum de Stéphane Bourgoin, qui se présente en France depuis des années comme un "spécialiste des tueurs en série". Si, sur la forme, les vidéos ne sont pas d'une grande qualité (avec notamment un logo et des musiques de fond qui rappellent parfois l'esthétique conspirationniste), le travail d'enquête est sérieux. (...)

Reprenant, dans un travail de moine, tous les livres de Bourgoin, toutes ses interventions médiatiques, ses publications sur les réseaux sociaux et ses conférences, 4OC démontre que l'homme n'arrête pas de se contredire. Et que plusieurs de ses anecdotes ressemblent à s'y méprendre à celles racontées dans leurs livres par des enquêteurs américains ou sud-africains. Mais 4ème Oeil Corporation ne s'est pas contenté de lire les œuvres complètes de Bourgoin. La chaîne a aussi contacté des agents du FBI et des proches de tueurs en série américains que le "criminologue" dit avoir côtoyés. Avec quasi systématiquement la même réponse : jamais entendu parler du personnage. »

Arrêt sur images a réussi à joindre Stéphane Bourgoin. Lorsqu'on lui fait remarquer que le récit qu'il fait de sa rencontre avec Charles Manson ressemble comme deux gouttes d'eau à celui réalisé, bien des années auparavant, par l'enquêteur du FBI John Douglas, Bourgoin répond qu'il "n'y peut rien". Lorsqu'on lui demande de s'expliquer sur le fait qu'il ait usé, à quelques années d'intervalle, de deux versions différentes pour narrer un même événement, il equisse une réponse peu convaincante... avant de s'enfuir :

« Questionné par Arrêt sur images sur cet étrange changement de version, Bourgoin explique que lui-même et Norsworthy ont tous deux interrogé Stewart Wilken, d'abord séparément, puis ensemble. Il assure aussi que c'est Norsworthy qui a placardé une photo d'enfant dans la salle d'interrogatoire. Pourquoi alors expliquer en 2018 l'avoir fait lui-même ? Tout à coup, Bourgoin se souvient d'un travail urgent à terminer, et met fin à l'entretien. »

ASI avait beaucoup d'autres questions à poser à Stéphane Bourgoin, mais l'intéressé "n'a par la suite plus répondu à nos appels, ni à notre SMS". 

Stéphane Bourgoin démenti par John Douglas (FBI) et la profileuse Micki Pistorius

Le 21 avril, Le Monde titre de manière plus prudente : "Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série, est-il un affabulateur ?" Là encore, la journaliste, Macha Séry, loue l'oeuvre de "4ème Œil Corporation", "une série d'enquêtes, solidement étayées", d'un collectif "ayant travaillé avec rigueur".

Le Monde a eu la bonne idée d'interroger John Douglas ; entré eu FBI en 1970, transféré au département des sciences du comportement à Quantico (Virginie) en 1977, il a inspiré le personnage d'Holden Ford dans la série télévisée Mindhunter. "Je n'ai jamais entendu parler" de Stéphane Bourgoin, confirme-t-il (après que "4ème Oeil Corporation" l'ait déjà contacté). "Il a peut-être visité l'académie du FBI, mais il en va de même de centaines d'autres personnes." Impossible, précise-t-il, que Stéphane Bourgoin ait pu incorporer un programme du FBI, tous sont réservés à des officiers de police assermentés. "La plupart provenaient d'agences des États-Unis. Nous avons également formé des officiers originaires d'Australie, du Canada, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, aucun Français." L'ancien chef du Centre national d'analyse des crimes violents (NCAVC) met aussi en doute le chiffre avancé de 77 interviews avec des tueurs en série, la procédure à accomplir pour rencontrer des prisionniers étant particulièrement difficile "pour les personnes qui n'appartiennent pas aux forces de l'ordre".

Le Monde a eu une autre bonne idée : contacter la profileuse sud-africaine Micki Pistorius, à laquelle Stéphane Bourgoin a consacré un documentaire, diffusé sur France 2, ainsi que deux ouvrages, en s'inspirant largement de son autobiographie. Pistorius "déplore les emprunts écrits et les déformations de Stéphane Bourgoin dans les interviews qu'il accorde aux médias français". Dans une longue lettre qu'elle a transmise au journal, son avocat, maître Oeloff de Meyer, démonte point par point des allégations proférées dans plusieurs émissions de radio ou de télévision. Par exemple, contrairement à ce qu'il prétend, Bourgoin n'a pas accompagné le tueur en série sud-africain Stewart Wilken sur les scènes de ses crimes trois heures avant qu'il soit passé aux aveux face aux enquêteurs. Et pour cause : Wilken a été arrêté par le sergent Derick Norsworthy le 31 janvier 1997, et a été reconnu coupable et condamné à sept peines de prison à perpétuité le 23 février 1998. "Comment M. Bourgoin, qui était en Afrique du Sud du 22 février 1999 au 7 mars 1999, aurait-il accompagné Stewart Wilken sur n'importe quelle scène de crime trois heures avant ses aveux, si cela s'est produit deux ans avant le séjour de M. Bourgoin en Afrique du Sud ?" Aucun civil ni journaliste, précise le conseil de Micki Pistorius, n'a jamais été conduit sur une scène de crime alors qu'une enquête était en cours.

Autre bobard de Stéphane Bourgoin : il prétend avoir cofondé, en 1973, avec François Guérif, la librairie parisienne Au troisième oeil, spécialisée dans le polar. Joint par Le Monde, Guérif est catégorique : "Bourgoin est arrivé comme simple salarié en 1979, soit l'année où il est censé avoir commencé sa féconde carrière de serial interviewer." Stéphane Bourgoin prétend aussi parfois être le président de l'association Victimes en série (ViES), alors qu'il n'en est qu'un simple membre...

Le Monde s'interroge : "Y aurait-il une malédiction des spécialistes autoproclamés des tueurs en série ?"

« En 2019, l'imposteur Laurent Montet , qui se présentait comme un expert en criminologie et distribuait des diplômes non homologués, a été condamné à trois ans de prison, tandis que le Britannique Paul Harrison, ex-flic auteur de plus de trente livres, a reconnu avoir inventé des entretiens avec de nombreux tueurs en série. »

Le Monde précise avoir contacté Stéphane Bourgoin par courriel et par téléphone, mais l'intéressé a refusé de répondre.

Gendarmerie : Stéphane Bourgoin démenti par Jean-François Abgrall

Sur France Inter, l'affaire Bourgoin a été évoquée plus brièvement, le 22 avril, mais une information de taille a tout de même pu être apportée. L'extrait peut être entendu à partir de 55 min 37 dans l'émission en lien ou dans la vidéo qui suit :

Stéphane Bourgoin enjolive son rôle dans la création, en 2002, du département des sciences du comportement de la Gendarmerie. "La Gendarmerie nationale m'a demandé de m'occuper de la formation de la première unité de profilers à la française. Donc j'ai créé la première unité", affirme-t-il tranquillement.

Il est contredit, sur ce point, par l'ancien gendarme Jean-François Abgrall, qui a participé au groupe de réflexion qui a débouché sur la création de cette unité d'enquêteurs très spéciaux de la Gendarmerie : "La création du groupe d'analyse comportementale de la Gendarmerie, c'est quelque chose qui est complètement interne à la Gendarmerie. C'est personne à l'extérieur qui l'a suscitée."

Dernière précision de France Inter : "Stéphane Bourgoin n'a pas donné suite à notre demande d'entretien." Comme c'est étonnant...

Footballeur pro : Stéphane Bourgoin démenti par l'historien du Red Star

Bourgoin s'étant vanté à maintes reprises de sa carrière de footballeur professionnel, durant 7 ans au Red Star, c'est un magazine de foot qui a mené l'enquête en ce domaine : So Foot, dans un article intitulé "Stéphane Bourgoin, l'imposteur de Bauer", paru ce 23 avril. Les journalistes Félix Barbé et Maxime Renaudet ont contacté l’historien du Red Star, Gilles Saillant :

«  Je tiens un fichier avec tous les joueurs qui ont joué au club en équipe première depuis sa création. J’en ai 1300 environ et je n’ai trouvé aucune trace de ce Stéphane Bourgoin. Ça me fait penser à David Donadei, un joueur qui avait pleuré à la télé après un Red Star-Saint-Étienne au Stade de France (cf : So Foot n°174). À la fin du match, il avait été interviewé au bord du terrain et il avait dit qu'il n’avait pas pu jouer le match car il était blessé. Alors qu’en fait, il n’a jamais joué au Red Star. Stéphane Bourgoin doit être du même acabit.  »

Bourgoin prétend également s’être frotté aux Verts de Michel Platini. Mais là encore, ça ne colle pas, le mythique meneur de jeu n’ayant débarqué dans le Forez qu’en 1979. « Le Red Star n’a jamais joué contre l'ASSE de Platini, donc ce n’est pas possible. On a déjà joué contre Saint-Étienne, mais c’était à l’époque de Larqué, Janvion et Ćurković  », confirme Gilles Saillant.

La fin de l'article de So Foot ne manque pas de piquant :

« Contacté pour nous conter son explosive carrière dans le football, Stéphane Bourgoin n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Il avait pourtant prévu de le faire il y a quelques mois, se disant disponible pour un entretien sur le thème du football et des serial killers, à la seule et unique condition de ne pas aborder son passé de footballeur. Pas forcément étonnant quand on se rend compte que l’écrivain n’excède jamais les deux à trois phrases au moment d’évoquer son supposé passage dans l'effectif audonien. Deux imprévus de dernière minute l’avaient pourtant obligé à renoncer à cette rencontre. »

Courage, fuyons !

Et de conclure, plein de sagesse : "Longtemps déguisé dans le costume d’un personnage qu’il s’est lui-même créé, Stéphane Bourgoin ne peut cette fois plus se cacher."

Censure désespérée

Alors qu'il semble bel et bien cerné, Stéphane Bourgoin refuse de s'expliquer, et préfère tenter de faire disparaître les preuves de ses mensonges. C'est ce que nous apprend ASI dans une mise à jour de son article, le 22 avril, et un nouvel article, paru le 21 avril :

« Stéphane Bourgoin, assisté d'une société de juristes spécialisée dans le numérique, est parvenu à faire supprimer la plupart des vidéos de la chaîne 4OC pour des questions de droits d'auteurs... »

Les vidéos censurées sur YouTube ont été republiées sur Facebook, et le seront si besoin sur d'autres plateformes, à en croire les membres de 4OC. Elles ont été enregistrées par de nombreux soutiens de "4ème Oeil Corporation" et certains ont déjà tout remis en ligne sur YouTube... avant d'être à leur tour censurés et de s'en aller vers... Vimeo par exemple.

Mais qu'importe. L'essentiel était d'attirer enfin l'attention des grands médias, et cette tâche est réalisée. Le Monde, France Inter et So Foot ont apporté des témoignages précieux, des preuves supplémentaires, qui viennent consolider l'enquête amateure. On peut espérer que tous les médias finissent par en dire un mot, ou, du moins, n'invitent plus Bourgoin à leurs micros et sur leurs plateaux comme si de rien n'était.

L'un des huit membres du collectif a d'ailleurs décidé de se mettre en retrait, estimant que sa mission était accomplie, les grands médias ayant désormais pris le relais.

Diagnostic psychologique 

En attendant, le cas Stéphane Bourgoin interroge des passionnés en psychologie, les uns pointant chez lui une "mythomanie pathologique", d'autres voyant plutôt en ce curieux personnage un "menteur pervers". La première thèse ayant déjà été défendue dans un audio publié sur AgoraVox TV, en voici un qui défend l'autre thèse (et qui répond d'ailleurs à la première) ; elle est le fait de Virginie Kyburz, psychologue clinicienne formée à la psychothérapie psychanalytique et au diagnostic.


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